Société
"Merci pour l'invit", le réseau solidaire qui vous propose d'héberger des femmes SDF
Publié le 27 novembre 2019 à 18:46
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Elles sont les grandes invisibles de notre société. Non pas qu'on ne les voit pas, mais on les ignore. Elles, ce sont les femmes sans domicile fixe. Et non content de leur redonner leur visibilité, "Merci pour l'invit" leur propose un hébergement.
Les femmes sans abri, les invisibles de notre société. Les femmes sans abri, les invisibles de notre société.© Adobe Stock
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C'est un nom qui sonne familier : Merci pour l'invit'. Et pourtant, l'enjeu abordé n'est que trop peu évoqué. En fait, on en parle presque jamais. Depuis janvier 2018, ce réseau solidaire initié aux alentours de Bordeaux - et désormais étendu en Ile-de-France - cherche effectivement à lutter contre l'insécurité des femmes sans abri, en leur assurant un toit pour deux semaines, deux mois, un an. Comment ? En les mettant en relation avec des particuliers qui souhaitent les héberger. Il suffisait d'y penser.

Une aide nécessaire. Car ces femmes ne souffrent pas simplement du mépris des autres : elles sont violentées. Psychologiquement, physiquement, sexuellement. Et elles sont de plus en plus nombreuses. Si le nombre de personnes sans-domicile fixe croit d'année en année (+ 50% entre 2001 et 2012 selon l'Insee), 38 % des SDF sont des femmes.

Par-delà la précarité, elles subissent des agressions loin d'être inexistantes au gré des rues. Et c'est justement à cela que réagit Kerill Theurillat, le responsable du projet, en pensant autant à leur survie d'aujourd'hui qu'à leur vie d'après. A Terrafemina, le jeune homme explique en quelques mots le pourquoi de ce combat.

Terrafemina : Pourquoi avoir lancé le réseau Merci pour l'Invit' ?

Kerill Theurillat : Nous avons observé que les centres d'hébergement pour les sans abris étaient saturés en France. Mais aussi qu'ils ne permettaient pas aux femmes d'être en sécurité. Puisque souvent mixtes, ils ne protègent pas suffisamment ces femmes des violences auxquelles elles peuvent faire face dans la rue. Il fallait donc proposer une solution alternative d'hébergement. Et c'est de cela qu'est né le projet début 2018, en Gironde, aux alentours de Bordeaux. Aujourd'hui, le réseau s'est étendu en Ile de France.

L'idée de ce réseau citoyen, c'est de protéger les premières victimes des violences. L'on est plus en danger dans la rue lorsque l'on est une femme. Pas seulement de par les viols et violences physiques mais aussi par le harcèlement et les agressions verbales. Merci pour l'invit', se veut une solution à tout cela. A l'origine, je faisais partie d'une autre association parisienne : Utopia 56. Elle vient en aide aux familles demandeuses d'asile qui ne sont pas prises en charge par l'Etat. En y travaillent, je me suis rendu compte que certaines femmes étaient abandonnées, toutes seules, laissées pour compte. C'est à celles-ci que s'adresse Merci pour l'invit'.

Comment ça fonctionne au juste ?

K.T : L'un des grands objectifs de Merci pour l'invit est la réinsertion sociale des femmes sans abri. C'est pour cela qu'au départ, ce sont des travailleurs sociaux qui s'inscrivent sur le site. Ils remplissent un formulaire afin de devenir partenaires. Ce sont eux qui nous orientent vers des personnes sans domicile fixe et les inscrivent sur la plateforme. Nous rencontrons ensuite les potentielles futures "hébergées" afin de leur expliquer ce principe de réseau solidaire. Une personne lambda qui rencontrerait une femme sans abri dans la rue et souhaiterait l'inscrire ne le pourrait pas, car l'on souhaite qu'il y ait un véritable suivi social, initié par un professionnel.

Afin de devenir "hébergeur solidaire", il faut remplir un formulaire dans la rubrique "Devenir hébergeur" du site. Au-delà de quelques précisions classiques (nom, prénom, adresse, capacité d'hébergement en nombre de personnes, durée d'hébergement) il s'agit de préciser ce que l'on attend de cette expérience d'accueil. Cela permet d'en savoir plus sur vos intentions. Nous rencontrons toujours ceux et celles qui désirent être hébergeurs. Nous visitons leur logement, nous discutons afin de nous assurer de leurs motivations.

