La Dr Katie Bouman à l'origine de la photo du trou noir devient la cible des sexistes

Publié le Lundi 15 Avril 2019
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
La chercheuse Katie Bouman
La chercheuse Katie Bouman
Le 10 avril dernier, on découvrait le visage de la Dr Katie Bouman, l'une des chercheuses sans qui la première photo d'un trou noir n'aurait pas pu être prise. Mais rapidement, l'enthousiasme médiatique s'est transformé en harcèlement.
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Le 10 avril, le monde découvrait la première photo de trou noir. Dans la foulée, le MIT (Massachusetts Institute of Technology, l'une des meilleures écoles d'ingénierie au monde) dévoilait une photo de Katie Bouman, la présentant comme scientifique meneuse de la création d'un nouvel algorithme à l'origine du cliché historique. Une découverte de taille qui annonçait une médiatisation internationale des recherches comme de la chercheuse.

En quelques heures, Internet s'est emparé de l'information et a vite nommé Katie Bouman comme la personne sans qui cette photo du trou noir supermassif M87*, capturée par l'EHT, un gigantesque réseau de télescopes, n'aurait pas pu exister.

Une deuxième photo de la jeune femme est sortie, celle qui a sûrement été la plus relayée. On la voit devant son ordinateur, le cliché du trou noir sur l'écran, émue et enthousiaste, ses mains sur la bouche. Une image touchante que personne n'aura résisté à partager, à juste titre.

La chercheuse a tout suite réagi en postant une publication sur Facebook rappelant que, comme l'indique le MIT dans plusieurs tweets, il ne s'agit pas du travail d'une seule personne mais d'une collaboration de plus de 200 scientifiques venu·es des quatre coins du globe.

"Aucun algorithme ou personne n'a créé cette image, il a fallu le talent incroyable d'une équipe de scientifiques du monde entier et des années de travail acharné pour développer l'instrument, le traitement des données, les méthodes d'imagerie et les techniques d'analyse qui étaient nécessaires pour réaliser cet exploit apparemment impossible", assure-t-elle.

Katie Bouman est humble, honnête, et ne tient absolument pas à se voir attribuer le mérite qu'elle considère appartenir au collectif, même si elle était effectivement à la tête de l'une des quatre équipes de code, comme l'indique The Verge.

Sexisme et invisibilisation

L'histoire aurait pu s'arrêter là, avec une découverte majeure et une scientifique impressionnante de génie et d'humilité. Mais non, la Toile a laissé la place aux pires spéculations. Des internautes ont rapidement remis en doute son implication réelle dans le projet, questionné si elle était vraiment l'autrice des lignes de code qu'on lui prêtait, et si en fin de compte, elle avait été si indispensable à l'avancée scientifique.

Très vite, ce succès a viré au harcèlement. La scientifique de 29 ans aurait même dû éteindre son téléphone tellement l'attention devenait oppressante, tandis que plusieurs personnes créaient de faux comptes Twitter à son nom.

Pourquoi ? Parce que Katie Bouman est une femme. Il n'y a pas d'autres explications : on n'aurait jamais autant discrédité un homme propulsé sur le devant de la scène pour une découverte de groupe de la sorte. Scène que Katie a d'ailleurs refusé de s'approprier, alors qu'elle aurait pu en profiter sans se sentir coupable. Comme le souligne un internaute, on attribue l'invention de la Tesla, voiture de luxe entièrement électrique, à Elon Musk sans rechigner alors qu'un paquet d'ingénieur.es sont derrière.

Andrew Chael, l'un des développeurs auteur du code qui a aidé à prendre la photo iconique, a lui-même fait part de sa colère face à la situation, et au fait que certains aient jugé injuste que lui et un de ses homologues masculins ne soient pas plus récompensés : "Donc apparemment, certaines personnes en ligne (j'espère très peu) utilisent le fait que je suis le développeur principal de la librairie de logiciels eht-imaging (...) pour lancer des attaques horribles et sexistes contre ma collègue et amie Katie Bouman. Arrêtez."

Il poursuit : "Si j'ai écrit la plupart du code, Katie a été une énorme contributrice à ce logiciel, il n'aurait jamais fonctionné sans sa contribution (...) Je suis excité que Katie soit reconnue pour son travail et qu'elle devienne une inspiration en tant que femme ayant mené des recherches en STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques)".

Car au-delà de récompenser le travail d'une chercheuse qui a clairement sa place sous les projecteurs, il s'agit aussi de visibiliser les femmes qui oeuvrent au quotidien dans la science, et plus précisément en physique et en astronomie, où elles gagnent 40 % de moins que leurs confrères, d'après une étude réalisée en 2013. Katie Bouman n'est pas seule à l'origine de la première photo d'un trou noir, mais ses travaux l'ont rendu possible, et c'est ce qui en fait un rôle-modèle essentiel aujourd'hui.