Humiliations, bizutage, harcèlement normalisé... Le silence se brise enfin dans la restauration.
Et cela ne fait pas sans peine, peur des représailles ou douleur - c'est ce qui arrive lorsque l'on ressasse des traumatismes.
Cheffes étoilés et enquêtes journalistiques dévoilent effectivement ces derniers mois l'envers désastreux d'un monde trop largement idéalisé ces dernières années. Idéalisé, et même érigé en véritable entertainement, spectaculaire et illyrique, au gré d'émissions de divertissement populaires “sexy”... et d'images d'Epinal prestigieuses célébrant la qualité de la gastronomie française.
Cependant, des voix se font entendre... Et il faut les écouter.
Comme celle du chef Eloi Spinnler, suivi par 215 000 abonnés sur YouTube, qui dénonce aujourd'hui la "banalisation de la violence" dans la restauration...
"J'ai été victime de harcèlement sur ma première année d'apprentissage", tacle-t-il du côté de franceinfo.
"J'en garde beaucoup de colère. Ça passe par des cuillères chauffées à blanc, des portes de frigo fermées sur le bras, une droite, un tirage d'oreille, des rabaissements, des phrases comme 'Tu n'es qu'un bon à rien, tu n'arriveras jamais à rien !', des insultes.... Ça n'a rien à faire sur un poste de travail"
"Il y a une omerta parce qu’il y a impunité, il y a impunité parce qu’il y a mythe"
Cette autre tirade riche de sens, c'est celle de la journaliste féministe Nora Bouazzouni, grande spécialiste de ce milieu, et de ces enjeux-là, qui dans son enquête Violences en cuisine, une omerta à la française, à retrouver dès ce mois-ci en librairies, apporte d'autant plus d'éléments afin d'aborder cette réalité inavouée.
Dans son livre où se multiplient les témoignages des personnes concernées, elle en appelle, à l'instar du cuistot et vidéaste cité plus haut, à briser le silence. Et surtout, à reconsidérer nos mythes nationaux à l'aune du mouvement #MeToo... Elle l'énonce à Ouest France sans craindre de susciter la controverse : "Ce mythe qui fait de la France la meilleure gastronomie au monde encourage l'impunité des agresseurs. Pour tenir ce rang et maintenir l’excellence, on fait croire que la violence en cuisine serait normale, naturelle, nécessaire et inévitable".
Le constat ? Comme tout milieu, la restauration subit une loi de silence qui tend à euphémiser constamment l'expérience des victimes. La cuisine est le reflet de la société patriarcale. La domination se subit, et se transmet, phénomène encouragé par d'intenses rapports de hiérarchisation. Les abus y sont physiques et psychologiques.
Cela, une très grande cheffe le révèle.
Elle aussi, souhaite prendre la parole pour toutes celles et ceux qui en sont empêchés. Il s'agit de Manon Fleury, étoilée et cofondatrice de l'association Bondir, qui fait justement de la prévention contre les violences dans la restauration. Accordant un espace à toutes les mains qui, bénéficiant d'une médiatisation moins grande, ont d'autant plus tendance à être silenciées.
"Dans notre milieu, il y a pas mal de déviances : la restauration est particulièrement touchée par ces violences à cause des horaires, à cause du stress", explique-t-elle à France Inter.
Des voix qui dénoncent, plus qu'une mauvaise expérience, une véritable culture de la violence. Celle-ci est considérée au sein de cet entresoi toxique comme « formatrice » et indissociable de la « fabrique des grands chefs ». Des idées intouchables, qui sont avant tout... des salades.
Alors que des émissions comme Top Chef font l'éloge des "réinventions" et des "réécritures" de grands classiques culinaires, la révolution des traditions ne doit clairement pas se limiter aux recettes.