Le Grenelle des violences conjugales ? Une grande "déception" pour les associations

Publié le Lundi 25 Novembre 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Edouard Philippe et Marlène Schiappa annoncent les mesures du Grenelle des violences conjugales.
Edouard Philippe et Marlène Schiappa annoncent les mesures du Grenelle des violences conjugales.
Deux jours après la grande mobilisation contre les violences sexistes et sexuelles organisée par Nous Toutes du 23 novembre, l'annonce des mesures du Grenelle des violences conjugales déconcerte plus d'une voix militante.
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150 000 personnes, femmes et hommes, étaient présentes dans le cadre de la grande mobilisation #NousToutes, organisée le 23 novembre à travers toute la France pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles. Une indignation populaire salvatrice (et historique) qui laisse espérer de grands changements et une prise de conscience plus globale. Et à ce titre, autant dire que l'annonce par le Premier ministre des mesures du Grenelle des violences conjugales initié par Marlène Schiappa était attendue au tournant. Hélas, pour bien des voix militantes, c'est la grande désillusion.

C'est ce 25 novembre qu'Edouard Philippe est venu préciser, à Matignon, les mesures en question. Résultats ? De l'évocation (controversée) de la levée du secret médical à l'assurance d'un meilleur accueil pour les victimes, rien de bien neuf sous le soleil par rapport aux premières propositions du Grenelle des violences conjugales. Mais voyons cela dans le détail.

Un "non-engagement" du gouvernement ?

Depuis le lancement à Matignon (déjà) dudit Grenelle en septembre dernier, Marlène Schiappa n'a cessé d'évoquer d'un média à l'autre les principales initiatives au coeur de cette concertation : repenser le système de protection des victimes de violences conjugales, former au sein des commissariats les autorités compétentes afin de mieux accueillir lesdites victimes (à l'heure où une majorité des plaintes déposées sont classées sans suite), intégrer des psychologues au sein de ces commissariats, assurer une meilleure concertation entre les associations, les forces de l'ordre et les magistrats, permettre l'ouverture de 1 000 nouvelles places d'hébergement pour les victimes. Ce sont ces éléments que l'on retrouve dans le discours d'Edouard Philippe.

Comme l'indique Le Monde, le Premier ministre a mis l'accent sur d'autres mesures qu'il juge légitimes. Par exemple ? Créer 80 postes supplémentaires d'intervenants sociaux au sein des commissariats. Intégrer la notion "d'emprise" au code civil et pénal. Inscrire dans la loi la notion encore trop incomprise de "suicide forcé". Suspendre l'autorité parentale du conjoint en cas de féminicide. La suspendre ou "l'aménager" en cas de violences conjugales. Sensibiliser par le prisme de l'Education nationale les enfants à l'éducation entre filles et garçons. Former les enseignants. Enfin, les auteurs de violences conjugales devront porter un bracelet "anti-rapprochement" afin d'être mis à distance. Pour ce faire, plus de mille de ces bracelets seront distribués en 2020.

Plus étonnant cependant, le gouvernement souhaite également créer des centres de prise en charge destinés... aux auteurs de violences conjugales. Ces centres se destinent aux hommes condamnés à de petites peines ou à des peines avec sursis. Une bonne façon, dixit Edouard Philippe, d'assurer "la prévention de la récidive". La secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes Marlène Schiappa, de son côté, dit de ces centres d'hébergement qu'ils permettent une "prise de conscience". D'autres mesures majeures pensées depuis des mois, comme l'aménagement du secret médical, sont encore en cours de négociations.

Au final, force est de constater que les conclusions d'Edouard Philippe rejoignent celles de la Ministre de la justice. A savoir ? Qu'il y a bel et bien des "dysfonctionnements" à l'intérieur du système. Et que ces failles se doivent d'être comblées afin d'éviter de nouvelles tragédies.

En attendant, les "failles" se trouvent aussi dans le discours du Premier ministre. C'est d'ailleurs ce qu'ont pu relever plusieurs voix féministes. Comme celle de l'association Osez le féminisme, qui déplore sur Twitter "des annonces qui n'en sont pas, du budget qui n'en est pas un, des mesurettes éparses". Osez le féminisme constate effectivement que bien des mesures, comme la prévention des violences par l'éducation, "existent déjà, mais sont peu appliquées".

"Un grand nombre de ces "nouvelles" mesures existent depuis des années : elles concernent la formation des professionnels et des enseignants (prévue depuis 2010), les mesures de prévention, la présence des psychologues au sein des commissariats, ou encore la dérogation du secret médical qui, dans la loi, est déjà possible, depuis 2010, en cas de danger de mort pour la patiente. Autant de mesures qui ont jusque là été inefficaces", nous explique en ce sens Laura Jovignot, membre du collectif Nous Toutes.

A l'écouter, le discours du Premier ministre démontre que "ce n'est pas sur le gouvernement que l'on pourra compter pour innover sur la question des violences conjugales ou engager des moyens financiers adéquats afin de lutter contre celles-ci". La militante parle de "quasi inaction du gouvernement" voire d'un "non-engagement" flagrant.

Dans le genre "propos qui laissent perplexe", Edouard Philippe affirme encore "qu'un milliard d'euros" sera dédié à l'égalité entre les femmes et les hommes. Or, cela fait des semaines que ce chiffre est contesté par Caroline De Haas, l'instigatrice de Nous Toutes. Ce milliard est une chimère, nous explique celle-ci. Effectivement, le budget "égalité" du gouvernement comprend, entre autre choses, une partie du salaire des professeurs de l'Education Nationale (puisque ceux-ci "parlent d'égalité aux élèves").

Dire qu'un milliard d'euros est directement consacré à la lutte contre les violences conjugales est donc une contre-vérité. C'est pour cela qu'aujourd'hui, Osez le féminisme dénonce dans un communiqué "les politiques publiques insuffisantes et un manque criant de budget pour répondre aux exigences et à l'urgence de la lutte contre les violences".

Deux jours après la Marche organisée par Nous Toutes, c'est un air de désenchantement qui accompagne l'annonce de ces mesures. "Dans le discours énoncé à Matignon, il n'a jamais été fait mention de la marche de samedi, et c'est d'un mépris sans nom pour des milliers de manifestantes", remarque d'ailleurs Laura Jovignot. Une amertume avec laquelle s'accorde Caroline De Haas. "La déception est à la hauteur de l'immense mouvement qu'on a créé ces derniers mois et ce week-end. La déception est à la hauteur de l'attente soulevée ces derniers mois", s'attriste celle-ci.

Une déception fortement partagée au sein des associations et collectifs féministes, sur laquelle semble encore planer cette invective puissante de Caroline De Haas, décochée à l'adresse du gouvernement suite au meurtre de Sylvia Walter par son ex-conjoint : "Réagissez !".