Pascal Sid : Cela faisait un moment que nous travaillions sur une adaptation du « Horla » de Maupassant, qui n’a pas pu se faire. Nous avons les mêmes références parce qu’on se connaît depuis la maternelle, et avons tous les deux lu beaucoup de nouvelles fantastiques du 19ème siècle, d’Edgar Poe, H. P. Lovecraft ou Théophile Gautier. La période des années 20 était intéressante pour nous parce que c’est le début de la modernité, mais dans les campagnes on est encore coupé du monde, il faut faire des kilomètres pour téléphoner, on s’éclaire à la bougie. La fragilité de la lumière est un élément important du film.
Julien Lacombe : Ce qui nous intéressait c’était en effet de rendre à l’écran nos lectures d’adolescents, un fantastique néo-classique ni trop violent ni trop frontal. Au niveau pictural et historique il s’agissait de retrouver les ambiances du cinéma fantastique espagnol ou japonais, on pense au film « Les autres » d’Alejandro Amenabar, « L’orphelinat » de Juan Antonio Bayona, « The Ring » de Hideo Nakata, ou encore « Shining » de Stanley Kubrick. Nous avons imaginé ensemble l’histoire de cette femme seule qui s’installe dans un village isolé pour écrire.
J. L. : Je n’imagine pas travailler sans Pascal. Notre force c’est notre culture et nos centres d’intérêts communs. J’appelle cela « notre cerveau commun », qui est à la source d’ambitions partagées, c’est-à-dire produire un cinéma de divertissement intelligent.
Nous avons aussi des points de complémentarité qui viennent enrichir nos échanges. Je pense que la qualité d’un réalisateur provient de sa culture et de sa vision du monde, être deux c’est être forcément meilleurs.
J. L. : Tout s’est fait progressivement. Nous avons beaucoup discuté de ce personnage en amont, j’ai pensé à des personnes de mon entourage pour comprendre et décrire ses névroses : son rapport aux hommes, l’alcoolisme, les dépendances, la solitude, et le deuil d’un enfant, qui est un thème récurrent dans le fantastique.
P. S. : Nous n’avions pensé à personne. En fait, Laetitia est arrivée sur le projet un mois avant le début du tournage. La première fois que nous l’avons rencontrée, nous avons tout de suite remarqué sa prestance, et sa façon très juste de parler du film. Elle travaille énormément, je crois qu’elle se l’impose parce que sa carrière précédente l’oblige à prouver certaines choses. Sur ce personnage elle a fait un travail incroyable, elle s’est transformée et, comme un auteur, elle s’est montrée très sensible et impliquée dans la construction du rôle. Il lui arrivait souvent de nous appeler à minuit pour discuter d’une scène à tourner le lendemain.
P. S. : Début 2010 les outils pour réaliser en 3D existaient, et notre financement était bien avancé, l’opportunité de le faire en relief a été un plus pour les producteurs, après le succès d’ « Avatar » de James Cameron, c’était le bon moment pour sauter le pas. La 3D nous intéressait en tant qu’outil narratif, pour raconter cette histoire d'une certaine façon.
P. S. : Cela contribue à l’immersion. Ce n’est pas pour les effets spectaculaires utilisés dans les parcs d’attraction ni pour le plaisir de voir un objet sortir de l’écran, mais pour immerger le spectateur dans un monde, c’est ce qu’il ressent au début d'« Avatar ». Voyager dans un village français des années 20 en relief, avoir la sensation de toucher le décor, nous paraissait intéressant. Mais on doit oublier le relief au bout de 20 minutes, comme dans la vie. Je pense que tous les films peuvent être tournés en relief, et pour un film d’atmosphère qui confine au thriller comme « Derrière les murs », on ressent plus de choses.
J. L. : C’est en effet une toute nouvelle donnée. Quand on filme un plan, il faut prendre en compte la profondeur de ce plan. Les caméras sont différentes, il y en a deux au lieu d’une pour les deux yeux, elles sont reliées ensemble par un appareil qui crée la 3D. Ce qui impose des outils beaucoup plus lourds (caméras de 45 kilos) et un travail plus lent puisque pour être apprécié, un plan en 3D doit durer beaucoup plus longtemps, et qu’il y a plus de monde sur le plateau. Comme nous ne pouvions pas nous permettre de sortir le film uniquement en 3D, nous avons dû travailler aussi en 2D pour permettre une double exploitation. Finalement c’est un film à la lisière des deux technologies.
P. S. : Dans l’absolu, c’est comme si on était passé du noir et blanc à la couleur, pas facile de revenir en arrière ! Cette première expérience nous a beaucoup appris, et évidemment notre prochain projet nous l’imaginons plutôt en 3D, mais l’histoire reste le plus important. Nous resterons dans le fantastique et dans le passé, pendant la deuxième Guerre Mondiale. Des légionnaires d’aujourd’hui seront replongés dans la réalité de 1943. Le scénario est écrit et nous espérons tourner en 2012.
« Derrière les murs », écrit et réalisé par Julien Lacombe et Pascal Sid, avec Laetitia Casta, Thierry Neuvic, Jacques Bonnaffé, et la participation de Roger Dumas. Le 6 juillet au cinéma.
Synopsis : Auvergne, 1922. Suzanne, jeune romancière, décide de s’isoler à la campagne pour écrire son nouveau livre. Mais peu à peu des visions et des cauchemars font leur apparition tandis que de mystérieuses disparitions de petites filles sèment le trouble dans le village...
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