Maroc : arrêtée pour "avortement illégal", la journaliste Hajar Raissouni porte plainte pour torture

Publié le Vendredi 06 Septembre 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
La journaliste marocaine Hajar Raissouni
La journaliste marocaine Hajar Raissouni
L'arrestation de la journaliste marocaine Hajar Raissouni pour "avortement illégal" et "relations sexuelles hors mariage" nous alerte quant à la condition des femmes au Maroc. Mais l'intéressée ne compte pas en rester là.
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C'est une histoire qui remue tant que l'on parle déjà d'"affaire Hajar Raissouni". Le 31 août dernier, cette journaliste marocaine est interpellée par la police dans un cabinet de gynécologie de Rabat. Elle s'y rend alors pour une hémorragie et se trouve en compagnie de son fiancé, ainsi que de quelques membres du personnel médical : gynécologue, anesthésiste, infirmière. Mais les autorités décident de l'arrêter en flagrant délit pour deux raisons : "relations sexuelles hors-mariage" et "avortement illégal". La reporter du journal Akhbar Al Yaoum réfute immédiatement. Elle fait de même à son passage au tribunal de Rabat, le 2 septembre qui suit. Lasse.

Aujourd'hui, Hajar Raissouni souhaite porter plainte à l'encontre des forces de police pour "torture", comme l'a déclaré son avocat Maître Mohamed Sadkou. Effectivement, tel que l'énonce celui-ci, la journaliste aurait subi, durant son interrogatoire par la police locale (effectué au sein du CHU de Rabat), un examen médical, et ce sans son consentement. Autrement dit, une "violation de son intégrité physique et morale", pour reprendre les mots de Maître Mohamed Sadkou, qui qualifie ce traitement sous la contrainte de "cruel, inhumain et dégradant". A l'écouter, cette procédure a été effectuée avec brutalité, dans le seul but de susciter des aveux quant à "des actes que [sa cliente] n'a pas commis". D'où l'accusation de "torture".

"Il faudra arriver à légaliser l'IVG"

"C'est une violence particulièrement sournoise car elle a ciblé ma cliente dans sa féminité", déclare encore l'avocat aux journalistes. Une remarque des plus fortes, puisqu'elle met en évidence le grand enjeu en de cette "affaire" : l'interdiction de l'avortement dans la société marocaine, et ses tragiques conséquences. A ce sujet, au tribunal, le gynécologue parle d'une "intervention urgente" et réfute toute tentative d'avortement, a contrario de ce qu'indique le contre-examen médical de la police, comme le détaille le Huffington Post Maghreb. De plus, le site nous apprend que le dossier de l'accusée ne contiendrait "aucune preuve matérielle concrète de l'accusation d'avortement".

Intervention urgente, hémorragie... Nombreux sont ceux à évoquer ces circonstances particulières pour rappeler que l'avortement au Maroc est exceptionnellement permis "en cas de danger pour la santé ou la vie de la mère", indique la loi. Ce qui serait donc le cas concernant la journaliste. Parmi ces voix indignées, celle du gynécologue Chaifik Chraibi, président de l'Association marocaine de Lutte contre l'Avortement Clandestin. "Aussi bien le médecin que la jeune femme confirment qu'elle est venue en état d'urgence d'hémorragie, donc le médecin a fait son travail. Il a donc procédé à un curetage qui semblait nécessaire, il fallait arrêter le saignement", déclare l'érudit à TV5 Monde. A le lire, ce genre d'arrestations abusives est hélas en pleine recrudescence au Maroc. Une criminalisation excessive de l'avortement qui fait du mal au corps des femmes et à leurs droits.

"Conséquence : maintenant, beaucoup de médecins refusent de pratiquer des avortements", déplore le gynécologue. De plus, qui dit criminalisation, dit augmentation des avortements clandestins. Inutile de vous faire un dessin quant à la mise en danger évidente de ces femmes "hors la loi". Pour Chaifik Chraibi, cela ne fait aucun doute : "Nous sommes retournés au XIXe siècle !".

Par-delà cette condition alarmante que reflète bien malgré elle Hajar Raissouni, certains voient là un abus de pouvoir, à savoir une façon de faire taire "une journaliste courageuse qui traite des sujets qui fâchent", développe l'oncle de cette dernière. En attendant d'en savoir davantage, une seconde audience aura lieu le 9 septembre prochain au tribunal de Rabat.