5 pionnières qui ont lutté pour le port du pantalon

Publié le Jeudi 18 Octobre 2018
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
Femme en pantalon en 1939.
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Le port du pantalon pour les femmes est une pratique récente dans l'Histoire et des femmes ont dû se battre pour pouvoir le porter. Voici le portrait de cinq de ces défricheuses de droits.
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Dans un discours puissant prononcé lundi 15 octobre au gala Women in Hollywood, la chanteuse Lady Gaga a revendiqué son port du pantalon comme un étendard : "En tant que femme qui a été conditionnée très jeune pour écouter ce que les hommes me disaient de faire, j'ai décidé de reprendre le pouvoir. Aujourd'hui, je porte le pantalon."

Lady Gaga est la digne héritière de femmes qui ont décidé de porter le pantalon lorsque c'était encore interdit. A Paris, l'interdiction du port du pantalon pour les femmes datait de novembre 1800, par une ordonnance du préfet de police sur le "travestissement des femmes". Il fallait alors une autorisation de la préfecture pour se "travestir" et sortir de l'habit admis de son genre comme le rappelle l'historienne Christine Bard autrice d'une Histoire politique du pantalon : "Toute femme désirant s'habiller en homme doit se présenter à la préfecture de police pour en obtenir l'autorisation et que celle-ci ne peut être donnée qu'au vu d'un certificat d'un officier de santé".


A l'occasion de "l'abrogation" symbolique de cette circulaire désuète par le Ministère des droits des femmes en 2013 [qui n'a pas de valeur juridique, seul·e un·e préfet·e de Paris peut la supprimer], l'historienne explique : "En prétendant abroger une ordonnance désuète, les autorités cherchent à s'attribuer ce qui dans les faits fut obtenu par les femmes." Elle ajoute : "Dans le mouvement de l'histoire de leur libération se sont emparées du symbole du pouvoir et de la virilité, le pantalon, pour en faire un vêtement mixte."


Alors qui sont ces femmes qui se sont battues pour que nous puissions porter notre jean ?

George Sand

George Sand en pantalon avec Henri de Latouche
George Sand en pantalon avec Henri de Latouche

Seule femme du XIXe à vivre de sa plume, George Sand est une figure incontournable de la littérature française. Née Amantine Aurore Lucile Dupin en 1804, elle cache le féminin de son patronyme en le masculinisant pour être publiée. A l'occasion, elle porte le pantalon et détonne dans la société parisienne et berrichonne.

L'historienne Christine Bard rappelle les motivations de George Sand qui en 1855 dans son Histoire de ma vie expliquait les raisons de son port du pantalon : "Les raisons s'additionnaient bien souvent : s'habiller en homme, c'était plus économique, plus grisant, plus sûr, plus stimulant pour une écrivaine qui s'approchait ainsi de monde des hommes entre eux, dans les salles de spectacle par exemple. C'était afficher aussi une liberté, délivrer un message sur l'image de soi et le refus de la condition faite aux femmes. C'était un empowerment. Jamais elle ne s'abaissa à demander une 'autorisation de travestissement' à la police."

Marie-Rose Astié de Valsayre

Fondatrice de la Ligue des femmes en 1889, elle fonde également des syndicats de travailleuses, défend le droit de vote des femmes et pétitionne auprès de députés de l'Assemblée nationale pour que les femmes puissent porter des pantalons en 1887.

Elle dénonce "la loi routinière qui interdit aux femmes de porter le costume masculin, tout aussi décent, quoi qu'on en puisse dire, surtout incontestablement plus hygiénique". Ambulancière pendant la guerre 1970, elle a étudié la médecine et sait les dangers des corsets.

L'Assemblée nationale se considère incompétente pour légiférer et renvoie Astié vers la préfecture de police qui gère l'interdiction depuis 1800. Bravache, elle décide de porter des pantalons, arguant si on l'arrête que les robes l'ont rendu malade. Elle écrit alors au préfet, dans une citation reprise par 20 Minutes : "Considérant que : le costume féminin n'est possible que pour les femmes qui n'ont rien à faire, je vous préviens que dorénavant je m'habillerai en homme chaque fois que mes occupations le nécessiteront."

En 1895, celle qui choque pour sa participation à des duels, repart à la charge et combat l'interdiction qui est faite au "cyclowomen de porter le pantalon en dehors des exercices de pédale". Marie-Rose Astié de Valsayre meurt en 1915 dans l'indifférence et l'oubli général.

