Oui, la masculinité toxique tue sur la route (et la Sécurité routière s'y attaque)

Publié le Mercredi 08 Février 2023
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
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La Sécurité routière a décidé de s'attaquer frontalement aux comportements à risque associés à la virilité. Elle vient de dévoiler une campagne inédite pour déconstruire les clichés. Car oui, sur la route, les hommes se tuent considérablement plus que les femmes.
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Un jeune père dans une salle d'accouchement fait la rencontre de son fils. Emu, il a les larmes aux yeux. Un autre prend son bébé pour la première fois dans ses bras. Les images, extraites d'un documentaire de Rémi Bezançon, défilent, bouleversantes. Et pour les illustrer, un texte lu par l'acteur Pio Marmaï.

"Tu n'as pas à suivre ce que les gens attendent d'un homme. C'est de toi que ça dépend (...) Ecris l'homme que tu veux être. Un homme sensible, un homme qui pleure, un homme qui sait avoir du coeur".

Ce court film se clôt par un slogan qui claque : "Soyez l'homme que vous voulez être, mais soyez un homme vivant."

Oui, le nouveau spot de prévention de la Sécurité routière dévoilé ce 8 février fait mouche. Et il est aussi très ciblé. Pour la première fois, une campagne vise explicitement les hommes. Et c'est évidemment tout sauf anodin puisqu'elle prend appui sur des chiffres solides et éloquents : sur la route, 8 morts sur 10 sont des hommes, 84% des responsables ou présumés responsables d'accidents mortels sont aujourd'hui des hommes. Et 93% des conducteurs alcoolisés impliqués dans un accident sont des hommes. Des statistiques sans équivoque.

Hommes au volant, morts au tournant

"La route reste un domaine encore très peu interrogé collectivement sur les ressorts de genre de ses usagers. Les recherches montrent pourtant que les stéréotypes, à commencer par ceux de la masculinité, transparaissent aisément au volant : 'Je vais un peu vite mais je maîtrise' ; 'Ce dépassement était un peu risqué, mais je savais que je pourrais me rabattre' ; 'Il m'énerve à vouloir me doubler, je ne le laisserai pas faire' ; 'Ne t'inquiète pas, deux verres ? ça ne change rien à ma conduite', explique l'organisme dans un communiqué.

L'idée de cette nouvelle campagne ? Déconstruire ces stéréotypes liés à la masculinité et dénoncer les comportements à risque, souvent associés à la "virilité". "Ces stéréotypes contribuent à perpétuer l'idée que l'homme, contrairement à la femme, aurait une forme d'aptitude naturelle pour la conduite, aboutissant ironiquement à transformer vitesse excessive, dépassement dangereux ou certitude de 'tenir l'alcool' en signes d'une compétence toute masculine. Les statistiques rappellent qu'il n'en est rien.'

La Sécurité routière s'est notamment inspirée de l'étude "Masculinités et risques routiers" menée par les sociologues Cyrille Dupré et Alain Mergier. "Très tôt, dès l'enfance, la petite voiture commence à être un objet intime, un objet de transmission entre le père et son fils. Cela confère à l'automobile le statut d'un symbole de virilité qui va perdurer très longtemps", analyse Alain Mergier auprès de France Inter. "La virilité, c'est être plus fort que l'autre, plus puissant, dans un rapport de confrontation au monde. Ce sont des stéréotypes bien connus qui ont la vie dure, qui se perpétuent aujourd'hui chez des jeunes aussi bien que chez des gens beaucoup plus âgés."

Une récente étude de l'Ifop révélait par ailleurs qu'une forme de domination masculine sur la route perdurait. "Le volant reste encore l'apanage des hommes dans la grande majorité des couples, peut-être parce que cet objet de pouvoir et de contrôle est encore trop chargé symboliquement pour que son partage entre les deux sexes ne soit perçu comme une remise en question de leur virilité", décryptait ainsi François Kraus, directeur du pôle "Genre, sexualités et santé sexuelle" à l'Institut.

Prenant le contrepied des campagnes de prévention traditionnelles, ce nouveau film sensible et délicat se garde de jouer la carte anxiogène. Ici, pas de voiture, pas de pneus qui crissent, ni de fracas. Un spot original pour déjouer les clichés qui peuvent s'avérer meurtriers.