Pépite Sexiste, le compte Twitter qui débusque le marketing sexiste

Publié le Mardi 10 Juillet 2018
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
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Rien n'a changé depuis les années 1950 : l'image des femmes dans la pub est toujours aussi mauvaise. Depuis le mois de mars, le compte Pépite Sexiste épingle le marketing sexiste sur Twitter. Entretien avec celle qui est derrière et qui ose s'attaquer aux marques.
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Pépite Sexiste préfère rester anonyme. Les seules choses que l'on sache sur la femme qui se cache derrière ce compte Twitter ? Elle a 26 ans, elle est diplômée en marketing international et elle habite à Paris. Elle est aussi une très fine connaisseuse des ressorts du sexisme dans le marketing, que cela soit dans la publicité mais aussi sur la taxe rose (le fait qu'une femme paie plus cher un produit marketé) ou la division genrée qu'entretiennent les jouets.

Elle utilise toutes ses connaissances pour démonter ce qu'elle appelle des "pépites sexistes" sur son compte Twitter et sur son site web. Son compte ouvert depuis le mois de mars 2018 est alimenté quotidiennement et a déjà réussi à fédérer plus de mille personnes : "Je me suis inspirée des mouvements #NotBuyingIt [Je ne l'achète pas], qui dénonce les pubs sexistes aux États-Unis, et Let Toys Be Toys [Laissons les jouets être des jouets], compte anglais qui dénonce le marketing genré des jouets et livres pour enfants. Beaucoup de comptes existent déjà afin de lutter contre la publicité sexiste en France mais aucun, ou peu, aborde la question du marketing genré. Le sexisme ordinaire passe par les pubs sexistes, le marketing genré et les taxes roses, et j'ai décidé de réunir des exemples de ces trois formes de sexisme via Pépite Sexiste."

Des femmes dévalorisées dans les publicités

Beaucoup d'internautes lui font remonter des publicités sexistes en la taguant mais à chaque fois, elle prend le temps de vérifier que ça n'est pas une fausse publicité, où que la campagne a déjà été retirée. C'est comme ça que récemment elle a pu dénicher sur les pages Facebook d'un Super U dans l'Indre des photos de femmes en bikini pour faire la publicité de promotion sur les carburants, ou qu'elle a épinglé Etam pour avoir récupéré la libération sexuelle des femmes pour vendre des maillots de bain. Toujours cordiale et drôle, elle ne rentre pas dans la confrontation avec les trolls ou les personnes qui la traitent de rabat-joie.

Lors de ses études de marketing international, Pépite Sexiste raconte ne jamais avoir abordé la responsabilité sociale des entreprises quand il s'agit des valeurs diffusées dans les pubs ou de l'impact du marketings dans les représentations : "Or, le marketing n'est pas qu'un miroir de la société. Il l'impacte en normalisant des valeurs et comportements."


Elle se sert de l'exemple d'une étude du groupe Unilever, qui avait déterminé en 2016 que 3 % des femmes dans ses pubs étaient représentés dans un rôle de manageuse, et 2 % en "personnes intelligentes". Pour elle, ces biais genrés participent entre autres à la discrimination à l'embauche des femmes : "Si les publicités stéréotypées ne sont pas les seules coupables des biais sexistes, elles y participent. Nous consommons des dizaines de pubs orales et/ou visuelles par jour, le marketing a donc clairement son rôle à jouer quant à la déconstruction des stéréotypes de sexe. [...] 40% des femmes ne se sentent pas représentées par les femmes montrées dans les publicités", rappelle-t-elle.

Une étude du CSA dévoilée en octobre 2017 révèle que les hommes étaient représentés en majorité dans des pubs de banque, de voitures ou de technologies par exemple, et les femmes apparaissaient dans l'entretien du corps ou l'habillement. Les personnages féminins sont aussi plus sexualisés (67%) que les hommes (33%). Pour les experts, 82 % sont des hommes.

La responsabilité sociale du marketing


Pépite Sexiste insiste sur la grande responsabilité des publicités sexistes dans la société : "On est submergé de pubs mettant en scène les femmes dans des rôles d'objets ou de ménagères. Pas étonnant qu'elles soient ensuite discriminées dans l'environnement de travail et sujettes à des "blagues", des discriminations voire du harcèlement. Sans en être la seule raison, le marketing sexiste freine l'égalité femmes-hommes de plusieurs façons."

Concernant les jouets genrés, elle ajoute : "Alors que beaucoup essaient de déconstruire les stéréotypes liés au sexe afin d'éviter les biais à l'embauche, de promouvoir les sciences aux jeunes filles et les métiers du care aux jeunes garçons, le marketing ne peut et ne doit plus continuer à nous infliger des rayons de jouets 'pour filles' remplis de jouets pour apprenties ménagères ou des livres de bricolage et voitures spécialement 'pour garçons'. En mettant les individus, et notamment les enfants, dans des cases de genre, on les empêche de choisir en fonction de leur intérêt et on perpétue les stéréotypes."

