Religion et Internet : l'interview de Saïd Branine, directeur de oumma.com

Publié le Jeudi 12 Mai 2011
Religion et Internet : l'interview de Saïd Branine, directeur de oumma.com
Religion et Internet : l'interview de Saïd Branine, directeur de oumma.com
Internet et les innovations numériques bouleversent-ils les pratiques religieuses ? C’est tout l’objet de notre 6ème Observatoire réalisé avec Orange sur les révolutions numériques. Pour Saïd Branine, directeur du site musulman oumma.com, si la spiritualité reste du domaine du vécu, Internet constitue malgré tout un formidable outil d’ouverture et de liberté pour les croyants.
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Journaliste politique à Radio France-Maghreb de 1994 à 1997, Saïd Branine a également été fondateur de la revue Islam de France dont il a codirigé  la rédaction de 1996 à 2001. En 2001, il a dirigé avec Guy Henebelle et Michel Renard,  le numéro de la revue Panoramique « L'islam est-il rebelle à la libre critique ? » avec plus de vingt textes rassemblant des musulmans  et d'ex-musulmans tels que Taslima Nasreen. En 2000, il cofonde le  site oumma.com, 1er site de débat et d'information de l'islam francophone, qu’il dirige toujours aujourd’hui.

Terrafemina : Oumma média  est le premier e-groupe de presse de l’islam francophone, avec 4 médias différents, notamment oumma.com et un forum mejliss. Est-ce que vous sentez une vraie demande pour ce type de média religieux?

Saïd Branine : Nous existons depuis dix ans. Nos internautes viennent de toute la France, mais nous nous adressons aussi aux internautes francophones d’autres pays musulmans. Au Maghreb ou en Afrique sub-saharienne où la parole religieuse est inscrite dans l’orthodoxie religieuse, Internet permet d’accéder à une parole plus libre. Deux cent cinquante mille personnes sont inscrites à notre newsletter et nous recensons environ 3 millions de visiteurs uniques mensuels sur l’ensemble de nos médias. Nous avons noté une forte progression de notre audience depuis le processus révolutionnaire, notamment en Tunisie où nous avons longtemps été interdits, et où nous sommes désormais autorisés. De plus, Internet pénètre de plus de plus de foyers en Algérie, en Tunisie et au Maroc, ce qui nous permet d’accroître notre public. Il y a notamment de plus en plus de mères de famille qui s’expriment sur nos forums. Les femmes peuvent y prendre plus facilement, notamment grâce à l’anonymat. Par exemple, elles étaient assez nombreuses lors du chat que nous avons organisé sur la sexualité et l’Islam.

Tf : Le sondage réalisé par l’Institut CSA pour notre Observatoire montre qu’une grande majorité de croyants sont très réticents à la religion sur internet (2 croyants sur 3). Pourtant les initiatives religieuses numériques (sites, blogs, réseaux, …) se multiplient. Comment l’expliquer ?

S.B. : Ce chiffre me surprend car notre public aime échanger sur la religion sur Internet. Nous avons le sentiment qu’Internet est une véritable révolution bénéfique pour les Musulmans, car il permet de sortir de son cadre et d’être confronté à ceux qui n’ont pas les mêmes croyances ou qui ne partagent pas les mêmes points de vue. C’est une belle progression et non une régression.

Tf : Toujours selon notre sondage, les jeunes se montrent tout de même plus enthousiastes. S’agit-il d’une nouvelle génération de croyants ? Quel est votre profil d’internautes ?

S.B. : Notre audience est composée d’une écrasante majorité de jeunes, d’étudiants, même s’il y a aussi  beaucoup de représentants de la middle class musulmane qui consultent Internet au travail. Les jeunes sont effectivement très demandeurs de connaissances religieuses, puisqu’en France il n’y a malheureusement pas de lieu véritable d’enseignement de la religion musulmane. Or il y a une double demande, liée d’une part à la spiritualité et d’autre part à la quête religieuse de réponses à la fois pratiques et métaphysiques.

Tf : Côté catholiques, le message de Benoît XVI il y a un an sur l’évangélisation du continent numérique était clair…. Est-ce qu’on a le même type de message du côté musulman?

S.B. : Ce qui est particulier en France, c’est qu’il n’existe pas de clergé musulman, et pas forcément un lieu de culte pour répondre aux questionnements spirituels des pratiquants et des croyants. Contrairement à la religion catholique, dans l’Islam, nul ne peut se substituer à l’autorité divine, ce qui donne une pluralité des messages spirituels. Oumma a donc ce rôle de pouvoir répondre aux questions liées à la pratique religieuse, dans le respect de la pluralité, contrairement aux sites orthodoxes qui nous paraissent dangereux. Nous donnons accès à des textes et à des forums de discussion, afin que les pratiquants se répondent également entre eux.

Tf : Internet crée-t-il de nouvelles pratiques de l’Islam ?

S.B. : Internet rend service. Par exemple sur Oumma il existe un logiciel qui donne les horaires des prières, ce qui est très utile. De même nous donnons les dates exactes de début et de fin du mois de Ramadan. Les pratiquants sont donc mieux avertis et informés. Autre exemple, nous avons diffusé des vidéos d’exercice du Dikhr (venant des confréries soufistes). Beaucoup de gens n’y ayant pas accès, on leur donne des cours, des exercices de pratiques de la spiritualité (respiration, méditation,…). Cela dit, il ne faut pas chercher la spiritualité virtuelle, il faut la vivre. Internet permet un accès au savoir et à la connaissance très intéressant. En fait, Internet est devenu une composante pour quelqu’un qui a la foi : il y trouve beaucoup de choses.

Tf : Internet, c’est aussi un lieu de prolifération facile de certaines dérives intégristes… qu’en pensez-vous ? Comment se passe la modération sur Oumma ?

S.B. : Chez nous, tout ce qui est parole autoritaire et violente n’a pas sa place. Nous souhaitons délivrer un message pacifique et fraternel. Ainsi sur les forums, on explique aux participants qu’il n’y a pas de certitude ni de vérité unique, à l’image de l’Islam qui est traversé par différents courants. Même si nos internautes ont un dogme commun, l’Islam, ils sont très différents : leur perception de la foi est différente car elle est liée à leur composante identitaire (notamment du pays d’où ils viennent). Les échanges sont parfois virulents, mais cela permet d’avoir une pluralité des points de vue. Quand il est bien modéré, Internet est une formidable école de diversité.

LES RESULTATS DE L’OBSERVATOIRE ORANGE SUR INTERNET ET LES RELIGIONS

Les résultats du sondage CSA sur Religion et Internet
Le benchmark des pratiques religieuses par l’Institut Treize articles web lab

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