Les seins nus en Page 3 du "Sun", c'est (enfin) fini

Publié le Mardi 20 Janvier 2015
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Les seins nus en Page 3 du "Sun", c'est (enfin) fini
Les seins nus en Page 3 du "Sun", c'est (enfin) fini
En Angleterre, c'est le choc : une "institution" vient de tomber. En effet, le tabloïd anglais « The Sun » a décidé de ne plus publier de photos de jeunes femmes seins nus sur sa célébrissime Page 3. Une victoire pour ses nombreux détracteurs.
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L'édition du vendredi 16 janvier 2015 du Sun restera un collector : c'était en effet la dernière fois que le tabloïd anglais exposait une jeune playmate topless sur sa célèbre Page 3. En guise de substitut ? Une flopée de gossips mettant en avant des starlettes en vogue (et photographiées en bikini sexy, bien entendu). Une vraie révolution, comme le souligne The Times : « The Sun abandonne ainsi discrètement l'une des traditions les plus controversées du journalisme britannique»

Ces mannequins dénudées étaient pourtant une tradition du journal depuis pas moins de 45 ans, établie dans les années 70 par Rupert Murdoch qui venait de racheter le quotidien. A l'époque, la nouvelle mouture du Sun et sa Page 3 étaient censés incarner le renouveau d'un journalisme plus "populaire". Mais le concept a rapidement été dénoncé, ses détracteurs jugeant cette rubrique soft porn rétrograde et sexiste. Une campagne virulente initiée par l'actrice Lucy-Anne Holmes et baptisée « No More Page 3 » avait même été lancée en 2012 afin d'obtenir la suppression des photos topless, portée par ce slogan punchy :  « Les nichons ne sont pas des infos» 

Faisant la sourde oreille face à la polémique, le Sun, tabloïd trash le plus vendu d'Angleterre mais en perte de vitesse, faisait figure de vieux pervers arriéré dans le monde de la presse britannique. Mais jusqu'à présent, la publication campait fermement sur ses positions. L'éditeur du tabloïd, David Dinsmore, avait clamé lors d'une interview sur BBC Radio 5 en 2013 qu'il ne comptait pas céder face aux pressions. « Je pense que c'est un sujet vivace pour les personnes qui n'achètent pas le journal. Nous avons fait des recherches, fait des panels et avons écouté les protestataires. Le résultat, c'était 'Gardez-la, ne l'enlevez pas.' »

Une position soutenue par l'une de ces anciennes "Page 3 girls", Jodie Marsh. Celle-ci avait insisté sur Twitter : « Ces soit-disant féministes m'agacent vraiment. Dire aux filles de ne pas poser en Page 3 n'est pas être féministe. Les femmes devraient faire ce qu'elles veulent. Moi, ça m'a rapporté beaucoup d'argent et je me suis sentie puissante. Je ne me suis jamais sentie exploitée. Je suis une féministe à 100%. Et les femmes qui débinent les autres femmes sont juste jalouses et manquent de confiance en elles. »

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Mais quelques signes avant-coureurs laissaient présager que les jours des tétons racoleurs de la Page 3 étaient comptés. Déjà, la version irlandaise du Sun avait stoppé la publication de photos des femmes-objets dépoitraillées en 2013 sans que cela n'entraîne l'effondrement du titre. De quoi rassurer les financiers... A l'époque, le propriétaire de l'empire News Group Newspapers, Rupert Murdoch, avait sondé ses followers sur Twitter sur ce sujet polémique : "Les belles jeunes femmes ne sont-elles pas plus attirantes avec quelques vêtements ?". Et le magnat de la presse de 83 ans d'émettre quelques réserves en pointillé sur ses bimbos ringardes en répondant à un tweet assassin : "La Page 3, c'est tellement 20e siècle ! Vous avez peut-être raison, je ne sais pas, mais j'y réfléchis".

La page 3 du Sun avant et après

Finalement, c'est en toute discrétion que les seins nus de la Page 3 ont tiré leur révérence la semaine dernière, puisqu'aucun communiqué officiel n'a été publié par le Sun pour annoncer leur disparition. La direction du tabloïd s'est juste fendue d'un tweet laconique par le biais de son porte-parole :  « La Page 3 continue d'être là où elle a toujours été, entre la page 2 et la page 4. »

De son côté, la créatrice de la campagne  « No More Page 3 », Lucy-Anne Holmes, s'est félicitée de ce succès (« C'est un pas dans la bonne direction »), tout en se gardant de crier victoire. Pour elle, la bataille ne sera pas terminée tant que des filles dévêtues (même si elles ne sont plus poitrine à l'air) seront toujours exhibées dans les pages du tabloïd. « Je ne vais pas dire 'Maintenant, il va y avoir des femmes en sous-vêtements sur la Page 3, n'est-ce pas génial ?' Le Sun aurait pu dire : 'OK, nous allons célébrer le sport féminin sur la Page 3 parce qu'on ne l'a jamais fait et nous allons utiliser cet espace pour ça. Mais The Sun n'a pas soudainement décidé que les femmes disaient, pensaient et faisaient des choses incroyables et intéressantes. Les femmes restent une décoration sur cette page. »

Les fidèles lecteurs en mal de boobs pourront toujours se rincer l'oeil sur le site du Sun, où ont été recyclées les photos des playmates délaissées. Parce qu'il ne faut pas pousser non plus...

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