Menacé de mort en Sierra Leone, ce jeune albinos devient top model

Publié le Jeudi 20 Juillet 2017
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Le mannequin albinos Weah Bangura
Le mannequin albinos Weah Bangura
Chassé par les sorciers dans sa Sierra Leone natale, le jeune Weah Bangura est aujourd'hui l'un des mannequins les plus demandés d'Australie.
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Si aujourd'hui, Weah Bangura arpente les catwalks de la Fashion Week australienne, lorsqu'il était petit, il devait se cacher. Vivre tapi dans l'ombre. Impossible de sortir de la maison familiale sous peine d'être tué. La raison ? Weah Bangura, 19 ans, est albinos. Et en Sierra Leone, son pays d'origine, sa particularité génétique qui affecte la pigmentation en fait un paria au sein de la communauté. Dans ce pays d'Afrique de l'ouest comme dans d'autres pays comme la Tanzanie, la chasse aux albinos est un véritable fléau. Les albinos y sont considérés comme des êtres aux pouvoirs magiques. Leurs organes, revendus à plus de 400 dollars à des sorciers et autres charlatans, sont utilisés lors de rituels de sorcellerie qui rendraient les "clients" riches et puissants. "C'est de la sorcellerie, ils font des potions. Ils pensent que les albinos ont des pouvoirs spéciaux dans leurs os, dans leurs cheveux, dans leur peau", explique le jeune Sierra-Léonais au Daily Mail australien.

Et quand ils ne sont pas menacés d'être abattus pour leurs organes, les albinos se heurtent à une féroce discrimination au sein même de la société, à tel point qu'une association de défense des droits des albinos, the Sierra Leone Albino Association, a été créée en 2003 pour lutter contre la stigmatisation et le harcèlement qu'ils subissent au quotidien.

De fait, les parents de Weah lui interdisaient de sortir au lever du jour. Car sa condition a affecté sa vue et ils craignaient que la luminosité ne le rende encore plus vulnérable. Reclus, sans amis pour jouer avec lui, le jeune Weah a donc été condamné à une enfance solitaire. "Grandir en Sierra Leone, ce n'était pas un très bon souvenir. Les rares fois où j'étais autorisé à sortir dehors, c'était lorsqu'il faisait nuit et que tout le monde était rentré chez soi", se souvient-t-il. "J'étais déprimé et toujours tout seul".

L'existence de Weah a totalement basculé lorsque ses parents ont finalement décidé de fuir la guerre civile qui ravageait la Sierra Leone pour se réfugier dans un camp au Cameroun, puis en Australie. "Ils voulaient que leurs enfants aient une meilleure éducation, de meilleures chances, dans un pays où nous serions en sécurité." C'est donc à Sydney que Weah découvre la liberté. Enfin, il peut respirer, se promener sans entrave, dans un pays où il n'est plus celui dont la peau est la plus claire. "Les gens ne réalisaient pas que je n'étais pas Australien. D'un coup, j'avais l'impression d'être comme tout le monde, pas le mec bizarre."

Dans cette nouvelle vie, le gamin de 9 ans se passionne pour le foot et la course. Jusqu'à ce qu'en zappant sur sa télé, le petit garçon tombe par hasard sur la chaîne FashionTV. Une véritable révélation. "Je pouvais regarder des heures et des heures. J'étais subjugué par les looks, la créativité. Je n'aurais jamais pensé qu'une telle chose puisse exister. C'est là que je me suis dit que je voulais devenir mannequin."

Quelques années plus tard, en mars 2016, le miracle se produit : Weah tape dans l'oeil d'un talent scout. Le voilà recruté pour une campagne de la marque australienne Evo Hair. Il signe alors avec l'agence FiveTwenty Model Management. Depuis, Weah ne chôme pas : il a posé pour Toni&Guy, P.E Nation et a fait ses débuts sur le podium lors d'un défilé du couturier Justin Cassin. Un moment magique pour le jeune homme. "J'avais rêvé de ça depuis mes 9 ans. Je savais que cet instant serait un moment incroyable, mais je n'ai pas eu le temps d'être nerveux."

Finis les humiliations, la peur au ventre, les regards de travers : dans l'industrie de la mode, le physique atypique de Weah est considéré comme un atout. "Je me sens vivant", confie le jeune Sierra-léonais. "Tout le monde me traite avec respect, personne n'est raciste vis-à-vis de moi. Je me sens enfin comme chez moi".

De plus en plus demandé sur le marché américain et européen, Weah est loin de jouer les divas. Sur son torse, telle une promesse, il s'est fait tatouer : "Live a life that leaves a mark on the world" ("Vis une vie qui laisse une trace dans ce monde"). L'ex-gamin cloîtré et mal aimé tient enfin sa revanche. " J'ai eu faim pendant très longtemps et il est temps pour moi de manger."