« Marie-Blanche » : un roman familial signé Jim Fergus

Publié le Samedi 09 Juin 2012
Fanny Rivron
Par Fanny Rivron Journaliste
« Marie-Blanche » : un roman familial signé Jim Fergus
« Marie-Blanche » : un roman familial signé Jim Fergus
Pour son troisième roman, Jim Fergus, l'auteur de « Mille femmes blanches », se fait biographe des femmes de sa famille dans « Marie-Blanche » (Éd. Pocket). Rencontre.
À lire aussi


Renée de Fontarce McCormick
naît en 1899. Fille d'aristocrates français désargentés, elle est rompue très tôt aux tromperies et aux manipulations en observant la noblesse adultère, scandaleuse et hypocrite dont elle est issue. Séduite par son oncle, le vicomte Gabriel de Fontarce, qui l’adoptera pour mieux la tenir sous sa coupe et abuser de sa très jeune maîtresse, elle le suivra en Égypte. Revenue en France, Renée sera contrainte d’épouser Guy de Brotonne, un bon parti qu’elle méprise et dont elle aura deux enfants. Son aînée Marie-Blanche qu’elle n’a pas désirée, elle refusera de l’aimer. Froide et tyrannique, elle brisera la jeune fille, qui sombrera dans l’alcoolisme et mettra fin à ses jours en 1966.
Jim Fergus, auteur de « Mille femmes blanches »et de « La fille sauvage » n’est autre que le fils de Marie-Blanche. Il signe ici une saga familiale brillante qui s’étend sur deux siècles et trois continents et livre le portrait de sa grand-mère et sa mère, deux femmes aux vies terribles et passionnantes.

Terrafemina : Après deux fictions, vous avez choisi d’aborder un sujet plus personnel en revenant sur l’histoire de votre propre famille. Qu’est-ce que qui vous y a poussé ?

Jim Fergus : C’est un projet que j’ai eu envie d’écrire toute ma vie, depuis la mort de mes parents à 16 ans. Les auteurs, souvent, écrivent comme premier roman des romans de famille, des romans personnels. Moi, je pense qu’il faut attendre pour apprendre à écrire… apprendre la forme. J’ai écrit, il y a des années maintenant, il y a plus de 20 ans, un petit essai sur mes parents, publié dans une collection d’essais qui s’appelle « Fathers and Sons ». Et mon ami Jim Harrison m’avait complimenté à l’époque en disant « je pense que peut-être, ça devrait être ton premier roman ». Alors j’ai commencé à écrire mais ça n’était pas encore prêt. C’était avant d’écrire « Mille femmes blanches » et « La Fille sauvage ». Je suis venu au roman un peu tard dans ma vie, J’avais quasiment 50 ans. Maintenant je suis assez âgé, il fallait le faire, écrire ce roman sur ma famille.

Tf : Votre roman contient des documents authentiques, lettres, photos, gazettes mondaines… Comment avez-vous mené ce travail d’archives ?

J.F. : Après la mort de mes parents, quand j’avais 16 ans, tous les effets personnels de ma famille ont disparu. Quand j’avais peut-être 35 ans, quelqu’un a trouvé des boîtes avec des photos et d’autres choses dans un grenier, on m’a envoyé les boîtes, c’était vraiment émouvant de retrouver ces choses de mon enfance, de ma famille. Ça c’est la première chose. Après j’ai appris que ma grand-mère avait écrit elle-même trois romans, deux romans en Amérique pendant la guerre dans les années 1940, quand elle a quitté la France avec son troisième mari McCormick. Les deux romans parlent de son enfance mais ils sont un peu « faux ». Et puis elle a écrit, quand elle avait 62 ans, et publié un autre roman en France, un roman impossible à trouver maintenant mais j’ai mis la main sur un exemplaire. À la fin de sa vie, elle a dit que ce troisième roman, c’était la « vraie » histoire de son enfance, c’est là qu’elle a parlé d’oncle Gabriel… du « mauvais oncle Gabriel ». Et puis j’ai hérité de toute une collection de photographies d’elle prises par McCormick et aussi des albums, elle gardait tout… les articles dans les journaux, toutes ces choses. Après la mort de ma grand-mère, le couple qui s’occupait d’elle à la fin de sa vie m’a envoyé tous ces albums, il y avait beaucoup, beaucoup de choses. Après ça, j’avais tout ce qu’il fallait pour écrire le roman.

