"On est rien pour ces mecs" : cette actrice et amie de Virginie Despentes dénonçait l'enfer du X et ses tournages "humiliants" il y a 25 ans

Scandaleux, provocateur, intolérable...

Il y a 25 ans déjà un film renversait la table et suscitait critiques virulentes, accusations, insultes, menaces. Mais aussi, censure, débats à rallonge au sein du Ministère de la culture, et interdiction. Des voix les plus conservatrices et réactionnaires aux militantes féministes, personne n'a épargné ce pamphlet s'attaquant de plein fouet à la misogynie et aux violences sexuelles.

Un film choc ouvertement trash et frontal, dès son titre : Baise moi. Soit, le premier long métrage de Virginie Despentes, romancière culte qui adaptait là son premier roman. La virée tonitruante et terrible façon Thelma et Louise de deux jeunes femmes victimes de viols, rendant corps et coups dans l'enfer patriarcal. Avec le phrasé si incarné de l'autrice...

Pour son passage au grand écran, Virginie Despentes s'est tout permise : mise en scène volontairement naturaliste, sans le moindre filtre, scènes de sexe très explicites, émancipation de toute exigence de beauté ou d'esthétisme. Elle s'est entourée d'une équipe dévouée, et en son sein, en guise d'actrice principale, une femme encore plus tenace qu'elle : Karen Bach. Performeuse au sein du cinéma X, féministe, figure badass "à la Cardi B", des mots-mêmes de la romancière. Femme meurtrie et courageuse à la vie tumultueuse. 

Karen Bach s'est suicidée à 32 ans. Elle n'hésitait pas à revendiquer sa liberté de parole. Son combat ? Dénoncer la violence du monde du X, et de ses tournages humiliants. C'est ce que rappelle un passionnant portrait de la journaliste Marine Bohin pour So Film, érigeant l'actrice comme "la première" à avoir osé briser le silence à ce sujet. 

Décrite par Virginie Despentes comme une personnalité vulnérable, attachante, tendre, passionnée de musique, attentive envers autrui, Karen Bach a mis des mots sur les conditions de tournage des performeuses X - les actrices - et la manière dont elles pouvaient être chosifiées, maltraitées voire violentées devant et en dehors des caméras.

La journaliste Marine Bohin rapporte ainsi ce témoignage de la comédienne chère à Virginie Despentes : "Je me souviens d'une double péné par moins 5 degrés, dehors. J’étais couverte de sperme, trempée, morte de froid. Personne ne m’a tendu une serviette. Ils se sont tous barrés. Une fois que t’as tourné ta scène, tu vaux plus rien pour eux".

Mais ce n'est pas tout...

Le X est primordial dans la carrière de cette "punk", comme l'énonce la romancière féministe. Car il est évident à la lecture de ce portrait étayé que cela a contribué à une forme de mal être (ce traitement sur les tournages n'y étant pas étranger), qui va aboutir à sa fin dramatique. Au sein d'une vie marquée par les excès, de toutes sortes. "Elle était très valorisante et prenait soin des autres. Mais il y avait aussi une vraie violence en elle, qui se voyait dans la façon dont elle se traitait. Elle retournait contre elle une brutalité extraordinaire", déplore aujourd'hui l'autrice de King Kong Théorie et Vernon Subutex.

Les parents de Karen Bach, rapporte le long article de So Film, avaient également coupé les ponts "après avoir découvert que leur fille faisait carrière dans le X, grâce à un délateur qui leur avait envoyé une cassette de ses performances". Un motif supplémentaire d'isolement, et de souffrance, pour la principale concernée, jugée pour sa carrière passée. Une victime de ce que l'on appelle aujourd'hui, 25 ans plus tard, le "slut shaming" : les jugements et insultes se rapportant à la sexualité (supposée) d'une femme. Lire le coup de gueule de Zahia à ce sujet.

Cette violence envers soi, qui peut s'envisager comme une conséquence collatérale d'une brutalité bien plus globale, la brutalité patriarcale (qui s'envisage autant dans le X que dans le traitement médiatique de celles qui en sont les "stars" : cela, Clara Morgane peut largement en témoigner) c'est justement ce que met en exergue le premier film de Virginie Despentes, en s'appropriant ouvertement les codes les plus misogynes du genre, mais à des fins contestataires. Analyse validée par la binôme de Karen Bach, Raffaëla Anderson : "Ce film a été précurseur de tous les mouvements féministes d’aujourd’hui, c’était un bon tremplin pour les combats actuels".

Une facette parmi d'autres de cet article à retrouver en intégralité ici.