Les femmes SDF, aussi ignorées que violentées. © Adobe Stock

Ensuite a lieu la première rencontre entre hébergeur et hébergée. Elle sert à briser la glace. Si l'hébergée se sent mal à l'aise, on peut très bien arrêter là. Mais si cela se passe bien, on organise une seconde rencontre, afin de préciser le processus de l'hébergement et de signer une convention qui va établir les règles essentielles de vie au sein du foyer. Une fois que l'hébergement commence, l'on est toujours disponible, pour les hébergées - qui peuvent nous alerter en cas de soucis - comme pour les hébergeuses.

La durée de l'hébergement est variable : cela va de deux semaines à un an. Si l'on enverra jamais une hébergée chez une personne qui n'a pas de douche, la question des charges (comme la nourriture), elle, s'envisage au cas par cas.

Des films (Les Invisibles avec Audrey Lamy et Corinne Masiero) aux applis (comme Homeless Plus), les femmes sans abri semblent moins ignorées aujourd'hui. Souffrent-elles encore des préjugés ?

K.T. : Oui. Le "phénomène" des femmes à la rue n'est pas très médiatisé, ne serait ce que dans l'imaginaire public. Car dans l'esprit de monsieur tout le monde, être SDF, c'est encore être un homme. Ce n'est pas juste, d'autant plus au sujet de femmes qui sont obligées de se cacher pour éviter d'être violentée.

A ce sujet, Merci pour l'invit n'est pas un réseau 100 % féminin. On ne refuse pas les hébergeurs. Mais on fait attention. On prend d'énormes précautions, pour la bonne raison que l'on tend à assurer le plus de sécurité possible pour les femmes hébergées.

Globalement, c'est la prise de conscience des personnes sans abri qui n'est pas suffisante aujourd'hui. Lorsque l'on parle des SDF l'on imagine pas forcément que ce sont aussi des personnes qui sont en situation précaire, obligées de dormir dans leur voiture ou chez des connaissances (jusqu'à ne plus pouvoir !), qui travaillent, touchent le RSA ou une petite retraite... Et ce sont aussi, parfois, des femmes qui ont été victimes de violences conjugales.

"Merci pour l'invit',", un réseau solidaire d'hébergement. © Logo Merci pour l'invit'

L'autre préjugé, c'est cette idée selon laquelle il n'y a pas "d'après" lorsque l'on est sans domicile fixe. C'est faux. Merci pour l'invit ne propose pas juste un hébergement passager. Avec l'aide de travailleurs sociaux, le réseau doit permettre à ces femmes de rebondir. De concrétiser leurs projets.

Concernant les applis et associations, je remarque moi aussi que plusieurs initiatives vont dans le bon sens. Je pense à Règles Élémentaires, qui aide les femmes sans abri face à la précarité menstruelle, en leur distribuant des tampons et serviettes. Mais aussi à l'association Les Femmes Invisibles, basée à Montpellier, qui vient également en aide aux femmes sans abri. En distribuant des kits de produits hygiéniques par exemple. En fait, c'est plus au niveau de l'opinion publique qu'il faut briser les tabous...

Et quel est le bilan aujourd'hui ?

K.T. : Positif : depuis le lancement de Merci pour l'invit, 23 femmes ont déjà pu être hébergées. On est satisfait, même si la mise en place a été longue. En fait, nous privilégions la qualité de l'hébergement sur la quantité. L'important est que chacune de ces femmes soit suivie. Résultat, certaines de ces "hébergées" ont été "réinsérées" depuis. L'une d'entre elles a désormais un emploi et a trouvé une colocation après être passée par ce service. Mais il faut savoir qu'une réinsertion ça ne se fait pas du jour au lendemain. Les demandes de logements sociaux peuvent prendre plusieurs mois ou plusieurs années. Et notre projet est encore jeune !

Quelles idées pour l'avenir ?

K.T. : L'hiver est là, alors on va mettre en place d'autres campagnes en lien avec Merci pour l'invit', comme Un Noël pour Toutes. Le principe ? On va voir des femmes sans abri dans des centres d'accueil et on leur demande ce qu'elles veulent pour Noël. Ensuite on fait un appel sur les réseaux sociaux en déposant leurs demandes. Les gens peuvent ainsi les financer... Mais à l'avenir, le gros projet reste évidemment l'expansion de Merci pour l'invit. Nous souhaiterions pouvoir assurer des hébergements à Lyon et à Nantes par exemple, où le tissu associatif est déjà bien développé !

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