Tf : Ce n’est pas la première fois que vous centrez votre roman sur des femmes. Y a-t-il une raison particulière à ça ? Est-ce une difficulté supplémentaire d’adopter une perspective féminine ?

J.F. : Je crois que c’est plus intéressant pour moi d’écrire du point de vue des femmes parce que c’est un processus de découverte. Je sais déjà comment les hommes pensent mais pour imaginer comment les femmes pensent, c’est un exercice plus intéressant pour un écrivain. D’essayer d’être dans leur peau. Dans ma famille, c’est ma grand-mère qui était la force. C’était une famille matriarcale, ma grand-mère Renée avait beaucoup de force, beaucoup de pouvoir. On m’a dit que dans ma famille, les hommes sont un peu moins… ils sont un peu « moins ». Donc c’était un peu par hasard et aussi par choix que je préférais le point de vue féminin.

Tf : Le thème de la femme utilisée comme monnaie d’échange revient souvent dans vos romans. Une sorte d’esclavagisme féminin imprègne vos pages. Est-ce un thème qui vous touche particulièrement ?

J.F. : Oui c’est vrai, peut-être que c’est inconscient. C’est surtout une particularité de ces époques-là, je pense aux mille femmes blanches du roman, dont la plupart vient des asiles d’aliénés. À l’époque, un mari peut dire de sa femme « elle est folle » et elle l’est, elle n’a aucun pouvoir. Pendant l’enfance de ma grand-mère c’est pareil. Après la fin de l’écriture du roman, j’avais beaucoup d’admiration pour ma grand-mère, beaucoup. Elle n’a pas accepté d’être une femme faible, douce, elle avait vraiment une force de caractère. Dans mes trois romans, je parle de femmes fortes qui échappent à l’esclavage en fait. Il n’y a que ma mère qui n’y a pas échappé.

Tf : Renée, votre grand-mère, est très paradoxale. Au premier chapitre, c’est un bourreau, qui a détruit tout ce qui était autour d’elle, sa fille notamment. Au fil des pages, on la découvre aussi victime. Est-ce que découvrir et raconter sa vie était une manière de la comprendre, de l’excuser ?

J.F. : Oui pour moi, ce livre était une sorte de thérapie. La mort de ma mère a été quelque chose qui m’a troublé toute ma vie. Ce premier chapitre sur Renée, c’est la première chose que j’ai écrite [l’auteur y rencontre sa grand-mère qu’il semble haïr ndlr.]. Après avoir écrit le roman, j’avais un avis vraiment très différent sur Renée, j’avais évolué moi-même. C’est souvent comme ça avec les romans, les histoires personnelles, on les écrit pour comprendre et pour pardonner et pour être capable de les laisser de côté. C’est quelque chose qui m’a hanté toute ma vie… Oui c’était pour comprendre, pardonner et laisser cette douleur.
C’était surtout pour comprendre ma mère mais ça, c’était un peu plus difficile parce qu’elle n’a pas écrit de livre elle-même. Je trouve forcément que dans le livre, il y a beaucoup de moi-même dans la voix de ma mère parce qu’il fallait que je m’imagine comment elle était et pourquoi elle était comme ça. Je suis allé dans cet asile en Suisse [un établissement de désintoxication ou la mère de l’auteur a fini sa vie ndlr.] pour essayer de trouver les dossiers médicaux et malheureusement, une inondation a détruit tous les documents de l’époque donc c’était à moi d’imaginer tout ça.

VOIR AUSSI

« Paula Spencer », un roman de Roddy Doyle
Corée du Nord : témoignage d'une rescapée de l'enfer
Lecture : « Une année studieuse » d'Anne Wiazemsky