Un manuel de maths adapté pour les filles et pour les garçons crée un tollé en Chine

Publié le Jeudi 27 Août 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Un manuel de maths genré, il fallait y penser (ou pas)
Un manuel de maths genré, il fallait y penser (ou pas)
Un manuel de mathématiques genré ? Il fallait y penser ! Ou pas. C'est un éditeur chinois qui a délivré sur le marché ce drôle de concept destiné aux enfants, stéréotypes gênants à l'appui. Avant de se ramasser un joli bad buzz sur la Toile. Une belle pépite sexiste.
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"Du contenu ludique pour les garçons, du contenu pratique pour les filles (achat de légumes et de fruits...)". Il fait rêver, le manuel de maths genré décrit par le compte Twitter Pépite sexiste - la page qui recueille le pire du marketing sexiste. Le contexte ? A Pékin, un éditeur chinois (la East China Normal University Press) a proposé à sa jeune audience un livre scolaire en deux exemplaires, qui laisse dubitatif : une version bleue pour les garçons, une version rouge pour les filles. Dans l'une, du contenu ludique, dans l'autre, du contenu pratique - "comme "l'achat de légumes et de fruits sur le marché", relate la chaîne CBS. On comprend vite le principe.

Autrement dit, c'est une certaine idée des stéréotypes du genre que propose la East China Normal University Press, vendue sur papier et destiné aux établissements scolaires - et plus précisément, aux élèves du premier cycle du secondaire. L'éditeur explique encore que "les livres ont été conçus spécifiquement pour répondre aux forces et aux faiblesses des deux sexes". Comprendre, les filles aiment aller au marché, les garçons, eux, "aiment jouer à des jeux", nous dit-on encore. Difficile de faire plus sexiste.

Tant et si bien d'ailleurs que cette proposition éditoriale a suscité un tollé sur la Toile. Notamment sur la plateforme sociale Weibo, un réseau de micro-blogging type Twitter. Un bad buzz qui a incité l'éditeur à retirer le manuel du marché.

"La question des maths est féministe"

"Je crains que ma fille soit plus réticente à étudier les mathématiques une fois qu'elle aura vu ce livre. Elle pourrait penser qu'elle est née inférieure aux garçons dans ce domaine", a déploré une mère de famille dans les pages de Guanchazhe ("L'observateur"), un journal local chinois. Même son de cloche sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, un mathématicien s'exprime : "Wow, c'est quelque chose dont je n'avais jamais entendu parler auparavant. Des manuels de mathématiques genrés !". "Etrange manière d'enseigner les maths", ironise une internaute. Et une professeure de maths de conclure : "Je ne peux pas croire que cela arrive en 2020 !".

Mais la nouvelle a beau étonner (désagréablement), elle ne bouleverse pas. Car ce n'est pas la première fois que les manuels scolaires regorgent de pépites sexistes. Bien des exemples occidentaux n'ont rien à envier à la Chine. En 2012 déjà, une étude (française) menée par le centre Hubertine Auclert, "Égalité femmes-hommes dans les manuels de mathématiques, une équation irrésolue ?", mettait l'accent sur la quantité de stéréotypes sexistes présents dans pas moins de 29 manuels de Terminale, notamment dans l'énoncé des problèmes. Noms de métiers pas féminisés, exemples de professions et rôles "tradis" bien sexués, omniprésence de personnages masculins...

Y'a-t-il quelque chose de pourri au royaume des maths ? L'autrice british Shirley Conran, qui a consulté des dizaines de professeurs de maths pour essayer de comprendre le pourquoi des disparités de notes selon les genres, le croit. Pour cette passionnée de chiffres, la réappropriation des maths par les jeunes filles est "une question féministe", dit-elle au Guardian : les mathématiques "peuvent leur donner plus de pouvoir et de contrôle". Encore faudrait-il "améliorer les livres de mathématiques", déplore-t-elle. Au Royaume-Uni aussi, des soucis se posent.

Les disparités, c'est d'ailleurs ce que ne souhaite pas la East China Normal University Press. Bad buzz viral oblige, la maison d'édition a retiré ses manuels genrés, non sans délivrer un petit mea culpa : "Nous nous opposons à toute forme de discrimination sexiste", affirment désormais les responsables. Mieux vaut tard que jamais.