Culture
Philippe Delerm : "Il ne faut pas être effrayé par la banalité"
Publié le 18 novembre 2012 à 09:00
Par Marie Pâris
Philippe Delerm nous reçoit à l'occasion de la sortie de son dernier livre, « Je vais passer pour un vieux con », dans lequel il analyse avec précision nos petites phrases de tous les jours. De « Je n'étais pas né » à « C'est vraiment par gourmandise », l'auteur débusque avec humour ou nostalgie les penchants de la nature humaine dans le langage. S'il est un peu fatigué – c'est la fin de la promo – Philippe Delerm a en tout cas le rire prompt et des anecdotes en réserve. Humble, il parle des mots avec amour, évoque aussi son petit-fils, le sport ou Proust. Entretien avec une fine plume qui n'a pas perdu son âme d'enfant.
Philippe Delerm : "Il ne faut pas être effrayé par la banalité" Philippe Delerm : "Il ne faut pas être effrayé par la banalité"© Hermance Triay
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Terrafemina : Dans votre dernier livre, vous décortiquez nos petites expressions de tous les jours… Comment expliquer que le quotidien banal puisse autant nous parler ?

Phillipe Delerm : Il se cache beaucoup derrière ces petites phrases, car dans le langage se trouvent des choses très révélatrices de la nature humaine, comme les rapports de force, la sociologie, l’hypocrisie… L’éternel humain, en quelque sorte. C’est ce que j’ai voulu mettre en avant, mais avec causticité. Certaines de ces petites phrases, qui m’agacent ou m’amusent, je les entends chez les gens, d’autres encore viennent de moi-même. Ça devient un petit jeu - parfois même les gens m’en proposent.

Tf : On décrit souvent votre recueil – et les précédents – comme des poèmes en prose. Pourtant, la méthode d’analyse est très précise, presque scientifique…

Ph. D. : Ce ne sont pas des poèmes, pas des nouvelles non plus. En effet, j’écris de façon de plus en plus acérée et pointue au fil du temps. Avant, j’étais plus romantique… Mais un écrivain est aussi modelé par ses lectures, et j’ai découvert entretemps d’autres auteurs, comme Paul Léautaud ou Jules Renard. Avant, il n’y avait quasiment que Proust.

Tf : Pourquoi avoir choisi cette petite phrase comme titre du recueil ? Un peu par provocation ?

Ph. D. : Il y avait justement le risque d’être pris pour un vieux con… (rires) Mais cette expression correspondait au ton du livre, plus caustique que les précédents, plus rentre-dedans. Cette phrase, je l’ai prononcée - même si je le fais moins aujourd’hui. Et surtout, ça m’amusait franchement. Aujourd’hui j’ai mon lectorat, je me sens une plus grande liberté.

Tf : Dans l’essai qu’il vous consacre, Rémi Bertrand vous qualifie comme l’ambassadeur du « minimalisme positif »…

Ph. D. : Je trouve cela assez juste… J’essaie de déceler les grandes choses dans les petites, tout en gardant une vision humaniste de l’existence, un certain positivisme. Je suis d’ailleurs parfois agacé de voir comme on peut – notamment dans le microcosme parisien - confondre ce positivisme avec du simplisme, un peu cliché et bêta…

Tf : Comment trouver ce recul nécessaire à l’observation du quotidien, pour traverser l’apparente banalité de ces expressions ?

Ph. D. : C’est presque un regard naïf… J’essaie de retrouver ma vision d’enfant de dix ans sur les choses. J’adore d’ailleurs passer du temps avec mes petits-enfants ; justement, en période de promo où l’on passe son temps à parler doctement de soi, jouer au crocodile dans la piscine avec mon petit-fils me change bien les idées ! (rires) L’enfant, c’est essentiel. La chose la plus sympa qu’on m’ait dite, c’est cette phrase : « On a tous été baignés dans la rivière de l’enfance, mais Philippe Delerm, lui, est resté mouillé ».

Tf : Vous avez publié votre premier roman en 1983, et depuis vous écrivez de plus en plus. Aujourd’hui, on peut dire que vous avez atteint votre rythme de croisière… Vous qui êtes un grand amateur de sport, vous pourriez considérer l’écriture comme tel ?

Ph. D. : Pourquoi pas… Quand je faisais du sport, je courrais le 400 mètres, du sprint long ; un peu comme mes textes courts, ni poème ni roman. J’écris parce que je n’ai pas pu devenir le sportif que, enfant,  je rêvais d’être. Je ne me suis mis à écrire que vers 25 ans - le temps de digérer Proust.

Tf : Vous avez l’air d’être l'un de ses grands lecteurs…

Ph. D. : Oui ! Je relis ses livres encore et encore. Pendant longtemps, c’était trop dur d’écrire après lui ; mon premier roman, impubliable, est complètement tiré de Proust.

Tf : Aujourd’hui, vous avez publié une quarantaine d’ouvrages et, depuis 2006, vous êtes en charge d’une collection au Seuil, « Le goût des mots ». Comment se fait le passage à l’édition ?

Ph. D. : Ça me plaît beaucoup ! Ça m’a permis de retrouver une vie sociale, que j’avais perdue en prenant ma retraite (rires). Cette collection est gaie et dynamique, comme l’ambiance du collège quand j’étais enseignant. Je la veux jubilatoire, qu’on joue avec les mots, qu’on regarde la vie sous un angle positif. Et ça marche, parce qu’il y a actuellement un engouement pour les mots, c’est un peu à la mode – d’autant plus quand c’est ludique. Une sous-collection sera bientôt lancée, où les auteurs parleront de leurs mots préférés en jouant sur le rapport entre le fond et la forme. Ca s’appellera « Les mots que j’aime » ; le premier sera de Jean-Michel Ribes.

Tf : Et vous, vos mots préférés ?

Ph. D. : J’aime beaucoup « mélancolie » par exemple, pour sa musique… Mais aussi « gourgandine » : la sonorité est tellement drôle !  

Tf : Finalement, tout cela doit un peu vous rappeler votre expérience de professeur de français, non ?

Ph. D. : Oui, assez. Réfléchir sur la forme des mots, c’est un exercice que je faisais avec mes élèves. Je leur apprenais à parler de moments infinitésimaux pour mieux toucher les gens, plutôt que d’évoquer le général. Il ne faut pas être effrayé par la banalité : c’est avec une épingle très fine qu’on pénètre le mieux l’autre. Finalement, mon stylo est une aiguille très mince... D'ailleurs, j'écris pour de vrai encore au stylo.

Tf : Pas d'ordinateur ?

Ph. D. : Non ! J’écris dans des cahiers depuis toujours. Comme ça, je les emmène avec moi, j’écris partout, puis je tape à la machine. Après publication, je conserve mes cahiers. Et un ordinateur, c’est assez laid, j’en verrais mal dans mon bureau. Je n’aime pas non plus les dictionnaires. Je pense comme Paul Léautaud : l’écrivain doit faire avec ses mots à lui, et pas aller les chercher ailleurs qu’en soi. J’ai d’ailleurs sur moi le cahier dans lequel j’écris mon prochain roman…

Tf : Et ça sera quoi ?

Ph. D. : L’héroïne est une femme, la cinquantaine. Le livre tourne autour de cette question : faut-il intervenir dans la vie de ses enfants ? C’est un thème qui résonne beaucoup en moi, de par mon métier d’enseignant, mon expérience de père… Je pense que ça peut toucher beaucoup de gens.

« Je vais passer pour un vieux con », éditions du Seuil, 124 pages, 14.50 euros.

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