Société
Transition, préjugés, violences : ce que Lexie, militante trans, veut que vous sachiez
Publié le 20 février 2020 à 14:21
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Lexie, 24 ans, est l'intigatrice du compte Instagram Aggressively Trans. Grâce à son travail pédagogique, la jeune femme trans souhaite informer, mais aussi visibiliser les personnes transgenres et combattre les discriminations. Nous avons longuement papoté avec la militante sur sa propre transition et ses combats.
Lexie, créatrice du compte Instagram Agressively trans Lexie, créatrice du compte Instagram Agressively trans© DR
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C'était pendant les fêtes de fin d'année, lors d'un moment d'extrême lassitude. Lexie n'en pouvait plus de répondre à des questions du type : "Mais qu'est-ce que tu es ?". Alors elle a créé son compte Instagram, aggressively_trans, sur lequel elle s'emploie à offrir des réponses aux interrogations des plus naïves aux plus pointues sur les transidentités ou poste des petits formats pédagogiques pour expliquer, dédramatiser, transmettre. "J'aimerais qu'on sache vraiment ce qu'est une personne trans. Aujourd'hui, ça manque", soupire-t-elle. Parce que Lexie est une jeune étudiante de 24 ans en histoire de l'art. Et que Lexie est elle-même une femme trans. Une transition sociale entamée il y a trois ans, une transition médicale amorcée il y a un an après un parcours émaillé de doutes, de questionnements et de douleurs.


Aujourd'hui, à travers son compte, mais aussi de conférences et d'interventions en milieu scolaire, Lexie se bat pour les droits et la visibilité des personnes transgenres et souhaite leur offrir un espace empouvoirant d'écoute et de dialogue. Avec beaucoup de bienveillance et une patience infinie, la voici (un peu malgré elle) porte-voix d'une communauté qui en manque cruellement. Lexie a accepté de raconter son parcours personnel et ses combats, portée par la colère et animée par l'espoir que les regards scrutateurs, l'ignorance et les violences transphobes disparaissent.

Terrafemina : A quel moment as-tu senti que ton genre n'était pas celui qui t'avait été assigné à la naissance ?

Lexie : Ça a été assez long de le nommer et de comprendre que c'était une "différence". Dans mon enfance, ce n'était pas un sujet : pour moi, j'étais une fille. Mais avec la puberté et l'adolescence, mon corps de garçon a changé et cela a créé un dégoût de moi-même. Et les injonctions étaient nouvelles : "Pourquoi tu n'as pas de copine ?", "Arrête de pleurer !", "On va te couper les cheveux", "Ne joue pas ça". Ce n'était pas des injonctions de mes parents, qui eux, m'ont toujours offert l'espace pour développer ma personnalité sans qu'ils n'aient de jugement. C'était plus la famille élargie, au collège qui a été une période très compliquée... En gros, je naviguais dans un espace de sociabilisation auquel on n'a pas le choix n'appartenir et où les normes sont imposées.

Et vers 20-21 ans, cela a été très compliqué. Je n'osais pas en parler jusqu'au moment où j'ai enchaîné les tentatives de suicide. Ce n'était plus possible. J'avais compris.

Et tu n'arrivais pas à mettre les mots sur ton mal-être ?

L : Pendant longtemps, non. Comme tout le monde, je n'ai pas grandi avec la conscience que les personnes transgenres existaient. J'avais entendu le mot "transexuel", mais je ne savais pas ce que c'était exactement. La seule visibilité que j'avais sur les personnes trans, c'était des émissions du style C'est mon choix. Je sentais bien qu'il y avait un truc, mais je n'avais pas de mot pour me définir... J'ai fait un coming out en tant que homme gay vers 17 ans. Et même en m'épanouissant dans cet espace-là, ce n'était pas moi. Toujours pas.

Lexie du compte Agressively Trans © DR
Qu'est-ce qui t'a aidée à te déconstruire ?

L : Mon arrivée à Paris pour y faire mes études. Cela m'a beaucoup aidée. La communauté queer y est déjà plus nombreuse, visible et active. Voir des personnes trans pendant la Pride par exemple, d'un coup, c'était évident. Et puis il y a eu la vidéo de coming out du comédien Océan, qui était très forte. J'admirais Océan dans ses spectacles avant cette vidéo et je me suis dit : "Il est connu, il est visible et il a le droit". Cela m'a fait réaliser que moi aussi, j'avais "le droit".

Penses-tu que l'on appréhende son genre avec le temps ?

