D'orpheline à danseuse étoile de "Casse-noisette" : le fabuleux destin de Michaela DePrince

Publié le Jeudi 07 Janvier 2016
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
Pour la première fois, l'héroïne de "Casse-noisette" va être interprétée par une danseuse noire. L'Opéra National des Pays-Bas vient en effet choisir Michaela DePrince pour jouer Clara dans le chef d'oeuvre de Tchaïkovski.
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À tout juste 20 ans, Michaela DePrince peut se targuer d'avoir vécu plusieurs vies. Née au Sierra-Leone alors que le pays est en proie à une guerre civile, elle est devenue à 18 ans la première danseuse d'origine africaine à rejoindre en tant qu'élève l'Opéra national des Pays-Bas.

Engagée par l'Opéra national des Pays-Bas en tant que danseuse de ballet à l'issue de sa formation, Michaela DePrince est aussi la première danseuse noire à avoir incarné Clara, la fillette rêveuse de Casse-noisette, le conte de Noël de Tchaïkovski.

C'est sur son compte Instagram que Michaela DePrince a annoncé la bonne nouvelle un mois avant la première représentation, avant d'offrir à ses fans de courtes vidéos teasing où on la voit s'entraîner avec ses partenaires.

"Je suis très heureuse de vous annoncer que j'ai été choisie pour danser le rôle principal de Casse-noisette, Clara/La fée dragée, les 28 et 31 décembre à l'Opéra National des Pays-Bas. Je me souviens à quel point j'avais envie d'être Marie (la Clara du conte d'Hoffmann) quand j'étais petite, mais aussi que j'avais été découragée par le directeur artistique d'une troupe américaine qui avait affirmé que le monde n'était pas prêt à accueillir une Marie noire. Merci à Ted, le directeur artistique de l'Opéra National de Hollande, et aux professeurs de danse, de penser que le monde est prêt pour une Clara à la peau noire. Je suis très fière que vous m'ayez choisie pour ce rôle. Casse-noisette devrait être un plaisir pour les enfants et les adultes de toutes les couleurs et de tous les horizons."

Une jeune femme au destin exceptionnel

Pourtant, la vie n'a pas fait de cadeau à Michaela DePrince. Née en 1995 en Sierra-Leone alors que le pays se déchire pour le contrôle de ses zones diamantifères, la fillette perd ses parents à l'âge de trois ans. Son père est assassiné par des hommes armés, sa mère meurt de faim une semaine plus tard. Placée dans un orphelinat où on la surnomme "l'enfant du diable" parce qu'elle est atteinte du vitiligo, une maladie rare qui cause la dépigmentation de la peau, Michaela DePrince est placée dans un camp de réfugiés lorsque l'orphelinat est bombardé. "Être surnommée 'l'enfant du diable' est quelque chose de terrible pour un enfant, racontait-elle au Guardian en 2012. Ça a ruiné mon amour-propre pendant des années. Même maintenant, je ne supporte aucun compliment." Son seul réconfort : une photo de danseuse de ballet arrachée des pages d'un magazine. "C'était un peu étrange parce qu'elle avait l'air si belle et si heureuse. J'ai arraché la page que j'ai cachée dans mes sous-vêtements. Je la regardais tous les soirs en me disant juste que si un jour j'allais en Amérique, je voudrais exactement lui ressembler."

Sa vie change enfin quand, en 1999, elle est adoptée par un couple d'Américains. Elle a alors 4 ans et peine à s'habituer à sa nouvelle vie dans le New Jersey. "J'étais terrifiée, je n'avais jamais vu autant de gens blancs avant. Ils ressemblaient à des extra-terrestres, mais après avoir appris à connaître mieux ma mère adoptive, j'ai vu à quel point elle était merveilleuse avec moi."

Michaela raconte qu'un jour, elle est allée fouiller dans le sac de sa mère à la recherche de chaussures de ballet. "Je ne comprenais pas, je pensais qu'aux États-Unis tout le monde portaient des chaussures pointues. [...] Elle m'a demandé ce que je cherchais, alors je lui ai montré ma photo."

Dès lors, les parents adoptifs de Michaela font tout pour l'aider à concrétiser son rêve. Malgré la discrimination raciale dont elle est victime, elle ne se décourage pas et finit par recevoir une bourse pour étudier à l'American Ballet Theatre après avoir été repérée pour sa performance au Grand Prix Youth America. À l'image de Misty Copeland, première danseuse étoile afro-américaine de Americaine Ballet Theatre et de son modèle Lauren Anderson, Michaela DePrince se bat pour que le monde du ballet s'ouvre aux danseurs de couleur.

"Il y a tellement de stéréotypes liés au fait d'être noir dans le monde du ballet. Ça commence à changer un peu, lentement. [...] Mais ça reste terrible. Parfois, les gens me dissent que je suis trop foncée pour ce rôle [...] Je veux juste être un excellent modèle pour les enfants. Je ne voudrais pas décevoir personne."