"The Wife" ou la magistrale histoire d'une invisibilisation

Publié le Jeudi 24 Janvier 2019
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
L'actrice Glenn Close dans The Wife de Björn Runge
L'actrice Glenn Close dans The Wife de Björn Runge
Dans cette photo : Glenn Close
En lice pour les Oscars, le film "The Wife" du Suédois Björn Runge sort jeudi 24 janvier sur le site de VOD de TF1. Glenn Close, qui a déjà remporté le Golden Globes de la meilleure actrice pour son rôle, y est absolument magistrale en femme invisibilisée par son mari.
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Il est des films qui donnent la rage. The Wife en est un. Basée sur une nouvelle de l'autrice Meg Wolitzer, Joan, jouée par Glenn Close, est l'assistante du magicien. Elle est celle sans qui rien ne serait possible pour son mari, Joseph Castelman.

Lui est écrivain, et un matin, dans leur maison avec vue sur un lac, le couple reçoit le coup de fil tant attendu venu de Suède : Joe a gagné le prix Nobel de littérature.

Arrivé·es à Stockholm, on le couvre d'honneurs quant sa femme n'a droit qu'à une assistante, chargée de lui faire faire du shopping en ville ou des séances beauté. Joan refuse poliment.

Puis tout s'enchaîne, comme ce rappel incessant que Joan doit faire à Joe pour qu'il prenne ses pilules, comme si elle s'occupait encore d'un vieil enfant. Ou ce moment où, entouré de flagorneurs, il explique que non, sa femme n'écrit pas ou qu'elle est sa muse. Elle est "madame Castelman", jamais elle.

Pourtant le doute s'installe sur cette équipe et sur leur histoire. Qui écrit, qui est le génie ?

Joan ne se considère pas comme une victime de son mari, il et elle sont une équipe. Mais The Wife, c'est le poids des apparences où la façade est plus importante que les sentiments, la tromperie. Mais comme dans toute maison mise à l'épreuve, la façade peut craquer.

C'est aussi une longue histoire d'amour. Peut-on encore aimer après 40 ans de vie commune ou est-ce les habitudes, l'attachement comme une équipe ? Mais goutte après goutte, quelle est celle qui fera déborder le vase ?

L'invisibilisation des "femmes de"

Le personnage de Joan voit ses espoirs de devenir écrivaine se briser dès l'université quand une autrice aigrie lui fait comprendre qu'en tant que femme dans l'Amérique des années 1950, elle ne sera jamais éditée, personne ne voudra d'elle.

C'est une histoire similaire qu'aura vécue le livre de Meg Wolitzer. Dans son discours de remerciements pour le Golden Globes de la meilleure actrice dans un rôle dramatique, Glenn Close a fait rire jaune la salle en déclarant : "Vous savez, ça s'appelait The Wife, et c'est sans doute pour cela que cela a mis 14 ans à être porté à l'écran !"

L'actrice a également eu des mots pour sa propre mère, qui elle aussi a dû subir l'invisibilisation : "Je pense beaucoup à ma mère. Qui s'est sublimée pour mon père, pour le soutenir, et qui me disait à plus de 80 ans 'j'ai le sentiment de n'avoir rien accompli', ce n'était tellement pas juste. Ce que j'ai appris tout au long de mon expérience, c'est que nous les femmes, nous sommes là pour être des nourricières, c'est ce qui est attendu de nous. Nous avons nos maris, nos enfants si on a la chance d'en avoir, nos compagnons, mais il nous faut aussi nous épanouir personnellement !"

L'héroïne du film The Wife illustre la longue liste des femmes qui dans la vraie histoire ont dû vivre dans l'ombre de leur mari, qui s'appropriaient leur travail. On peut citer le mari de Colette qui lui vola son oeuvre,un film vient de retracer ce vol, Clara Schuman, "femme de", Margaret Keane, peintresse dont le mari signait les oeuvres ou Mileva Maric, l'épouse d'Einstein.

Et combien d'autres femmes ont vécu le vol et l'invisibilisation de leur travaux par des hommes ? Marthe Gauthier, dont la découverte de la trisomie fut volée par Jérôme Lejeune, Rosalind Franklin qui découvrit l'ADN et qui se fit voler son travail par trois hommes, pour ne citer qu'elles.

Des femmes impuissantes dans leur époque, qui, à cause des circonstances, comme Joan n'ont pas pu, pas su, réclamer leur travail.

Une histoire qui nous sert d'exemple

The Wife et son actrice Glenn Close sont en route pour les Oscars. Elle est tellement magistrale et magnifique dans ce film que cela serait une deuxième invisibilisation pour son personnage qu'elle ne remporte pas la statuette. Elle y incarne à la perfection cette femme qui veut sauver cet équilibre et ce secret qui durent depuis si longtemps. Son histoire nous sert d'exemple : soyons fières de notre travail et crions sur tous les toits qu'il nous appartient. Il n'est jamais trop tard.

Le film The Wife sort en E-cinema sur le site de VOD de TF1 le 24 janvier.