Basic Instinct, un film woke ?
L'assertion est audacieuse autant qu'incongrue. C'est pourtant ce qu'affirme une personne qui connaît par cœur le thriller le plus sulfureux des années 90 : ni plus ni moins que son scénariste, Joe Eztheras, à qui l'on doit également le script de Showgirls - autre film très controversé et sexuel de Paul Verhoeven. Car voilà, l'auteur promet en interview un imminent reboot de Basic Instinct. Et affirme que celui-ci sera "anti woke".
A 80 ans, l'auteur de quelques hits du cinéma américain, qu'on entendait plus trop ces dernières années, n'a peur de rien. Il défend une nouvelle déclinaison des mésaventures polissonnes de Catherine Trammel (l'immense Sharon Stone) beaucoup plus sensuelles, sexy, "orgasmiques" même... Et donc, en défaveur de l'actuelle "bien-pensance" et du "politiquement incorrect", à lire l'octogénaire...
Pour qui le cochon n'est pas vraiment de gauche, donc.
L'auteur de Basic Instint semble partisan du : c'était mieux avant.
Avant quoi ? Avant les coordinatrices d'intimité peut être, chorégraphes essentielles des scènes les plus intimes sur les plateaux de tournage... Dont le film originel de 1992 n'a évidemment pas du tout pu bénéficier, malgré son abondance tonitruante de scènes de nudité et de sexe très frontales. Autre époque, autres mentalités... Et malaise pour les interprètes.
On se dit d'ailleurs que la scène d'interrogation, où Catherine Trammel dévoile son intimité en tailleur blanc, témoigne d'un certain mépris du consentement : Sharon Stone a toujours dénoncé son absence d'informations sur le tournage concernant "ce que l'on verrait, ou non", dans la version finale de l'oeuvre, à l'écran. Scène culte, mais qui va à l'encontre d'une communication limpide entre un cinéaste et sa star, à en lire ses Mémoires.
D'autant plus qu'entre sa scène d'agression sexuelle (avec Jeanne Tripplehorn), filmée comme une scène de sexe "standard", sa représentation très "d'époque" des femmes lesbiennes, et de la sexualité féminine, ou encore des femmes fatales façon "veuves noires", Basic Instinct est très loin d'être... "Woke". Son scénariste cependant pense qu'un come back du film pourrait décoiffer le cinéma actuellement. Et pas juste parce qu'il pourrait faire grimper la température.
Il promet carrément "une aventure folle et orgasmique", et précise non sans ironie au site The Wrap : "À ceux qui se demandent ce qu'un homme de 80 ans fait à écrire un thriller sexy : les rumeurs sur mon impuissance cinématographique sont exagérées et âgistes". Oui, pour appuyer ses fantasmes et sa charge "anti woke", il dénonce une "discrimination" à son égard. On imagine qu'il reprend avec "humour" le jargon féministe, à son compte, pour mieux s'en moquer.
On se dit en tout cas que faire revenir Basic Instinct a tout de la fausse bonne idée.
La preuve ? Elle nous est fournie par le Guardian. Le journal britannique s'amuse volontiers des dires de l'auteur hollywoodienne et rappelle à juste titre : "On ignore encore si le personnage de Catherine Tramell, interprété par Stone, reviendra dans le film, comme ce fut le cas pour la suite tardive de 2006 réalisée par Michael Caton-Jones sans la participation d'Eszterhas."
"Ce film fut un échec critique et commercial, ne rapportant que la moitié de son budget, tandis que l'original avait rapporté quelque 352 millions de dollars (plus de 800 millions de dollars après ajustement de l'inflation)."
Par delà ses considérations, Basic Instinct vaut surtout pour ses comédiens, très, très investis (même Michael Douglas peut en témoigner) et son cinéaste, chorégraphe virtuose et adepte de la provocation - Paul Verhoeven. Sans oublier son directeur de la photographie, Jan de Bont, qui est pour beaucoup dans l'atmosphère caniculaire du film. A quoi bon refaire cette capsule temporelle ?