Rosa Bonheur

Rosa Bonheur en pantalon
Rosa Bonheur en pantalon

Naturaliste, cette peintresse du XIXe siècle représente la faune dans des tableaux magnifiques et impressionnants. Ses animaux préférés sont les bovidés, dont elle s'attache à magnifier le pelage et à la musculature impressionnante.

Pour s'inspirer, elle écume les foires au bestiaux en pantalon et devient une superstar de la peinture jusqu'au fin fond des États-Unis. C'est d'ailleurs grâce à ce prétexte de la visite des foires qu'elle obtient un permis de travestissement pour porter un pantalon, qu'elle devra renouveler tous les six mois.

Katherine Brault, qui a racheté en 2017 le château où vécue Rosa Bonheur à Thomery en Seine-et-Marne (château ouvert à la visite !), déclare au Parisien : "Il faut bien comprendre que c'était la Madonna de l'époque."

Son travestissement qui peut choquer l'époque et son amour pour une autre femme avec qui elle passe sa vie, ne l'empêche pas de devenir la première femme à obtenir la Légion d'honneur en 1965.

Madeleine Pelletier

Madeleine Pelletier
Madeleine Pelletier

Doctoresse, première femme interne en psychiatrie, la féministe Madeleine Pelletier s'élève, au tournant du XXe siècle, contre l'idée que le cerveau d'une femme la rendrait moins intelligente que les hommes.

Engagée de part son histoire personnelle dans la lutte pour les droits des femmes (sa mère avait eu douze grossesses et seulement deux enfants vécurent jusqu'à l'âge adulte), elle combat ce qui est considéré comme "féminin". Elle refuse toute relation sexuelle et affirme que c'est la procréation qui aliène les femmes.

Sous pression lors de son internat, dans un monde d'hommes où elle a réussi à imposer sa présence de femme, elle prend une décision radicale pour 1905 : elle se coupe les cheveux courts et s'habille en costume d'homme. Elle déclare à propos des robes : "Je montrerai les miens [de seins] dès que les hommes commenceront à s'habiller avec une sorte de pantalon qui montre leur...".

Le livre d'Hélène Soumet sur Les travesties de l'Histoire, citée par le blog Double Genre, revient sur le travestissement de Madeleine Pelletier, considéré comme "émancipationniste". "Pour elle, c'est une réelle perte de temps de s'habiller aux normes de l'époque. Les corsets sont tellement serrés qu'on ne peut rien faire". Madeleine Pelletier écrit par ailleurs : "Mon costume dit à l'homme : 'Je suis ton égale'".

Elle ratera le concours pour devenir officiellement psychiatre mais devient médecin des postes. Tout comme Camille Claudel, elle sera réduite au silence en étant placée dans un asile contre son gré, après un procès pour un avortement qu'elle n'a pas commis. Elle y meurt en 1939.

Violette Maurice

Violette Maurice à son procès contre la fédération
Violette Maurice à son procès contre la fédération

Ambulancière sur les champs de bataille pendant la Première Guerre mondiale, c'est à cette époque sans doute que Violette Maurice, fille de famille bourgeoise, élevée par des soeurs, commence à porter le pantalon comme l'explique la BNF (Bibliothèque Nationale de France). Sportive accomplie dans de nombreuses disciplines considérées comme "viriles" (l'automobile, la boxe ou le vélo), elle défrayait la chronique par ses records, ses victoires et son attitude.

Agacée par sa coupe courte, ses costumes et son attitude badass, la fédération sportive féminine l'exclut pour atteinte aux bonnes moeurs. Pour se justifier en 1930, elle fait appel à la fameuse circulaire de 1800. Elle est condamnée à payer 10 000 francs de dommages et intérêts à la fédération, le tribunal jugeant que "le fait de porter un pantalon n'étant pas d'un usage admis pour les femmes".

Ce qui fait dire à l'historienne Christine Bard : "Lorsque Violette Morris défend son droit à porter le pantalon lors d'un retentissant procès en 1930, l'ordonnance, que l'on croyait effectivement tombée en désuétude, retrouve son pouvoir liberticide et donne un argument de plus pour justifier l'exclusion de la championne."

La route de Violette Maurice se terminera en 1944 à l'âge de 51 ans, criblée de balles, au volant d'une automobile, tentant de s'enfuir après une condamnation à mort pour espionnage et collaboration au profit de l'Allemagne.