L : Oui, complètement. Le genre est un chemin très mouvant pour tout le monde. Des femmes cisgenres n'ont pas la même vision de leur genre à 13 qu'à 35 ans. Parce qu'on apprend progressivement que non, on n'est pas obligée de s'épiler tout le temps, qu'être "féminine", ça prend plein de formes. Et puis on reçoit l'héritage de ses soeurs, de ses amies qui amènent des nuances dans la façon de vivre son genre.

Comment as-tu fait ton coming out trans ?

L : Mes parents me lançaient des perches lorsque j'étais en dépression. Et ils "sentaient". Aujourd'hui, ils me disent qu'ils l'ont toujours su, mais ils n'arrivaient pas à verbaliser. Jusqu'au jour où j'ai réussi à le verbaliser en retour. Après ça, j'en ai parlé à mes soeurs, à mes grands-parents... Cela s'est étalé sur plusieurs années. J'ai eu beaucoup de chance dans ce coming out parce que c'était beaucoup plus apaisé que pour certaines personnes.

Quelles ont été les réactions ?

L : Elles ont été assez variées. Mes parents ont toujours affirmé qu'ils seraient là quoi qu'il arrive et je les en remercie car il y a beaucoup de personnes trans qui sont mises à la rue ou agressées sexuellement après leur coming out.

Le coming out a parfois de conséquences très lourdes. J'ai deux soeurs : l'une d'elles a tout de suite été très engagée. Mes parents aussi veulent créer une structure pour les parents trans car ils ont constaté que cela manquait cruellement. Mais ma deuxième soeur, qui m'avait d'abord affirmée son soutien, ne me parle plus aujourd'hui. Cela me blesse et me met en colère.

J'ai des ami·e·s aussi qui ont décidé de ne plus me parler. Le problème quand on est trans et lorsqu'il y a un coming out, c'est qu'il faut s'attendre à ce qu'il y ait forcément un rejet à un endroit, sans compter le rejet professionnel lorsqu'on veut s'y intégrer. Le rejet fait partie de notre quotidien. Mais nous avons aussi une vie communautaire qui est très active, très bienveillante et très positive. Comme une deuxième famille.

Quelles démarches administratives as-tu déjà entreprises ?

L : J'ai changé de prénom l'été dernier. Je suis en train de constituer mon dossier pour le changement à l'état civil et là, c'est plus compliqué. Je serai convoquée au tribunal, ce qui n'est jamais anodin symboliquement.

L'un des gros enjeux dans le militantisme des personnes trans, c'est l'autodétermination. On doit prouver par la parole d'autres personnes, des lettres de notre famille, de nos proches, du monde professionnel qui doivent dire : "Oui, cette personne est bien ce qu'elle dit être". Ce n'est pas notre parole qui compte, c'est celle des personnes cisgenres qui nous entourent... Mais quand ce sera fait, j'intégrerai un système que j'essaie de déconstruire et je pourrais aussi faire plein de démarches administratives sans avoir peur lorsque je sors ma carte d'identité. C'est contrasté, doux-amer, mais j'ai quand même hâte !

 

Tu as entamé ta transition sociale il y a trois ans maintenant, puis ta transition médicale.

L : Oui, j'ai mis plus de temps pour la transition médicale parce que c'est plus long. En France, on peut passer par la voie officielle, au sein de la Société française d'études et de prise en charge de la transidentité (SoFECT). Ce sont des équipes pluridisciplinaires de psychiatres, endocrinologues qui encadrent les transitions. Ce sont eux qui donnent les traitements, qui autorisent les chirurgies. Ils sont censés être spécialistes du genre, mais peuvent être très maladroits... Cette association, mise en place à la demande de l'Assurance maladie et du ministère de la Santé, permet un accès plus rapide et les remboursements sont quasiment assurés.

On peut aussi passer par des généralistes et des endocrinologues indépendants, mais ils font ça un peu en cachette. On se transmet les noms dans la communauté. Et c'est plus compliqué.

Pour les chirurgies génitales, nous sommes très peu à vouloir les faire. Moins de 20% de trans sont opéré·e·s des organes génitaux. D'après les assurances-maladies, en 2016, il n'y avait que 300 opérations. Ce n'est rien !

Pourquoi aussi peu de personnes trans se font-elles opérer ?

L : Plusieurs facteurs : ça fait peur. C'est une opération qui est très lourde, le risque de mortalité existe, la cicatrisation est très longue et contraignante et il y a des effets secondaires en termes de perte de sensibilité, des problèmes urologiques. Je pense aussi qu'il y a une écrasante majorité de personnes trans qui pensent que nos organes génitaux ne sont pas "définissants" du genre et donc, on vit très bien avec. Et certaines personnes constatent que les effets des hormones sont largement suffisants pour avoir une présentation sociale et une perception de notre corps très épanouissante.

