Les comédies romantiques glamourisent-elles le harcèlement ?

Publié le Jeudi 04 Février 2016
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
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Une récente étude de l'université du Michigan révèle que les femmes férues de comédies romantiques seraient plus tolérantes face à des comportements masculins abusifs. Les rom-coms glorifieraient-elles les obsédés ? Explications.
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Bella ouvre les yeux : face à elle, droit comme un "i" et à deux pas de son lit, Edward le vampire, qui est entré dans sa chambre par effraction. Cette scène du blockbuster teen Twilight a transporté des millions de jeunes filles en fleurs. Le beau gosse fou amoureux qui admire sa bien-aimée de ses prunelles ambrées pendant son sommeil ? Voilà qui fait rêver... Ou pas. Car dans la vraie vie, un homme qui s'introduirait dans la chambre d'une ado pour l'espionner serait immédiatement taxé de psychopathe.

Mais le genre de la comédie romantique a ses codes bien à lui : l'héroïne qui résiste au charme (pourtant irrésistible) de son prétendant, des obstacles à franchir. Et pour braver ces amours contrariés, notre preux courtisan déploie tout un arsenal pour arriver à ses fins et faire tomber la belle dans ses filets. Sauf que, transposé dans le monde réel, ce répertoire de séduction qui confine au harcèlement a quelque chose de beaucoup plus dérangeant. A quel moment le romantisme devient-il flippant ?

C'est sur ce sujet que s'est penchée la chercheuse de l'université du Michigan, Julia R. Lippman, dans un rapport intitulé I Did It Because I Never Stopped Loving You ("Je l'ai fait parce que je n'ai jamais cessé de t'aimer"). Pour elle, ces bluettes à l'eau de rose ne seraient pas aussi inoffensives qu'elles en auraient l'air.

Scrutant à la loupe une kyrielle de comédies romantiques, elle a ainsi découvert que les héros de rom-coms avaient tendance à sombrer dans l'"espionnite" aigüe. "J'ai eu envie de faire cette recherche en observant à quel point le 'stalking' paraissait souvent banalisé dans notre culture. On rigole en parlant de 'stalker' nos coups de coeur sur Facebook par exemple", explique Julia Lippman à Global News.

Dans son étude, l'universitaire a ainsi remarqué que les femmes amatrices de comédies romantiques avaient tendance à tolérer plus facilement une forme de harcèlement dans la vraie vie. Avant d'arriver à cette conclusion, Julia Lippa a fait regarder à ses participantes un extrait choisi entre six films. Parmi eux, deux longs-métrages qui mettaient en scène une quête romantique obstinée (Mary à tout prix avec Cameron Diaz et Love Manager avec Jennifer Aniston). Deux autres décrivaient une traque anxiogène (Les nuits avec mon ennemi dans lequel Julia Roberts est en prise avec son ex-mari abusif et Plus jamais avec Jennifer Lopez elle aussi harcelée par son ex). Enfin, les deux derniers extraits de documentaires animaliers neutres (La marche de l'empereur et Le peuple migrateur).

"Après avoir regardé un extrait de ces six films, les participantes ont répondu à une série de questions, notamment sur leurs convictions personnelles concernant les mythes du stalking." Les "mythes du stalking" ? Des croyances erronées ou exagérées qui minimisent le caractère sérieux du harcèlement. Le verdict de Julia Lippan est sans appel : "Regarder un film qui décrivait une traque acharnée comme effrayante conduisait les participantes à se méfier des conduites de "stalking", tandis que les femmes ayant regardé un extrait de comédie romantique trouvaient cette quête amoureuse normale."

Pour la chercheuse, entrevoir les comportements obsessionnels à travers le prisme du romantisme pourrait avoir un impact inquiétant : "Cela encouragerait les femmes à ignorer leur instinct, celui-là même qui sert de signal fort pour nous protéger." La chercheuse poursuit : "Dans ces comédies romantiques, on nous fait croire que c'est ce que devrions vouloir des hommes, que cela veut dire que nous sommes désirables. Et qui ne veut pas être désirable ?", explique-t-elle au Huffington Post.

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Les films, et les rom-coms en particulier, affecteraient puissamment la manière dont le spectateur perçoit l'amour. Les hommes y sont encouragés à faire la cour avec obstination et les femmes à être flattées par cette belle ténacité. "Au fond, tous ces films parlent du fameux mythe : 'L'amour est plus fort que tout'. Même si, bien sûr, ce n'est pas le cas."

Les scénaristes devraient-ils prendre ces données en compte ? Il est peu probable que l'on observe une évolution des codes très traditionnels de la comédie romantique. Au spectateur de prendre du recul... Sauf que ce n'est pas toujours le cas. Ainsi, un homme accusé de harceler deux femmes l'an dernier en Australie, a utilisé l'argument "Bollywood" pour se défendre : il a expliqué qu'il avait appris à travers les comédies romantiques bollywoodiennes que poursuivre sans relâche une femme était la seule manière de la courtiser. Et il a été relaxé.

La conquête romantique dépeinte dans les films sous la forme d'une séduction acharnée (et présentée comme "normale") pourrait donc accroître le seuil de tolérance face aux abus, floutant la frontière entre le mignon et le suspect. Un conseil : la prochaine fois qu'un homme campera devant votre porte avec des panneaux ou jettera des pierres sur votre fenêtre (coucou Roméo), ne tombez pas en pâmoison. Ouvrez plutôt l'oeil.