Elle dénonce également l'objectification du corps des femmes qui, selon elle, "participe au continuum des violences faites à leur égard et à la discrimination qu'elles subissent."

Pour Pépite Sexiste, les publicitaires sont souvent en retard : "Lorsque les femmes dénoncent la charge mentale, le harcèlement ou encore la discrimination qu'elles subissent au quotidien et quand on voit certaines pubs objectifier ou stéréotyper les femmes en 2018, on se demande si les publicitaires suivent les news."

Un changement très lent dans les agences


Et la mobilisation peut payer. Le hashtag #NotBuyingIt, lancé lors du Super Bowl aux États-Unis afin de dénoncer les publicités sexistes, a permis de les limiter pendant cet événement sportif largement suivi. "Cela a eu des retombées majeures sur la communication des marques et les pubs sont désormais beaucoup plus progressistes. Cela prouve bien que nous pouvons influer sur le contenu des marques, il suffit juste d'un hashtag", se réjouit Pépite Sexiste. "A l'ère des réseaux sociaux, l'image de marque est un avantage compétitif majeur pour créer et maintenir une relation long-terme avec ses client·es et Pépite sexiste existe afin de leur montrer que la représentation est une priorité des consommateurs et consommatrices et que nous n'accepterons plus la facilité du sexisme ordinaire."


Que faire pour que le marketing change ? Étudiante, celle qui utilise comme avatar une image du dessin animé Daria dit avoir écrit un mémoire sur l'impact de la publicité. "Il est prouvé que les publicités progressistes sont 25% plus efficaces et améliorent l'image de marque. Donc si l'argument éthique ne suffit pas, il faut insister sur cet argument financier auprès des annonceurs ou agences. Sans pour autant entrer dans le "feminism washing", il est facile et bénéfique pour une marque d'éviter le sexisme ordinaire."

Dernièrement, une publicité pour une culotte vibrante s'est rendue coupable d'un bad buzz mondial en jouant sur les clichés entre femme et football. Parfois le sexisme est tellement gros que l'on se demande si les marques ne font pas exprès : "S'il est désormais prouvé que le sexe ne fait pas vendre, beaucoup de marques continuent à dénuder des femmes pour vendre des burgers, ou des fenêtres, car dans l'imaginaire collectif, le "sexy" attire l'oeil et donc la visibilité. Le fait est que les publicités "sexy" peuvent être appréciées par l'oeil du consommateur ou de la consommatrice, mais ceux-ci ne retiendront pas ou peu la marque ou le produit/service présenté dans la pub, ce qui est pourtant le but d'une campagne marketing."

Exemple frappant avec la campagne Beach Body Ready qui avait ulcéré les Londoniennes en 2015 : "S'il est vrai qu'un bad buzz permet d'accroître la visibilité d'une marque, c'est une stratégie qui peut être efficace à court terme mais qui est néfaste à long-terme car cela entache sa réputation et donc son image."

Quand les marques réagissent aux critiques

Les marques réagissent aux posts qui les accusent de sexisme : "Certaines me répondent en s'excusant ou en se justifiant. Même si beaucoup snobent mes posts, je me dis qu'à l'avenir, les équipes réfléchiront peut-être plus à leur stratégie de communication afin de ne plus apparaître sur mon site. Et plus nous serons nombreux-ses, plus il sera difficile pour les marques de nous snober. Dernièrement, le patron de ce Super U dans l'Indre m'a bloquée sur Twitter et sur Facebook. Une autre m'a répondu : "Pauvre France" alors qu'elle vendait des lentilles de contact en faisant poser une femme en culotte. D'autres me disent : "C'est une femme qui l'a fait". Ces retours confirment mes propos sur le manque de sensibilisation au sexisme."

Pourtant, la créatrice de Pépite Sexiste tente de rester positive : "Le changement de mentalités se fait peu à peu dans les agences de communication. Cela devient une priorité dans certaines agences mais pas toutes. On ne le voit pas mais dans l'ombre, des gens participent à améliorer la situation et sont récompensés pour cela. Ainsi, le Cannes Lions Festival a créé en 2015 le prix "Lion de Verre" pour récompenser les campagnes qui cassent les stéréotypes sexistes. Le fait que les gens se mobilisent pour dénoncer le sexisme publicitaire et qu'à côté de cela, les pubs progressistes soient récompensées est un bon signe quant au changement de mentalité qui s'opère."

Elle insiste : "Ce n'est pas une guerre des sexes. Il ne s'agit pas de vouloir un quota d'hommes-objets dans les pubs ou d'ignorer l'existence des femmes ayant choisi d'être mères au foyer, mais de montrer les individus dans leur multi-dimensionnalité afin d'éviter qu'un sexe soit assimilé à certaines compétences et que l'autre sexe soit assimilé à des compétences antagoniques."