"Les préjugés concernant les personnes trans sont nombreux et très ancrés"

Publié le Lundi 29 Juin 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Lexie nous dit tout sur sa militance.
Lexie nous dit tout sur sa militance.
Sur son compte Instagram "aggressively_trans", Lexie déboulonne la transphobie ordinaire et assure aux personnes transgenre une visibilité encore trop inégale. Un activisme digital fidèlement salué par plus de 39 000 abonnés·e·. Pour Terrafemina, elle explique son travail de pédagogie.
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Sur Instagram, les esprits s'éveillent peu à peu. En ce mois de juin placé sous le signe des Fiertés LGBTQ+, de plus en plus de voix se libèrent afin de valoriser les transidentités au sein du réseau social. Un travail de visibilité nécessaire conciliant bienveillance et militantisme. Des termes qui résument à la perfection le compte majeur (et massivement suivi) de Lexie, aggressively_trans.

D'une publication à l'autre, la jeune femme transgenre répond à la haine et à l'ignorance à grand renfort de pédagogie, de leçons d'histoire, d'humour et de témoignages. Véritable référence en France, son espace d'échange évoque autant l'idéal d'une société "trans-inclusive" et le phénomène du "cisplaining" que les droits des personnes transgenres noires.

Pour Terrafemina, Lexie a accepté de revenir sur la lutte au quotidien qui est la sienne, ce qu'elle suscite, ce qu'elle révèle, et aussi ce qu'elle apporte.

Terrafemina : En quoi consiste votre compte ?

Lexie : Mon compte est un espace militant, pédagogique, d'échange, qui se veut aussi un espace de sécurité pour les personnes trans, et les personnes cisgenres. Je l'ai créé après une période de grandes violences sur les réseaux sociaux, pour montrer ces violences, ne plus les subir seule, amener des réflexions partagées et condamner des injustices. Instagram s'est vite imposé parce que je connaissais déjà la plateforme. Son fonctionnement m'était instinctif et agréable.

A quel âge avez-vous entamé votre transition ? Votre parcours a-t-il été compliqué ?

Lexie : J'ai fait mon premier coming out à 20-21 ans, la transition sociale a suivi directement. Je transitionne médicalement depuis plus d'un an maintenant. Je crois qu'une transition comporte toujours des moments de difficultés, c'est un chemin long et irrégulier pour tout le monde. Pour moi, il a d'abord été retardé par une relation amoureuse violente.

Par la suite, ce sont surtout les temps d'attente, les difficultés d'accès à des informations claires et pratiques qui ont été des obstacles. Les proches ont presque tou·s·tes été très soutenant·es·x. Une de mes soeurs ne me parle plus et des ami·es ont pris leurs distances, mais je suis très chanceuse et privilégiée malgré tout.

Quel accueil recevez-vous en postant régulièrement sur Instagram ?

Lexie : Les réactions sur Instagram sont vraiment très variées, je reçois de tout. Certains sujets comme les privilèges cisgenres, les responsabilités dans la transphobie, en politique, ou encore les discours sur le corps et la biologie, laissent rarement insensibles. Ils suscitent beaucoup de violence, des insultes en commentaires et en messages privés.

D'autres comme les témoignages et portraits ou les vidéos biographiques amènent à l'inverse beaucoup de soutien, de bienveillance et des réactions de surprise. On me remercie souvent, on m'encourage à continuer, on me pose aussi beaucoup de questions pour approfondir, connaître mon avis, on me demande des conseils ou des références... Je reçois aussi des insultes, des menaces, des moqueries...

Beaucoup de personnes me demandent également "comment savoir si on est trans", une question difficile à laquelle je ne peux pas apporter une réponse toute prête, seulement des pistes de réflexions. On me demande de l'aide aussi par rapport aux démarches administratives de transitions. Enfin, je reçois beaucoup de questions "d'allié·e·s" sur quoi faire de plus.

Quels sont les pires préjugés concernant les personnes transgenres ?

Lexie : Ils sont nombreux et très ancrés : il s'agirait d'un choix ou d'une dérive, voire d'une maladie, nous serions instables, chercherions avant tout l'attention, les transidentités seraient une nouveauté... On entend aussi que les transitions sont des mutilations, que nous cherchons à "convertir" ou à "pervertir" les gens. Il existe enfin de nombreux clichés sexuels : les femmes trans seraient prédatrices, hypersexuelles, "filles faciles"...

Comment réagir à la transphobie tout en se préservant ?