 

Et pourtant, les personnes cisgenres sont obsédées par cette question du "changement de sexe".

L : Oui, et je comprends cette "fascination". Quand on ne comprend pas ce qu'est une personne trans, ce qu'on retient, c'est le truc incroyable de changer d'organes génitaux. Parce qu'on associe encore trop souvent genre et sexe.

Qu'est-ce qui a été le plus violent depuis le début de tes transitions ?

L : Le rejet de ma soeur et les remarques que j'ai pu recevoir avec mon traitement, que j'avais beau "me mutiler", je ne serai jamais une femme...

Dans les choses les plus fortes et positives, il y a surtout la transition en elle-même : c'est incroyable à vivre. Ce n'est pas toujours facile parce que les traitements sont fatigants, ce sont plein de changements surprenants. Et quand le corps les intègre, c'est génial. La rhétorique du "né dans le mauvais corps", je ne l'aime pas beaucoup parce que mon corps, c'était déjà le mien- que je l'aime ou pas- et il m'offre une base pour enfin me sentir à l'aise avec lui. Il y avait mon corps et moi et les deux n'arrivaient à s'accepter et à se connaître. C'est le cas maintenant. C'est beau et c'est une chance.

Avec ton compte Instagram, tu fais beaucoup de pédagogie. Donne-nous quelques exemples de posts.

L : Oui, j'essaie de parler de plus de sujets possibles. Par exemple, j'ai abordé les privilèges des personnes cisgenres. Parce que la société, la culture ont été construites par et pour des personnes cisgenres, qui sont la majorité. De fait, les toilettes publiques, les papiers administratifs sont faits pour les personnes cisgenres. Cela n'a l'air de rien, mais quand on n'y a pas accès, c'est chiant.

Et puis on n'attend pas des personnes cisgenres qu'elle explique son genre, on ne cherche pas à savoir ce qu'elle a dans la culotte. Je ne dis pas que lorsqu'on est cisgenre, on n'a pas de problèmes. Mais on a la chance de ne pas avoir de problèmes liés à son genre. Et c'est une vraie chance.

Tu réponds aussi aux questions que les internautes t'envoient. Quelles sont les plus récurrentes ?

L : On me demande souvent si lorsqu'on parle d'une personne trans avant sa transition ou son coming out, on peut utiliser tel ou tel pronom, on me demande quels sont les organes génitaux associés à "femme trans", si les hormones, c'est lourd...

Je reçois à la fois des questions de personnes concernées qui veulent sur les étapes de transition (comment on change de prénom, d'état civil) ou de personnes non-concernées qui se demandent ce qu'est une personne trans.

Ton compte vise également à lutter contre la transphobie, qui prend mille et une formes.

L : Oui, cela peut être le fait d'avoir peur de sortir sa carte d'identité quand on n'a pas changé la mention de genre parce qu'on sait que ça peut exposer à des regards méfiants, à ds moqueries, à des critiques ou des questions très intrusives. On a aussi des services médicaux qui sont beaucoup moins bien rendus. Les hommes trans ont besoin d'aller voir des gynécologues et souvent, il y a une vraies violence qui s'opère à ce niveau. Ou le simple fait de faire ses courses : on a déjà refusé de m'encaisser. On me traite parfois de "travelo" dans les transports ou d'"erreur de la nature", d'"espèce de monstre", j'ai déjà été suivie dans la rue... Il y a aussi beaucoup d'invitations au suicide.

Bref, la transphobie, c'est un ensemble de violences qui sont physiques, verbales et émotionnelles. Et on ne devrait pas avoir à les subir : elles sont injustes et amènent à de l'isolement social, à une peur constante, à de l'anxiété, de la dépression. Et ça peut être insupportable à vivre.

Il y a à l'heure actuelle une scission au sein du mouvement féministe. Certaines militantes se sont démarquées par leurs positions excluant les femmes transgenres de la lutte.

L : Oui, sur Instagram et Twitter surtout, il y a eu des prises de position de personnes qui se revendiquent féministes, qui ont affirmé leur "épuisement" face à la prise d'importance des revendications des personnes trans et notre inclusion au sein des mouvements féministes. Elles ont affirmé que nous n'étions qu'une "minorité". Ce qui est vrai. Mais les femmes noires aussi. Et elles ont des revendications parce qu'elles subissent du racisme. Il faudrait ne pas les inclure ? Cela a vite tourner autour du : "Moi, j'ai un utérus", "Je ne veux pas une invasion d'hommes". C'est devenu hallucinant.

