Génération tablette : "Les enfants réclament le même jouet que leurs parents"

Publié le Mercredi 26 Septembre 2012
Génération tablette : "Les enfants réclament le même jouet que leurs parents"
Génération tablette : "Les enfants réclament le même jouet que leurs parents"
71% des jeunes enfants qui ont une tablette tactile à la maison l'utilisent sans problème. L'Observatoire Orange-Terrafemina sur les révolutions numériques montre la pénétration croissante de la tablette type iPad dans la vie familiale. Le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron livre son analyse de cette petite révolution des jeux du mercredi. Entretien.
À lire aussi

Terrafemina : D’après l’enquête de l’Observatoire Orange-Terrafemina* les tablettes tactiles ont investi 30% des foyers et la majorité des enfants les utilisent. Doit-on s’inquiéter de la montée en puissance de ces écrans dans les foyers et dans le sillage des enfants ?

Serge Tisseron : On ne peut pas répondre de façon globale pour tous les enfants, puisque tout dépend de l’âge et de l’usage qui est fait de la tablette. Entre 0 et 3 ans, il est certain qu’il faut que l’usage de cet outil soit accompagné physiquement par un parent, on ne peut pas laisser l’enfant seul face à l’écran. Entre 3 et 6 ans, le parent doit également être présent et distiller des conseils d’usage. À partir de 6 ou 7 ans, il faut expliquer aux enfants les dangers d’Internet voire prévoir une sécurité pour limiter l’accès à Internet.

Tf : La plupart (84%) des applications achetées par les parents pour leurs jeunes enfants sont des jeux. Le jeu sur tablette ou smartphone est-il un jeu d’éveil comme un autre ?

S. T. : Il faut comparer la tablette à un tableau ou tapis d’éveil traditionnel. C’est comme un « super » tapis d’éveil, néanmoins moins riche du point de vue de la tactilité. Il y a en effet plusieurs sensibilités de toucher, le bébé doit toutes les développer. Le tableau d’éveil traditionnel, on peut le prendre, le jeter, il a une consistance. La tablette ne mobilise qu’une sensibilité tactile sur cinq.

Tf : Dans une moindre mesure (46%), les parents achètent aussi des applications pour apprendre ou pour raconter des histoires. Ces applications digitales ont-elles un potentiel éducatif ?

S. T. : Aucune étude n’existe sur l’efficacité de ces logiciels proposés aux enfants. Aucune instance indépendante ne valide la qualité des applications. Il faut être très prudent. Le seul intérêt de la tablette est de mobiliser chez l’enfant des précurseurs d’opérations logiques. L’enfant est invité à résoudre les petits problèmes que lui pose la tablette et cela encourage le développement de son intelligence hypothético-déductive. Mais il n’y a pas que l’intelligence qui compte…

Tf : Justement, beaucoup d’applications pour smartphones ou tablettes se proposent de jouer le rôle de l’école à la maison, ou de faire apprendre l’anglais… Est-ce trop demander aux enfants ?

S. T. : Je pense que la tablette doit rester un jouet et ne pas devenir un outil d’apprentissage précoce. Et contrairement à ce que l’on croit, les enfants ne sont pas spontanément attirés par ces écrans. L’enfant a envie de jouer aux mêmes jeux que les adultes, il calque leurs gestes et attitudes. Si vous mettez une tablette dans sa chambre il n’y touchera pas, c’est quand il verra que ses parents s’y intéressent qu’il s’y intéressera, et une tablette ne le rendra pas plus intelligent. On éveillera davantage un tout-petit avec un jeu de cubes ou un ballon qu’avec un jeu sur écran.

Tf : Une grande majorité (71%) de parents confient sans problème ces appareils à leurs enfants. La moitié d’entre eux pensent que c’est plutôt une bonne chose que leurs enfants se familiarisent dès le plus jeune âge avec ces objets. Êtes-vous de cet avis ?

S. T. : Non, je trouve qu’il est absurde de vouloir les faire entrer dans des technologies qui seront démodées dans 5 ans. C’est sous-estimer l’évolution ultra-rapide du numérique. Il suffit de regarder en arrière : fallait-il initier tous les bébés au clavier et à la souris, alors qu’on pressent déjà leur disparition ? Bientôt on ne contrôlera plus la tablette avec son doigt mais avec son œil !

Tf : Les parents interrogés sont un peu plus réticents (42% sont contre) à remplacer les manuels scolaires par des tablettes. Est-ce qu’un apprentissage à l’école sur tablette serait différent de l’apprentissage avec un livre ?

S. T. : Les parents n’ont pas tort. Les enfants ont besoin de repères temporels. Tourner les pages d’un livre induit une compréhension de la page lue, tournée, et de la page qui vient. Il y a un avant/pendant/après dans cette lecture, qui contribue à former l’enfant à la construction narrative. A contrario, le principe de l’écran est d’être dans un éternel présent. Le livre est irremplaçable pour acquérir ces repères. Je ne dis pas non à la tablette, mais pour l’enfant, le livre doit passer en premier.

Tf : Quelle est la différence d’impact entre la tablette tactile et la télévision sur l’enfant ?

S. T. : Les spécialistes ont démontré que les écrans non interactifs comme la télévision étaient nocifs pour les enfants de moins de 3 ans. Pour les écrans interactifs comme les tablettes, je réserve mon jugement, cela dépend des applications utilisées.

Tf : Cet écran individualisé pourrait bien remplacer la télévision chez les jeunes enfants qui regardent dessins-animés et émissions de jeunesse sur leurs genoux. Est-ce qu’il y a un risque d’isoler les membres de la famille tous rivés sur leurs écrans ?

S. T. : Prenons l’exemple de la console de jeu Nintendo « Wii U », vous avez 4 personnes qui jouent ensemble avec des joysticks, et une 5e qui joue avec une tablette, ce qui lui confère un rôle différent dans le jeu. La tablette n’est qu’une étape provisoire de la technologie, elle va être intégrée dans des systèmes de jeux à plusieurs. Bientôt tous les membres de la famille auront leur tablette et interagiront ensemble dans le salon, les yeux dans les yeux et à 1,50 m de distance !

Serge Tisseron est psychiatre, psychanalyste spécialiste de l’enfance et du rapport aux écrans. Dernier ouvrage paru : « Rêver, fantasmer, virtualiser, du virtuel psychique au virtuel numérique », Dunod, 2012.

*D’après l’étude de l’institut CSA pour l’Observatoire Orange et Terrafemina réalisée auprès de 501 parents d’enfants de moins de 12 ans et interrogés en ligne du 10 au 12 septembre 2012. Échantillon constitué selon la méthode des quotas appliquée aux variables de sexe, âge et catégorie socioprofessionnelle après stratification géographique par région de résidence.

RESULTATS DE L’OBSERVATOIRE ORANGE-TERRAFEMINA

Découvrez les résultats complets du sondage réalisé par l'institut CSA
L'étude qualitative par l'Institut Treize articles

VOIR AUSSI

Tablette tactile : la nouvelle nounou ?
Génération tablette : les applications pour enfants, un marché en plein boum
Génération tablette : "Les enfants ne deviennent pas plus intelligents avec un iPad"

Plus d'actu sur : Tablette tactile : la nouvelle nounou ?

Tablette tactile : la nouvelle nounou ?
Génération tablette : "Les enfants ne deviennent pas plus intelligents avec un iPad"
Génération tablette : les applications pour enfants, un marché en plein boum