Lexie : En se préservant, je ne sais pas si c'est possible. En tout cas quand on est concerné·es·x, je crois qu'il y a tout un travail pour "se blinder", même si ça reste désagréable. Par contre, pour rendre ça moins pénible, c'est important d'avoir des moments à soi, des personnes et des espaces qui sont totalement coupés du militantisme.

Se souvenir de pourquoi on milite également, analyser objectivement la transphobie pour voir son artificialité, comprendre qu'elle est profondément fausse. Et juste avoir des passions, déjà, ça aide.

La pédagogie, omniprésente au sein de la communauté transgenre sur Instagram, peut-elle être l'une des réponses à l'intolérance ?

Lexie : Je crois qu'il y a des réponses militantes très différentes et complémentaires. J'ai choisi la pédagogie, mais parfois c'est seulement la colère qui s'exprime, l'émotionnel. Je dirai que la pédagogie doit exister, mais elle ne doit pas être attendue de toutes les personnes trans, il ne faut pas que celles-ci se sentent constamment obligées d'être pédagogues. Chacun s'exprime à sa façon.

La visibilité de la communauté trans est-elle encore trop mince sur Instagram ou de plus en plus nette à vos yeux ?

Lexie : Elle est assez belle sur Instagram mais que ce n'est pas représentatif de ce qui existe plus largement dans la société. On peut cibler des contenus et des créateur·rices·x trans et donc voir une grande quantité de personnes trans, et ce n'est pas le cas dans d'autres médias, ou au quotidien. C'est plus sécurisant de se dévoiler sur les réseaux sociaux, et c'est parfois le seul espace disponible. Et ça ne veut pas dire que la situation est parfaite.

L'activisme digital contribue-t-il à faire évoluer les choses et les mentalités ?

Lexie : Je vois au quotidien que ces actions sont utiles. Elles sont souvent moquées mais d'expérience je sais qu'offrir un contenu accessible, rapide sur un espace fixe, ça fonctionne toujours petit à petit. Ça suscite des questions, ça apporte des connaissances et des perspectives nouvelles. Et le fait que ce contenu soit disponible et gratuit facilite tout un travail de déconstruction, qui prend du temps.

Pensez-vous qu'un compte comme le vôtre puisse faciliter les coming out trans ? Etre d'un certain recours et réconfort pour les personnes transgenre, notamment les jeunes ?

Lexie : C'est en tout cas un but clairement affiché, et un espoir. Mais c'est difficile à estimer, d'autant plus que j'avoue avoir un gros syndrome de l'imposteure. On m'a déjà dit "dans la vraie vie" que j'avais pu faciliter un coming out, il semblerait donc que ça soit le cas. Un compte comme le mien permet aussi d'organiser des événements, des discussions en non-mixité par exemple, et cela fait de la plate-forme un espace de rencontre et de soutien intermédiaire.

Quels comptes Instagram recommanderiez-vous pour mieux se sensibiliser ?

Lexie : Autour des transidentités et en français il y en a plusieurs qui me semblent incontournables et très utiles : Bienveillance en spray
Salinleon
Le bric à Brac de Brieuc
Ptransvsgrindr
Paye ta transphobie
Haus of Pia Pia ...

Et en anglais il y a le compte de Munroe Bergdorf ,
Mais aussi Goddess platform,
Pinkmantaray
Hellomynameiswenmdnesday ...

Y'a-t-il encore beaucoup à faire pour faire entendre les voix des personnes transgenres ?

Lexie : Énormément. Parce que les réseaux sociaux ont un impact qui reste limité au niveau politique, et propose une visibilité qui gagne encore très peu les médias plus traditionnels. Nous restons donc des espaces communautaires de niche, en grande majorité. Or nos voix doivent amener des vraies décisions et actes : lois, moyens financiers...

Comment défendre les droits des personnes trans ?

Lexie : Reconnaître ses privilèges et savoir les utiliser. Partager notre contenu, ne pas rester silencieux-ses face à des violences, venir en manifestation avec un marqueur (genre un badge qui dit "allié·e"), apprendre toujours plus, faire des dons à des associations ou à des créateurs·rives·x de contenu trans...

A l'avenir, quels droits attendez-vous pour les personnes transgenres ?

Lexie : L'autodétermination, la fin des changement de prénom et d'état civil après jugement par des personnes cisgenres. Une simplification des transitions médicales et la fin d'équipes officielles qui ont le pouvoir de décision et pas juste le rôle d'accompagnement.

Mais aussi un contrôle strict des discriminations, une PMA pour les personnes trans, la GPA, plus de financements publics aux associations, et d'éducation dans les milieux administratif, les écoles et les entreprises. Sans oublier, des législations en faveur des travailleur-ses du sexe, car le lien entre TDS et communauté trans et direct est important.