Interview : Rachel Johnson embrase Notting Hill avec un roman très british

Publié le Mardi 24 Novembre 2015
Anaïs Orieul
Par Anaïs Orieul Journaliste
Rachel Johnson, l'auteure du roman "Le diable met le feu à Notting Hill"
Rachel Johnson, l'auteure du roman "Le diable met le feu à Notting Hill"
Avec "Le diable met le feu à Notting Hill", la journaliste et romancière britannique Rachel Johnson conclut une trilogie satirique mordante sur le quartier huppé londonien. On a rencontré celle qui est devenue le cauchemar de ses beautiful people de voisins et bonne nouvelle : Rachel Johnson n'a rien d'un succube, elle est plutôt du genre piquante et adorable. So British !
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Vous appréciez autant les intrigues rocambolesques de Desperate Housewives que l'humour british ? Vous aimez les comédies romantiques avec Hugh Grant ? Alors c'est peut-être le moment de découvrir la trilogie littéraire de Rachel Johnson (Le diable vit à Notting Hill, Le diable vit à la campagne, Le diable met le feu à Notting Hill). Cette blonde de 50 ans, chroniqueuse pour le Daily Mail et soeur du maire de Londres, Boris Johnson, dépeint avec piquant et beaucoup d'humour les problèmes des beautiful people qui se croisent entre Kensington et Chelsea. Alors que le dernier tome vient d'atterrir en librairie (enfin, est-ce vraiment le dernier ?), on a rencontré la romancière pour lui parler de Mimi, son double littéraire, des femmes qui l'inspirent, et bien sûr de son quartier fétiche qu'elle ne quitterait pour rien au monde même si elle n'aime rien de moins que de le tourner en dérision...

Résumé du livre : Les Fleming sont de retour à Notting Hill ! Mimi, son époux Ralph, et leurs quatre enfants retrouvent le quartier le plus branché de Londres, mais rien ne se passe comme prévu. D'abord, Mimi tombe sous le charme de l'artiste conceptuelle et diabolique Farouche, puis Ralph devient à nouveau la cible de l'obsessionnelle Clare. Au milieu de tout ça, les habitantes de Notting Hill se rebellent contre le mal qui ronge leur quartier chéri : ces satanées maisons icebergs.

Terrafemina : Ce troisième volet des aventures de Mimi est censé être le dernier. Avez-vous le sentiment d'avoir tout raconté sur les beautiful people de Notting Hill ?


Rachel Johnson : Ce qui est sûr, c'est que mes voisins de Notting Hill espèrent que c'est le dernier. Mais je ne promets rien. A un moment, j'ai cru que j'en avais fini avec mes personnages, mais maintenant je me dis que je n'ai peut-être pas tout dit. Le personnage de Farouche devait disparaître à la fin de ce roman-ci, mais je crois que j'aimerais la faire revenir. Elle est très intéressante, à la fois méchante et attirante. Je n'arrive pas à la laisser tomber.

Terrafemina : En 2014, vous avez empêché la publication d'un article dans lequel l'une de vos anciennes collègues de travail au magazine The Lady affirmait avoir vécu une aventure avec vous. Cette histoire vous a-t-elle inspiré l'aventure de Mimi et Farouche ?


Rachel Johnson : J'ai empêché la publication de cet article car bien sûr, rien de tout ça n'était vrai. Cette journaliste vivait un vrai fantasme et au final, c'était un peu triste. Néanmoins, elle ne m'a pas inspiré Farouche. C'est un personnage de composition, une artiste conceptuelle comme Marina Abramovic ou Tracy Emin qui sont des femmes fascinantes.

Tf : Vous qui vivez à Notting Hill, y croisez-vous beaucoup de femmes comme Farouche ?


R.J. : Oh non, pas du tout ! Les femmes qui vivent à Notting Hill sont mariées à des banquiers, des financiers très riches, des oligarques. Elles ne sont pas très créatives. C'est pour cette raison que j'ai introduit Farouche. Elle est très différente des femmes de Notting Hill. Elle est Française, très sauvage... Elle est à l'opposé de ces femmes qui sont assez superficielles et qui passent surtout leurs journées à s'occuper de leurs maisons et de leurs enfants. Tout est dans le paraître.

Tf : Dans le Notting Hill que vous décrivez, la notion de fidélité a l'air assez abstraite...


R.J : Je ne dirais pas ça. Il y a des couples qui sont fidèles et d'autres qui sont adultères. Mais c'est comme à Paris, Berlin ou New York, les gens sont pareils partout. Mais peut-être aussi que les gens se trompent plus facilement lorsqu'ils sont plus riches. Leur puissance financière est telle qu'ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent en fait sans forcément être inquiétés. C'est une culture un peu dégénérée !

Tf : Sous couvert d'une histoire assez légère, vous attaquez avec mordant le problème des maisons icebergs qui envahissent certains quartiers de Londres et montent les voisins les uns contre les autres. Pourquoi avoir choisi ce sujet précisément ?


