Ma fille a fait sa première rentrée en maternelle (et c'est toute une aventure)

Publié le Jeudi 01 Septembre 2022
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
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Ce 1er septembre 2022, ma fille de 2 ans et demi, comme des milliers d'enfants en France, est rentrée pour la toute première fois à l'école. A 8h20, elle courait vers ses copains et copines, heureuse comme un jour de frites. A 8h45, elle hurlait en se roulant par terre.
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On n'a pas de souvenirs de notre premier jour en maternelle, une fois adulte. On se rappelle des rentrées au primaire à la rigueur, des retours en trainant des pieds au collège et au lycée, mais pas de cette matinée-là, qui signe la fin des siestes à tour de bras et des jeux sans limitation de durée (du moins jusqu'à la retraite). Ce qu'on sait en revanche, c'est que c'est un moment spécial. Un envol symbolique qui laisse des traces douces-amères dans le coeur des parents. Et qu'il y a des larmes, bien souvent. Reste à déterminer chez qui : les petits ou les grands.

Thelma est mon premier enfant. Elle aura 3 ans en novembre. Elle aime les dinosaures, les robes qui tournent, T'Choupi, sa cabane et prendre les jouets des autres. Prêter les siens en revanche, pas vraiment. Il paraît que "c'est normal à son âge", m'a-t-on répété pour me rassurer. Soit ça, soit elle est de droite. Je préfère croire les gens.

Ce petit blocage sur le partage, c'est le seul truc qui me faisait un peu craindre son arrivée à l'école. Depuis plusieurs semaines, j'espère qu'elle finira par enfin sortir de cette "phase" pour réaliser que jouer à deux, c'est mieux, et ne pas finir solo à la récré. Ça, et la bouffe. Elle a une petite obsession pour les patates et les raviolis, et du mal avec les légumes. Les épinards de la cantine risquent de lui faire tout drôle. Un point de plus pour ma cuisine approximative, je me dis.

Ce qui ne m'inquiétait pas une seconde par contre, c'était la séparation. "Elle a l'habitude d'être gardée toute la journée", répondais-je, non sans prétention, à mes ami·es qui me demandaient si je n'avais pas peur des cris le jour-j. "Elle va même pas remarquer qu'on ne sera plus là", rétorquais-je, sourire aux lèvres en sirotant un énième Spritz, à d'autres qui racontaient leur propre expérience un peu désastreuse l'année d'avant.

A heure + 7, laissez-moi rire. Thelma n'a pas seulement pleuré : ELLE A HURLÉ EN SE JETANT AU SOL.

"Tu restes avec moi, maman ?"

Ce matin, à 8h20, vêtue de sa plus belle tenue choisie par ses soins - une robe parme avec une tache au chocolat qui ne part pas (allez savoir), enfilée sur un t-shirt avec des marguerites roses (je vous promets qu'elle a des fringues vertes et bleues, aussi) - elle s'est élancée vers le lieu des possibles : une école maternelle de la ville de Dieppe, en Normandie. "Je vais voir mes copains et copines à ma école !", a-t-elle crié en nous devançant son père et moi sur le trottoir, joyeuse à faire plier les rageux.

Quelques mètres plus loin, devant la foule de familles présentes pour la même occasion, l'enfant a passé la porte d'entrée en trombe et s'est dirigée vers sa classe. Elle la connaissait, on l'avait visitée quelques jours avant, et elle avait eu le temps de faire le tour des "super jouets" qui y étaient rangés. "Maman, Y'A DES PUZZLES !", s'est-elle exclamée avec un niveau de décibels rarement atteint par l'humain, visiblement exaltée par cette découverte. "Oui mon Moineau, va jouer", ai-je répondu un peu rougie par l'émotion.

Le temps que la maîtresse fasse son discours d'accueil, la confiance est montée en nous : Thelma avait l'air dans son élément, concentrée sur un jeu qui consistait à placer des marrons dans des petites cases... avant d'essayer de manger des gommes (elles étaient en forme de fruits, quelle idée aussi). Et pourtant. Ce qui allait annoncer la suite des événements a commencé à pointer le bout de son nez juste à ce moment-là.

"Tu restes avec moi, maman ?", m'a demandé ce petit bout d'à peine un mètre. "Tu viens avec moi, papa ?", a-t-elle poursuivi en nous adressant ce regard qui donne envie de se liquéfier. Les parents sauront.

Là, on a flippé. Un peu. On s'est rendu compte que le départ allait peut-être devenir plus compliqué que prévu. Ça n'a pas loupé, les larmes sont montées quand on lui a dit que - comme expliqué plusieurs fois - on la retrouverait à la fin de la journée. Chez elle... et aussi chez moi. Je suis partie rapidement après un bisou et une parole rassurante, histoire qu'elle ne me voie pas sangloter et se dise que quelque chose n'allait pas. Ma technique a échoué bruyamment puisque deux secondes après, le sol tremblait sous ses cris. Littéralement.

