Le bijou anti-viol ou le marketing de la peur

Publié le Vendredi 06 Juin 2014
Ariane Hermelin
Par Ariane Hermelin Journaliste Terrafemina
Journaliste société passée par le documentaire et les débats en ligne sur feu Newsring.fr.
Le bijou anti-viol ou le marketing de la peur
Le bijou anti-viol ou le marketing de la peur
Une société de Singapour vient de commercialiser un bijou «alarme » qui entend porter secours aux femmes en cas de harcèlement. Une innovation technologique qui suscite la controverse. Explications…
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Chargée de lancer une campagne de sensibilisation au sujet des viols commis lors de rendez-vous galants, la société JWT Singapore a imaginé un bijou anti-viol appelé « Guardian Angel ». Ce collier/bracelet en argent est doté d’un système sophistiqué conçu pour venir en aide aux femmes lors de leurs rendez-vous galants.

Il suffit en effet de presser sur un bouton dissimulé à l’intérieur de ce bijou hig-tech pour déclencher un appel téléphonique sur le téléphone portable de l’intéressée, qui n’aura plus qu’à utiliser ce coup de fil comme excuse pour s’éclipser. Si la situation dérape au point de devenir dangereuse, la propriétaire du collier pourra même, en maintenant le bouton appuyé, envoyer un message d’urgence avec sa géolocalisation exacte à un contact pré-enregistré en toute discrétion.

>> La culotte anti-viol montrée du doigt <<

Le viol, une « situation inconfortable »

« Certaines jeunes femmes ne se sentent pas assez sûres d’elles pour repousser un jeune homme quand il devient trop pressant sous l’influence de l’alcool, en particulier si elles connaissent celui-ci, voire l’apprécient », a déclaré Valerie Cheng, la directrice artistique de JWT. « Et ces situations peuvent parfois dégénérer assez vite ».

La publicité qui présente le « Guardian Angel » sur le site de JWT frappe par son aspect très épuré. On y voit, sur fond de nuages blancs, des jeunes filles à l’air virginal portant le fameux collier en argent. Le choix des mots est également troublant ; le viol ou le harcèlement est en effet appelé dans cette séquences promotionnelle « situation inconfortable ». On ne peut qu'être mal à l'aise devant cette esthétique et ce genre d'euphémisme qui évoque le vocabulaire des publicités pour des tampons de protection. Mais le problème ne s'arrête pas là.

Comme le note Adi Robertson sur The Verge, en mettant en avant de tels outils destinés à protéger les femmes, on court en effet le risque de détourner l’attention des véritables problèmes qui ont conduit à la conception de ces moyens de défense. « On apprend aux gens à éviter la marche pourrie au lieu de la réparer », écrit-elle à juste titre. Il vaudrait mieux aborder plus souvent des sujets comme le self-defense et penser à des solutions technologiques qui ne contribuent pas à présenter les femmes comme des victimes potentielles.

>> Une assurance-viol dans le Michigan <<

Arrêter de présenter les femmes comme des proies

Après tout, les jeunes n’ont pas attendu ce type de gadgets high-tech pour mettre en place des stratégies afin de se sortir de situations potentiellement dangereuses, en prévenant leurs amies qu’elles sortent avec un homme par exemple, ou en leur donnant le lieu du rendez-vous au cas où elles ne rentreraient pas de leur rendez-vous.

En créant un bijou anti-viol pour jeunes filles, et en le présentant de surcroît comme un accessoire anodin du quotidien, JWT Singapore ne contribue-t-il pas à répandre l’idée selon laquelle tous les hommes sont des prédateurs et les femmes des proies vulnérables ?