Que doit-on attendre du Grenelle des violences conjugales ?

Publié le Lundi 02 Septembre 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
La Secretaire d'Etat Marlène Schiappa sur le qui-vive.
La Secretaire d'Etat Marlène Schiappa sur le qui-vive.
Ce 3 septembre aura lieu le Grenelle des violences conjugales à Matignon. Un événement qui laisse certaines voix militantes des plus circonspectes. Mais qu'en attendre au juste ?
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Le mois de septembre a beau n'en être qu'à ses prémices, il nous file déjà le cafard. Car suite à l'annonce de l'assassinat d'une femme dans les Alpes-Maritimes, c'est un chiffre tragique qui s'impose : il s'agit du centième féminicide comptabilisé en France depuis janvier dernier. La victime, âgée de 21 ans, serait morte des suites d'une violente dispute. Une annonce des plus dramatiques à l'aube du Grenelle des violences conjugales qui débutera ce 3 septembre à Matignon, introduit par le Premier ministre Edouard Philippe, et sous la directive de la secrétaire d'Etat chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes.

De cet avant-goût des 91 Grenelle locaux prévus à travers toute la France jusqu'au 25 novembre, que faut-il au juste savoir ? Petit topo à l'approche de l'événement.

Quelles initiatives ?

Prévenir, prendre en charge, punir. C'est ainsi que Marlène Schiappa résume les objectifs de ce Grenelle. Au Journal des Femmes, elle précise tout. A l'heure de la recrudescence des féminicides, les enjeux sont multiples : réfléchir à de meilleures mesures de prévention, mais aussi à une prise en charge, un hébergement et un accompagnement des victimes plus adéquat. A ce titre, les initiatives ne manquent pas. Augmenter de 30 % le budget des associations. Mettre en place une plateforme de signalement "avec des policiers mobilisés 24h/24". Recruter 73 psychologues au sein des commissariats. Sensibiliser au sujet dès l'école. Renforcer le nombre de places en hébergement - l'on en dénombre que 5000 depuis 2017.

Et puis surtout (c'est l'un des grands projets du gouvernement), créer le "fonds Catherine" contre les féminicides. Ce million d'euros émanant de l'Etat devrait bénéficier aux associations locales - à commencer par celles des régions Bourgogne, Pays de la Loire et Nord, précise le média. "Nous avons choisi de nommer ce fonds 'Catherine' car en France, il y a autant de femmes victimes de violences que de femmes prénommées Catherine", précise en ce sens la Secrétaire d'Etat. Une façon d'apporter un peu plus de "grands moyens", à l'heure où le budget national consacré à la lutte contre les violences conjugales n'est que de 79 millions d'euros.

Bon, mais comment tout cela va-t-il s'organiser au juste ? Et bien, comme l'indique France Inter, l'idée de ce Grenelle est d'assurer une concertation entre les membres du gouvernement (Nicole Belloubet, Christophe Castaner, Jean-Michel Blanquer, Julien Denormandie, Adrien Taquet) et les "acteurs" : associations, forces de l'ordre, proches des victimes, magistrats. Ce sont pas moins de quatre-vingt personnes qui sont conviées ce 3 septembre. Au programme ? Des tables-rondes à Matignon, mais aussi des centaines d'événements locaux par-delà Paris, supervisés par les préfets.

Pour quel accueil ?

Mais bien que tissé d'intentions louables, l'événement est loin de convaincre à 100%. L'une des raisons ? Son aspect restrictif. En effet, certaines associations ou proches de victimes déplorent de ne pas pouvoir y assister. "Nous n'avons que 80 places, il est impossible d'accueillir tout le monde, mais je ne veux pas les laisser sans réponse", s'est excusée Marlène Schiappa. Et la secrétaire d'Etat d'insister sur l'existence d'une journée "portes ouvertes" qui aura lieu le 5 septembre prochain, accessible quant à elle à toutes et à tous (après inscription à l'adresse Grenelle@pm.gouv.fr).

La pilule a cependant du mal à passer. Alors que le Journal du Dimanche rappelle que certaines familles de victimes n'ont tout simplement "pas été invitées", la militante féministe Anaïs Leleux, membre du collectif Nous Toutes, accorde sur Twitter une pensée pour les familles de victimes de féminicides "qui avaient pris un billet de train pour Paris mais n'ont pas été "tirées au sort" (sic) hier et n'assisteront pas au Grenelle". "Qu'elles se rassurent, une journée portes-ouvertes est prévue le 5", poursuit-elle, "[mais cela] implique de changer son billet, d'en repayer un s'il n'est pas échangeable, de poser un autre jour de congés, de trouver quelqu'un pour garder les enfants". A ces insuffisances, il faut ajouter la prise de parole de plusieurs associations LGBTQ, lesquelles insistent pour que Marlène Schiappa, comme le laissent présumer ses déclarations publiques, ne fasse pas l'impasse sur les violences au sein des couples LGBT+. "Nos couples ne sont pas différents. Pourquoi votre réponse le serait-elle ?", lui assène-t-on.

Enfin, les mesures mises en avant sont elles aussi loin de convaincre les professionnels du sujet. Ainsi pour l'ancien procureur de la République de Douai Luc Frémiot, interviewé par Marianne, Marlène Schiappa est "complètement à côté" de la plaque. "Le problème aujourd'hui est que des plaintes ne sont pas prises dans certains commissariats et que des femmes victimes de violences ne sont pas accueillies et soutenues comme elles devraient l'être", déplore-t-il au journal. A l'écouter, les "bonnes" lois existent déjà, mais ne sont pas suffisamment respectées. Luc Frémiot insiste également sur la mise en place de centres d'accueil pour les hommes, "afin qu'ils soient traités par les psychiatres et les psychologues". Et ne mâche pas ses mots à l'approche du Grenelle : "ce Grenelle nous permet de voir que nos autorités, enfin les ministres en charge de ces affaires-là, soit monsieur Castaner, le ministre de l'Intérieur, et madame Belloubet, la garde des Sceaux, n'ont toujours pas compris ce qu'il se passe", cingle-t-il. Ambiance.

Mais encore une fois, quelques jours seulement après le lancement d'une nouvelle campagne de communication visant à relayer le numéro d'écoute national 3919, Marlène Schiappa s'efforce de rassurer les voix les plus réticentes. "Ce Grenelle ne sera ni une réunion, ni une concertation mais bel et bien un Grenelle, c'est-à-dire un événement qui apportera des solutions concrètes", a-t-elle déclaré à la presse. Attendons de voir.