





"Je ne passe pas l’éponge, je n’oublie pas"
Ils sont forts, les mots de Juliette Binoche. L'actrice Césarisée, légende du cinéma français, sera la future présidente du Festival de Cannes. Elle profite de ce prestige pour accorder d'autant plus de résonnance à ses engagements intimes et politiques. Comme sa prise de position en faveur du mouvement #MeToo, par exemple.
Quitte à égratigner des légendes ?
Dans le domaine du "déboulonnons nos idoles", la comédienne rappelle des faits et privilégie une prose acerbe l'espace d'une interview accordée à Madame Figaro. Ainsi se confronte-t-il à l'icône de la Nouvelle Vague : Jean-Luc Godard. Quitte à dire sur JLG ce qui n'a jamais été énoncé auparavant...
Jean-Luc Godard, cinéaste toxique ?
La comédienne dénonce : "On apprend des coups bas, des machismes. Les premiers castings, avec Godard par exemple, c’était difficile. On était matées. Ces scènes nues, les demandes… parfois les agressions. Cette espèce d’abus… mais qui n’avait pas le masque de l’abus".
La représentation des femmes, et des actrices, dans le cinéma de Jean-Luc Godard, est un débat qui fut particulièrement mis en lumière lors de l'annonce de la disparition du metteur en scène. Ses relations avec ses comédiennes, et ex compagnes, son regard volontiers sexualisant portée sur ses interprètes féminines, le sexisme de certaines de ses célèbres tirades.
La Nouvelle Vague, entre Truffaut et JLG, a-t-elle institué un point de vue particulièrement masculin, si ce n'est machiste, sur des femmes aux incarnations pourtant légendaires - Deneuve, Bardot, Huppert, Adjani ? A l'heure des discussions critiques sur la manière dont la domination masculine va jusqu'à investir les plateaux de tournage, l'interrogation semble nécessaire.
Et la remise en question avec elle ?
Pour ce faire, nombreuses sont les personnalités à briser le silence.
Et Binoche de poursuivre avec gravité : "Maintenant, ça change depuis que la parole s’est libérée. Il faut savoir dire ce que l’on pense. Mais ça m’est arrivé encore, il y a trois ou quatre ans, de me sentir maltraitée par un acteur sur un plateau. J’ai mis du temps à le voir, mais une fois que j’ai vu toute la manipulation, le machisme, j’ai résisté, mais ce tournage a été extrêmement pénible. Ce manège qui faisait tout pour paraître «normal», mais qui ne l’était pas. Les réalisateurs pensaient qu’il était de leur devoir d’oser aller dans les zones taboues, les troubles du désir. Je ne savais pas que je pouvais dire non".
"Il y a une résistance à avoir, en tant qu’artiste. Moi, je tiens cette position qui veut qu’un acteur-trice est un artiste. Donc il doit savoir dire non si quelque chose ne lui plaît pas. On peut toujours proposer de transformer les choses. On n’est pas juste une pâte à modeler. Certains cinéastes pensent que les acteurs sont leur instrument. L’objet de leur désir. On n’est l’objet de rien du tout"
Et Juliette Binoche de conclure, introspective : " Mais la vie est plus forte et je n’aime pas ressasser".