Rejoignez-nous sur les réseaux sociaux

Vous ne devez surtout pas louper ce documentaire nécessaire sur le cyberharcèlement

Publié le Mercredi 04 Octobre 2023
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
10 photos
Ce 4 octobre est sorti en salles "Je vous salue salope". Derrière ce titre choc se dévoile un documentaire aussi accablant qu'éloquent sur le cyberharcèlement. En son coeur, une multitude de voix, dont celle de Marion Séclin.
À lire aussi

"Le harcèlement en ligne, c'est du harcèlement, point à la ligne".

Cette punchline de la conférencière et doctorante Nadia Seraiocco ne donne qu'une envie, lever le poing d'approbation. C'est l'une des phrases choc qui ponctue un documentaire à découvrir en salles dès aujourd'hui : Je vous salue salope, immersion qui à travers deux continents et quatre interlocutrices nous plonge dans l'enfer du cyberharcèlement.

Y témoignent l'actrice et vidéaste française Marion Séclin, la députée italienne Laura Boldrini, la démocrate afroaméricaine Kiah Morris, l'enseignante québécoise Laurence Gratton. Oui, leurs voix, seulement les leurs, et pas celles de leurs cyberharceleurs. D'emblée, un carton nous le précise : "Nous avons décidé de ne pas interviewer les agresseurs. Leur but est de faire taire les femmes, le nôtre, de leur donner la parole".

A cette image et à l'instar de son intitulé choc, Je vous salue salope est un documentaire militant, incarné, qui met les points sur les i et rappelle la violence du réel. Sa polyphonie salutaire redonne de la résonnance à des voix que d'aucuns souhaiteraient éteindre à jamais. Pour que la peur change de camp. Vous ne devez pas le louper.

"Comment on la débranche cette pute ?"

Marion Séclin a trois défauts majeurs : 1/c'est une femme 2/c'est une féministe 3/elle s'exprime. Il lui a donc suffit de parler de harcèlement de rue sur YouTube, phénomène loin d'appartenir aux dystopies pourtant, pour susciter l'ire des misogynes. Florilège de commentaires qu'a engendré sa vidéo : "As tu songé au suicide ?" "Comment on la débranche cette pute ?" "Ferme ta gueule", "Féminazie", "Cancer de YouTube".

En tout, la vidéaste aurait dénombré pas moins de 40 000 insultes, menaces de mort et menaces de viol... Avant de simplement arrêter de compter. Tout cela, elle nous relate dans ce documentaire, et son témoignage en dit long sur le but aussi haineux que politique du harcèlement en ligne : silencier.

Faire taire les femmes, et ce, à travers une constante : la menace de viol. Je vous salue... tire le portrait d'une société où le viol est constamment euphémisé. Les menaces en ce sens sont monnaie courante. Dès 2013, en Italie, la députée Laura Boldrini reçoit des attaques de ses opposants : montages photos, insultes misogynes, appels au viol. Matteo Salvini sort une poupée gonflable en plein meeting et dit : "voici Laura Boldrini", laissant à ses partisans le soin de suggérer ce qu'ils peuvent lui faire.

La menace de viol, arme d'intimidation ?

Chaque interlocutrice en témoigne largement. Le harcèlement en ligne se dévoile dès lors comme l'un des phénomènes témoignant d'une société imprégnée par la culture du viol, la nôtre. On le comprend d'autant plus lorsque l'on se rappelle que Greta Thunberg a fait l'objet des mêmes sous entendus : en 2020, une caricature diffusée par une compagnie pétrolière l'imaginait en train d'être agressée sexuellement.

A l'époque, Greta Thunberg n'a que 17 ans.

"On a normalisé le fait de ne pas écouter les femmes"

Je vous salue... dresse également un constat implacable : derrière ce cyberharcèlement massif se profile toute une culture sexiste qui vise les filles et les femmes dès le plus jeune âge. Ca commence très tôt, démontrent les cinéastes Guylaine Maroist & Léa Clermont-Dion.

En classe, les élèves de Laurence Graton, enseignante à Québec, ne sont que des ados, mais elles en témoignent largement : "Un homme que je connaissais pas m'a envoyé des photos sur Insta, m'a dit : attends, je me masturbe. C'était bizarre", "Un homme que je ne connais pas m'a traitée de petite pute...".

"On a normalisé le fait de ne pas écouter les femmes"

Qu'en déduire ? Avec beaucoup de pertinence, ce documentaire pointe moins du doigt l'anonymat ou la soi disant "face obscure" du web que tout le système patriarcal bien visible d'où il émerge : "Le danger pour les femmes est que l'on ne les croit pas quand des crimes sont commis contre elles (harcèlement sexuel, violences conjugales, viol.) On a simplement normalisé le fait de ne pas écouter les femmes !", décrypte à raison cette immersion.

D'un côté, on écoute pas ou peu les femmes. De l'autre, on ne les laisse pas s'exprimer. Deux faces d'une même pièce, qui constituent l'état des lieux de ce glaçant portrait de survivantes.

"L'insulte sert à dire aux femmes : tu me dérange, pourquoi t'es là ?" décrypte à ce titre Lauren Rosier, spécialiste de l'insulte, qui date les premières traces de harcèlement sexiste... à la Révolution industrielle et aux Suffragettes. Non seulement cela commence tôt, mais cela ne date pas d'hier.

Et ça perdure.

L'experte l'observe : "C'est quand les femmes ont commencé à sortir dans l'espace public qu'elles ont commencé à être harcelées. Et ces dernières années, le renouveau de la parole féministe s'accompagne d'insultes".

Derrière les insultes virulentes, redoublent cependant les voix des victimes. Et l'invitation nécessaire de ce film : les écouter.

"Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique"

Par Guylaine Maroist & Léa Clermont-Dion

En salles ce 4 octobre 2023