Le retour des classes unisexes aux États-Unis, une bonne chose ?

Publié le Mercredi 03 Décembre 2014
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
Le retour des classes unisexes aux États-Unis, une bonne chose ?
Le retour des classes unisexes aux États-Unis, une bonne chose ?
Dans cette photo : George W. Bush
Tombées en désuétude au début du XXe siècle, les classes non-mixtes font depuis quelques années un retour en force dans les écoles publiques américaines, qui cherchent à utiliser les supposées différences cognitives et comportementales entre filles et garçons pour améliorer la qualité de l'enseignement. Mais est-ce vraiment une bonne idée ?
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L'école publique de Pompano Beach, en Floride, ressemble en apparence à toutes les écoles que l'on peut trouver aux États-Unis. Mêmes dessins bariolés et tableaux noirs aux murs, mêmes crayons et bâtons de colle dans des caddies rose vif à disposition des petits élèves et de leurs instituteurs. À une différence près : ici, certaines classes sont exclusivement composées de filles, tandis que les autres ne sont réservées qu'aux garçons. Car Pompano Beach fait partie des quelques écoles publiques américaines à avoir érigé la non-mixité de l'enseignement en principe éducatif.

De 34 à 850 écoles publiques non-mixtes en l'espace de dix ans

Et elle n'est pas la seule. Selon le Département fédéral de l'éducation, cité par le New York Times qui révèle l'ampleur du phénomène, il existe à travers le pays 750 écoles publiques ayant ouvert au moins une classe non-mixte, et 850 établissements publics accueillant exclusivement des filles ou des garçons. Tombé en disgrâce à la fin du XIXe siècle, l'enseignement unisexe semble à nouveau avoir les faveurs d'une certaine catégorie de la population américaine, qui voit dans la dissociation filles-garçons l'une des solutions miracles pour lutter contre l'échec scolaire. En effet, souligne le New York Times, les établissements unisexes  sont souvent situés dans des quartiers défavorisés où les parents d'élèves cherchent des méthodes d'enseignement alternatives pour pallier aux lacunes de leurs enfants.

C'est depuis 2006 que fleurissent les classes unisexes aux États-Unis. Suivant les recommandations du Dr. Leonard Sax, à l'origine de l'Association nationale pour l'enseignement public non-mixte, la secrétaire à l'Éducation Margaret Spellings, proche de George W. Bush, a accepté d'assouplir les restrictions sur les classes séparées pour filles et garçons. En 2004-2005, 122 écoles publiques disposaient d'une classe non-mixte et seuls 34 établissements n'accueillaient que des filles ou des garçons.

Une éducation fondée sur les stéréotypes de genre

Pour les partisans de la non-mixité, la multiplication des établissements publics unisexes, de Philadelphie à New York, en passant par Chicago, sont une grande victoire. Censées, selon l'Association nationale pour l'enseignement public non-mixte, éviter aux écoliers d'être catalogués dans des rôles traditionnels selon leur sexe, les écoles exclusivement dédiées aux filles ou aux garçons font pourtant grincer des dents. À commencer par les sociologues et les psychologues, qui voient d'un mauvais œil le fait d'offrir une éducation différente selon que l'on a en face de soi des petites filles ou des petits garçons. Interrogée par le New York Times, Rebecca Bigler, psychologue à l'Université du Texas, estime que la ségrégation par sexe, ou catégorie sociale, augmente au contraire le risque de dispenser une éducation fondée sur des préjugés et des stéréotypes. « Les partisans de l'école non-mixte estiment qu'il y a trop de sexisme. Or, au lieu de s'attaquer au problème du sexisme, ils préfèrent tout simplement supprimer la notion de sexe. »

Des arguments que réfutent Angela Brown. Principale de l'école publique Dillard, située à Fort Lauderdale, elle affirme que les garçons présents dans les classes non-mixtes présentent de bien meilleurs résultats en lecture et en mathématiques lors des tests d'État. Mais, souligne-t-elle, la plus grande amélioration est la baisse des mesures disciplinaires. « Les garçons tentent d'impressionner les filles, et les filles tentent d'impressionner les garçons. Nous avons simplement supprimé cette variable. »

Le New York Times explique que les militants pour un enseignement non-mixte citent souvent les moins bons scores obtenus par les garçons aux tests de compréhension et de lecture, et leur propension à devoir faire face à des problèmes de disciplines. Ils font aussi valoir que les filles sous-performent en maths et en sciences par rapport aux garçons, et gagneraient à n'apprendre qu'en présence d'autres filles.

Pourtant, eux-mêmes estiment que « la preuve des différences biologiques entre filles et garçons ne sont pas suffisantes pour permettre aux enseignants de choisir des méthodes d'enseignement genrées ».

Inquiète des dérives de l'enseignement non-mixte, qu'elle apparente à de la discrimination sexuelle, l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) a déposé cette année une plainte auprès du Département de l'Éducation contre quatre districts scolaires de Floride, qu'elle accuse de violer les droits civils et d'utiliser de « trop larges stéréotypes » pour justifier la séparation des filles et des garçons dans des classes différentes. L'ACLU a aussi déposé des plaintes contre deux collèges unisexes d'Austin, au Texas, ainsi que dans l'Idaha, le Wisconsin et à New York. Ses plaintes ont déjà été couronnées de succès : en Louisiane et en Virginie, deux écoles unisexes sont finalement revenues à un enseignement mixte.

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