Les filles effacées d'un manuel de maths en Iran : les internautes rectifient

Publié le Mardi 22 Septembre 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Un manuel de maths sexiste : avant/après (Photo du journaliste Sebastien Usher)
Un manuel de maths sexiste : avant/après (Photo du journaliste Sebastien Usher)
Les filles "dégagées" d'un manuel de maths ? Oui, c'est bel et bien qui s'est arrivé en Iran, avec la bénédiction du ministère de l'Education. C'est la pépite sexiste du jour.
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Il s'agit d'un banal manuel de maths iranien de troisième année de primaire, rien de plus. Mais si on l'explore, on découvre que sa couverture, représentant des élèves autour d'un arbre, présente dans la précédente édition, a tout simplement été... purgée de toute présence féminine. Une "révision" repérée par des internautes (et visible ici) et vivement critiquée à l'heure où les enfants d'Iran s'apprêtent à revenir dans leurs salles de classe.

Comme le précise le site France 24, l'illustratrice iranienne à l'origine du dessin initial n'était même pas au courant de ces curieuses retouches, et l'a exprimé sur son compte Instagram.

Nombreux sont les internautes à proposer sur les réseaux sociaux leur propre version du manuel, davantage "féminisée". D'aucuns insistent même pour y faire figurer Maryam Mirzakhani. Cette brillante mathématicienne iranienne, professeure à l'université de Stanford, est la seule femme de l'Histoire à avoir reçu la prestigieuse médaille Fields, qui depuis près d'un siècle récompense les grands esprits des maths.

Pirater le manuel ? Une initiative saluée par la journaliste iranienne Azadeh Shafiee, qui, sur Instagram, rappelle à sa dizaine de milliers de followers la présence (et l'importance) en Iran des "milliers de femmes et d'hommes qui désirent l'égalité". "Honte à un pays qui dévalorise le statut des filles", réagit à l'unisson un commentateur.

Les réparties malicieuses des internautes

D'autres journalistes iraniennes, comme Masih Alinejad, n'hésitent pas à employer les grands mots. Sur Twitter, la reporter parle d'un micro-événement "choquant mais pas surprenant", signe des "discriminations entre les sexes" qui se perpétuent dans le pays. Une véritable "insulte", écrit-elle encore. La journaliste fustige par ailleurs l'inaction de Masoumeh Ebtekar, actuelle vice-présidente des droits des femmes et de la famille en Iran, qui, en prenant le parti du ministère de l'Education, démontrerait qu'elle n'est que "faussement progressiste".

Une polémique nourrie par les réactions des internautes et parents d'élèves, malicieuses à souhait. L'illustration retouchée est par exemple enrichie de stickers à l'effigie de personnages de fiction féminins qui viennent investir et combler les blancs du dessin. De quoi rendre le tout plus ludique, et surtout, égalitaire.

Que rétorque donc le ministère de l'Education face à ce phénomène social ? Que cette modification des manuels a été pensée car la couverture initiale était "trop chargée", relate France24. Oui, on a déjà connu meilleure excuse.

Un dossier de plus à rajouter à la pile des pépites sexistes du monde des maths. Il y a un mois à peine, une maison d'édition chinoise provoquait un tollé en proposant un manuel de maths "pour garçons" et un autre "pour filles", tous deux gavés de stéréotypes sexistes. Mais pas besoin d'aller chercher aussi loin. Chez nous aussi, les livres de maths s'avèrent problématiques. Une étude du centre Hubertine Auclert datée de 2012, "Égalité femmes-hommes dans les manuels de mathématiques, une équation irrésolue ?", mettait (entre autres) l'accent sur l'omniprésence des personnages masculins au fil des pages. Là encore, nous cherchons les filles...

"Améliorer les livres de mathématiques est un enjeu féministe", affirme à ce titre l'autrice britannique Shirley Conran, qui constate le même problème au Royaume-Uni. En attendant que tout change, les fiascos s'enchaînent.