Ces TERF ("trans-exclusionary radical feminist"- Ndlr) sont un mouvement de pensée qui existe depuis les années 80. C'est très théorisé et construit. Jusque-là, en France, cela n'était pas verbalisé. On ne les entendait pas. Mais il y a actuellement une vraie dynamique des questions de transidentité qui s'est mise en place. Et cela a "libéré" cette parole.


Que répondrais-tu à ces personnes ?


L : J'ai envie de répondre que ce n'est pas grave ! On est en train de créer une dynamique qui est inclusive.


Quels droits attends-tu pour les personnes transgenres ?


L : J'attends le droit à l'autodétermination, donc qu'on n'ait plus forcément besoin d'être reconnu·e comme "dysphorique" - qui est un trouble mental- pour avoir accès à des traitements hormonaux. J'attends aussi que l'on visibilise plus les personnes trans en situation de précarité, que des structures soient mises en place pour l'accueil des personnes trans qui sont rejetées de chez elles et sont hyper précarisées. Mais aussi que la PMA soit vraiment pour tout le monde, que l'on systématise la formation aux questions de genre en milieu scolaire, universitaire, dans les entreprises. Il y a tellement de choses à faire !


Rendre visible, c'est donner une existence dans l'espace social. Et quand tu ne vois pas, tu ne sais pas que quelque chose existe et on ne connaît pas. Et donc, il ne peut pas y avoir de mesures adaptées. J'attends plus de représentations, des élu·e·s politiques trans...


Tu aides les autres. Mais toi, qui t'aide et te guide ?

L : J'essaie de m'aider moi-même (rires). Et mon parcours de transition a aussi été un parcours d'empouvoirement, de prise de confiance en moi, d'acceptation. Et j'ai aussi la chance d'avoir mes parents, des ami·e·s très encadrant·e·s et cette dynamique dans la communauté. Je pense que je reçois plus que je ne donne.


As-tu des modèles qui te permettent de t'identifier ?

L : Oui, et pas que des personnes trans d'ailleurs. Océan est important car c'est quelqu'un qui a beaucoup de privilèges, mais qui le reconnaît et qui essaie d'en faire quelque chose. Il y a une militante afro-féministe qui s'appelle Sharon Omankoy, travailleuse sociale, qui aide les femmes migrantes, noire, atteintes du VIH. C'est une femme qui a une colère constructive, qui n'a pas peur de pointer les responsabilités. Elle m'inspire énormément. Et il y en a tellement d'autres !

Quels documentaires, films, livres, séries recommanderais-tu pour mieux se sensibiliser aux transidentités ?


L : En films, il n'y en a pas beaucoup... Il y a un très bon documentaire, récompensé au festival Chéries Chéris, Indianara (2019). On y suit Indianara, une militante brésilienne trans dans le contexte du début de mandat de Bolsonaro. Le documentaire d'Océan est aussi très bien.

Il y a également les podcasts d'un sociologue, Paul Preciado : Les couilles sur la table et sur France Culture. C'est très intéressant.

Il y a un bouquin qui ne parle pas de transidentité, mais qui est très riche sur les questions liées au genre : La pensée straight de Monique Wittig. Il y a aussi les ouvrages de la philosophe Judith Butler, même si cela a un peu vieilli.


Dans les séries, il y a aussi Sex Education. Et puis il y a eu aussi l'événement de Laverne Cox dans Orange Is The New Black. Elle va d'ailleurs bientôt jouer dans un biopic sur Mary Jones, une trans noire à New York dans les années 1830.

J'ai vu aussi un court-métrage que j'ai trouvé très beau, Les lèvres gercées. Un jeune homme trans qui essaie de parler à sa mère. Plein de non-dits, de tensions...

Tu t'exposes de plus en plus, ce qui implique malheureusement souvent de la violence. Qu'est-ce qui te donne de la force ?


L : La colère. Ça motive beaucoup ! Mais aussi la bienveillance. Alors oui, il y a le retour de bâton : il y a quelques mois, on m'a reconnue et on m'a agressée. S'exposer, c'est un vrai risque. Mais ce qui me fait le plus peur, c'est de devenir un "résumé" des personnes trans. Je ne veux pas que l'on se dise que je parle au nom des personnes trans.

Je suis une personne trans binaire, blanche. Il y a des personnes trans racisées pour qui c'est encore plus compliqué. Je ne peux pas incarner toute une lutte, ce n'est pas possible. Et puis, j'espère que je ne deviendrai pas une espèce de monstre d'ego. Mais je pense être assez consciente pour ne pas me laisser dévorer. Et mes parents y veilleront !

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