"Colette", l'histoire d'un cas d'école d'invisibilisation

Publié le Mardi 15 Janvier 2019
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
Keira Knightley dans le rôle de Colette
Keira Knightley dans le rôle de Colette
Dans cette photo : Keira Knightley
Ce mercredi 16 janvier sort au cinéma le film "Colette" avec Keira Knightley dans le rôle de l'autrice du début du XXe siècle. On y découvre un Paris à la Belle Epoque parfaitement recréé et un cas d'école d'invisibilisation des femmes.
À lire aussi

Si certain·es l'ont peut-être étudiée à l'école, tout le monde ne connaît pas la flamboyante Colette, cette autrice et artiste du tournant du XXe siècle. Et le film Colette qui sort au cinéma ce 16 janvier est l'occasion pour le grand public de la découvrir ou de la redécouvrir, elle qui fut un temps maintenue dans l'ombre par son mari.


Le film du réalisateur Wesh Westmorland s'attache sur une partie bien précise de sa vie, celle où, après son mariage avec l'auteur Willy, il lui spolie son travail et le publie sous son nom à lui. Pour cela, l'histoire de Colette est un exemple simple et brillant de l'invisibilisation des femmes par leur mari.


Colette naît en 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye en Bourgogne. Elle est la fille d'un percepteur ancien militaire qui a perdu sa jambe et de Sidonie, une mère au fort caractère. Dans le film, on voit comment Sidonie a aidé sa fille à faire des choix alors que celle-ci était enfermée dans son mariage malheureux.


Le film Colette débute au moment où, Henry Gauthier-Villars, dit Willy, le fils d'un ami de guerre du père de Colette, vient demander sa main à ses parents. Plus âgé qu'elle, il est un critique et auteur à succès à Paris. Il l'a couvre de mots d'amour et le couple se marie alors que Colette est âgée d'à peine 20 ans.


Elle le suit à Paris. Là, elle découvre que Willy n'est qu'un simple chef d'entreprise qui fait travailler d'autres écrivains à sa place. Les affaires vont mal. Les romans écrits par ces employés ne marchent pas assez pour couvrir les dépenses somptuaires de Willy, le grand mondain.


Colette écrit aussi pour lui, elle lui rédige des réponses de lettres. Manquant d'argent, il réussit à la convaincre d'écrire un roman sur ses histoires de jeune fille bourguignonne. Ce sera Claudine à l'école, publié sous le nom d'auteur Willy. Le succès est phénoménal, tout Paris parle de lui. Colette reste dans l'ombre et regarde son mari briller.


Il la force à écrire une suite de Claudine. Le premier tome est adapté au théâtre et Claudine devient le personnage féminin de l'époque. Toutes les jeunes filles s'habillent comme le personnage de la série.


Mais derrière les portes et derrière les secrets se joue l'invisibilisation de Colette en tant que mère de son oeuvre. Willy passe ses journées à la trahir et, au bout de sa bride, lui offre un semblant de liberté. On peut ainsi suivre les débuts de l'histoire d'amour de Colette et de Mathilde de Morny, figure transexuelle historique.

L'histoire de Colette ou l'invisibilisation pour les nul·les


Sur ce plan, le film de Wesh Westmorland est magistral dans son récit de l'invisibilisation de Colette. Il narre ce qui devrait être enseigné dans toutes les écoles sur la manière d'un mari de voler les créations de sa femme. Et comment tout mettre en oeuvre pour la faire taire pour le bien de sa petite entreprise.


Elles ont été nombreuses à se faire voler leurs découvertes et leurs créations par leur mari. On peut citer la femme Mileva Einstein qui l'a aidé dans ses découvertes sans qu'aujourd'hui personne ne la connaisse.
Ou Margaret Keane, cette fameuse peintresse aux personnages aux yeux immenses qui a dû se battre pour récupérer la maternité de ses oeuvres. Son histoire avait elle aussi était portée à l'écran par Tim Burton (Big Eyes).


Keira Knightley, qui interprète Colette aux côté de Dominic West qui joue Willy, est parfaite dans le rôle. Elle continue sur sa lignée d'interprétation de femmes fortes en montrant la bataille interne de Colette pour se débattre dans le paraître et la frustration.

Le seul bémol que l'on peut trouver à ce film, de l'aveu même du réalisateur, c'est d'entendre l'anglais dans la bouche des acteur·trices, alors que l'histoire se passe en France. Mais les décors et les costumes sont d'une richesse exceptionnelle et recréés au détail près. On respire la Belle époque et toute sa fureur de vivre. Pas un détail ne manque, sans cliché baguette-béret.


Lors de l'avant-première à Paris le 9 janvier, Wesh Westmorland a parlé d'elle comme "l'autrice la plus connue de France". Si nous ne sommes malheureusement pas tout à fait d'accord avec cette affirmation, l'oeuvre de Colette mérite d'être lue et vue.

Et en sortant du cinéma, on fonce à la librairie découvrir son oeuvre.