"Tu m'abandonnes !"

"Tu m'abandonnes !"
"Tu m'abandonnes !"

Cette scène banale selon les maîtresses et professionnel·les de la petite enfance, était exacerbée par le fait qu'aucun·e de ses petit·es camarades n'était dans le même état. Pas un·e seul·e ! Pas un oeil humide dans la salle ! La nôtre, elle, se roulait par terre de tristesse mêlée à de la frustration, en continuant de pleurer très (très) fort. Autant vous dire que le retour à la maison s'est fait avec une boule au coeur de la taille d'un 36 tonnes chargé à bloc.

Tous les scénarios se sont joués dans ma tête, ensuite. J'essayais de me raisonner et de continuer à travailler mais impossible de ne pas imaginer que la crise aura duré 2 heures, ou que notre fille, pourtant si mignonne, se sera transformée en monstre sous l'effet de la colère. S'est-elle fait des copines ou a-t-elle balancé la fameuse purée d'épinard dans les cheveux de sa voisine de cantine ? A-t-elle réussi à s'endormir ou a-t-elle chanté L'araignée Gipsy à tue-tête jusqu'à rendre tout le monde zinzin ? Et surtout : voudra-t-elle revenir sereinement, ou devra-t-on vivre ce déchirement chaque matin ?

J'en ai parlé à une amie qui a réussi me faire redescendre en pression grâce à une anecdote perso déculpabilisante. "Tu sais quand j'étais petite, j'ai fait pleurer ma mère plusieurs fois en faisant des choses comme ça, parait-il ! Je hurlais 'tu m'abandonnes !' quand elle me laissait". L'horreur. Seulement, en voyant que 25 ans plus tard, ça ne l'a pas empêchée d'avoir une scolarité, une personnalité et une vie épanouies, je me suis dit que tout n'était pas perdu. Que cette rentrée était certainement anecdotique et que j'en rirai certainement dans quelques mois. Vivement.

"Elle a mangé des lasagnes, fait des dessins et elle a bien dormi"

A 16h20, après des heures d'une attente interminable, on est allé·es la chercher. Le stress était palpable, j'avais les mains moites. Les parents sont censés attendre dans la cour, les enfants dans la classe, et la maîtresse les appelle chacun·e leur tour. A peine m'a-t-elle aperçue que Thelma s'est précipitée à l'extérieur malgré les consignes (on va devoir bosser sur l'écoute et la patience) : "MAMAN, J'AI FAIT DES DESSINS AVEC LA MAÎCRESSE !" (on va aussi devoir bosser sur le volume sonore).

Elle a accouru dans mes bras avec un grand sourire en me montrant ses oeuvres aussi approximatives que ma cuisine, et a continué de s'époumoner : "C'ÉTAIT TROP BIEN L'ÉCOLE MAMAN !" ("Mieux que ma surdité subite ma chérie, j'espère", ai-je hésité à lui répondre). Je ne sais pas si une phrase m'a déjà fait autant de bien. Peut-être "Vos billets pour le concert de Harry Styles au Stade de France le 1er juin 2023 sont disponibles", reçu le matin-même, ou "Oui madame, il reste une parte de tarte aux myrtilles", au resto à côté de chez mes parents en Haute-Savoie. Douce musique à mes oreilles.

Le résumé de l'enseignante a été bref et réjouissant : "Elle a mangé des lasagnes, fait des dessins et elle a bien dormi", nous a-t-elle énuméré. Ma fille vit ma vie rêvée. D'ailleurs, elle ne voulait plus partir, on a dû lui promettre que "oui oui, tu reviens lundi".

A l'instant où j'écris ces lignes, elle mange un gâteau sur le canapé, en faisant un puzzle en forme de dinosaure. Quand je la regarde, rien n'est bien différent d'hier et en même temps, tout est différent : maintenant, elle va à l'école.

Bientôt, elle ne dira plus "j'ai le nez qui couille" pour "j'ai le nez qui coule", elle me parlera de l'anniversaire de Louise, des "super baskets qui s'allument" d'Iliès en me demandant les mêmes. Bientôt, elle fera des soirées pyjamas et des après-midis chez sa meilleure copine ou son meilleur copain. Bientôt, elle saura lire mais elle ne voudra pas faire ses devoirs, elle saura s'habiller toute seule mais elle ne voudra pas mettre les vêtements que je lui aurai choisis.

Bientôt, elle se prendra de passion pour son équivalent de Britney Spears, elle s'éclatera à l'escalade ou elle passera des heures avec des livres sur la plage. Bientôt, elle préférera que je la dépose au coin de la rue, et sortir avec ses ami·es plutôt que de regarder un film à la maison. Bientôt, elle saura ce qu'elle veut faire quand elle sera "grande". Bientôt, elle sera "grande". Et moi, je n'aurai qu'une envie : revivre encore une fois cette première rentrée.