R.J. : Autour de moi à Notting Hill, il y a énormément de gens qui décident de creuser dans le sol pour ajouter plusieurs étages à leurs maisons. C'est incroyablement inconvenant pour les voisins. Les rues sont parfois fermées pendant plusieurs années, le bruit est constant, et personnellement, c'est impossible pour moi de travailler chez moi. Donc je voulais leur envoyer un message. Il faut qu'ils arrêtent ! Le problème, c'est que c'est tout à fait légal. On ne peut pas faire arrêter ces travaux parce qu'ils sont autorisés à creuser. Vous ne verrez jamais ça à Paris, parce que ce n'est pas permis. Mais si vous possédez une maison à Londres, vous pouvez creuser le sous-sol pour ajouter jusqu'à 9 étages ! Et pendant tout le temps que durent les travaux, ce sont les voisins qui en pâtissent. L'eau et le gaz peuvent être coupés, les fondations des maisons autour flanchent littéralement. A Londres, il y a environ 2 000 maisons icebergs, dont 400 dans Notting Hill.

Tf : Et vous n'y avez jamais pensé ?


R.J. : Oh non, je n'ai pas l'argent pour ça ! Mais les gens qui entreprennent ces travaux le font pour donner de la valeur à leurs maisons. Ce n'est pas pour mieux vivre, c'est pour revendre plus cher. D'autant plus que la lumière du jour n'atteint pas les étages creusés dans le sol. Qui voudrait vivre comme ça ? C'est complètement fou.

Le diable met le feu à Notting Hill de Rachel Johnson
Le diable met le feu à Notting Hill de Rachel Johnson

Tf : La morale de cette trilogie serait-elle "l'argent ne fait pas le bonheur" ?


R.J. : C'est exactement ça. Ces livres sont une satire comique à propos de la vie des super riches. Leur vie est presque irréelle finalement, alors qu'eux ont l'impression de vivre une vie tout ce qu'il y a de plus normale.

Tf : On raconte que vos personnages sont plus ou moins inspirés de personnalités existantes. Comment le milieu que vous côtoyez a-t-il accueilli vos romans ?


RJ. : Mes voisins me détestent ! Ils ont du ressentiment contre mes livres parce que ce sont des personnes à la fois fières et très privées. Mais je m'en fiche, car je pense au contraire qu'ils devraient être heureux. Mes livres sont comme une étude sociologique ou un documentaire. Il y a bien sûr des intrigues qui sortent de mon imagination, mais je relate aussi des faits avérés. A Notting Hill, la réalité se confond souvent avec la fiction. Par exemple, dans le film Coup de foudre à Notting Hill, quand Hugh Grant escalade le portail pour atterrir dans un square privé, c'est en fait le jardin que je partage avec des voisins. Donc j'ai parfois l'impression de vivre dans un environnement semi-fictionnel. Mon livre est un mélange de faits et de fiction.

Terrafemina : Parce que les romancières sont moins publiées que les hommes mais aussi moins primées, la romancière anglo-pakistanaise Kamila Shamsie a appelé les maisons d'édition britanniques à ne publier que des romans écrits par des femmes en 2018. Que pensez-vous de ce projet ?


Rachel Johnson : C'est très intéressant. Parce qu'il y a toujours des préjugés autour des livres écrits par des femmes. Vous savez, on parle souvent de chick lit (soit littérature de nana ou de gonzesse), ce que je trouve extrêmement misogyne. Les maisons d'édition vont par exemple choisir des couvertures très superficielles, avec du rose et des femmes en talons aiguilles. C'est tellement cliché... L'idée de Kamila Shamsie est une bonne idée. Mais ce que j'aimerais vraiment c'est que les livres écrits par les femmes soient traités au même niveau que ceux écrits par les hommes. Les femmes reçoivent moins de critiques, elles sont moins primées, elles vendent moins, et en même temps, elles lisent plus que les hommes.

Tf : Quels sont vos projets littéraires futurs ?


R.J. : Je vais commencer par me reposer un peu. J'ai publié trois livres en cinq ans, j'ai un peu épuisé mes ressources. Je dois me remettre à niveau. Je suis journaliste en plus d'être écrivain et cette carrière-ci m'occupe beaucoup. Quant à écrire un quatrième tome des aventures de Mimi à Notting Hill, c'est encore en suspens tout simplement parce que je n'en ai pas encore discuté avec ma maison d'édition Penguin. Mais en tout cas, je suis partante parce que j'adore les personnages.

Tf : Que lisez-vous en ce moment ?


R.J. : Je suis en train de lire A Little Life (pas encore publié en France) de l'auteure américaine Hanya Yanagihara. Ce livre a été présélectionné pour le Man Booker Prize cette année. Je viens également de terminer Soumission de Michel Houellebecq. C'était très intéressant, à la fois noir et comique, et très symbolique. J'ai trouvé ça très beau.

Tf : Quel livre auriez-vous aimé écrire ?


R.J. : C'est très difficile de répondre. J'ai presque envie de vous répondre : tous les livres que je n'ai pas écrits. Mais en fait, j'aurais aimé écrire de la poésie. Je suis jalouse de Shakespeare et de T.S. Eliot.

Tf : Vous parlez français. Quel est votre rapport à la culture française ?


R.J. : Ma grand-mère Yvonne était Alsacienne. Elle est née à Versailles. Je n'ai pas vraiment une culture française mais plutôt belge. Mon père était fonctionnaire à la commission urbaine en Belgique, donc j'ai vécu un peu là-bas quand j'étais petite.

Tf : Quelles sont les femmes qui vous inspirent ?


R.J. : La reine, bien sûr. Elle est modeste, discrète, calme, fidèle. Elle a un grand sens du devoir. Il y a aussi Simone de Beauvoir et beaucoup d'autres femmes. Je pense aussi à Margaret Thatcher parce qu'elle était très forte.

Le diable met le feu à Notting Hill, éditions De Fallois, 256 pages, prix : 20 euros