Au Royaume-Uni, les chanteuses sont snobées par les radios

Publié le Jeudi 27 Août 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
La chanteuse britannique Dua Lipa.
La chanteuse britannique Dua Lipa.
Selon un nouveau rapport, les morceaux des artistes féminines représentaient seulement 19 % des titres britanniques les plus joués en radio sur les douze derniers mois.
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Le rapport, intitulé Gender Disparity Data, est édifiant : cette année, au Royaume-Uni, moins d'un morceau sur cinq figurant dans le top 100 est interprété par une femme. Pour arriver à ce résultat, Linda Coogan Byrne, consultante, et Nadia Khan, fondatrice de Women in CTRL (une communauté de femmes évoluant dans la musique et les arts), ont décortiqué les vingt chansons les plus diffusées sur les ondes de 31 radios britanniques.

Des plateformes publiques telles que BBC Radio 1 ou BBC Radio 2, et commerciales comme KISS ou Planet Rocks. Bilan : la disparité est flagrante, et certaines chaînes sont clairement moins bonnes élèves que d'autres. BBC Radio 1 par exemple, dont le pourcentage d'artistes féminines parmi les titres les plus passées est de seulement 10 %, contre 40 % chez BBC Radio 2, avec 14,3 millions d'auditeur·ice·s. Ou encore Kerrang!, Radio X et Absolute qui, elles, n'ont joué aucun tube chanté par une femme dans leur top 20.

Affligeant. Et surtout révélateur d'une industrie à la traîne.

"Il faut que ça change"

La chanteuse et compositrice anglaise Becky Hill, dont la collaboration en 2019 avec DJ Sigala (Wish You Well) a été l'un des morceaux les plus écoutés cette année, assure au Guardian que les résultats reflètent les défis auxquels les femmes sont confrontées dans le milieu. "Qu'il s'agisse de leur apparence, de ce qu'elles écrivent dans leurs chansons ou de la façon dont elles mènent leur vie quotidienne, il semblerait que les femmes doivent être plus que talentueuses pour être acceptées et réussir", déplore-t-elle.

Un constat tout aussi choquant pour Kamille, coproductrice du hit Break Up Song du girls band Little Mix, entre autres. "Le fait de voir que les femmes sont si peu représentées dans cette industrie est dévastateur et c'est quelque chose que je ressens tous les jours en travaillant dans la musique", confie-t-elle au média. "Il faut que ça change. Nous avons besoin de plus de soutien. Nos voix, notre créativité et notre talent doivent être entendus et vus aussi fort et visiblement que nos homologues masculins".

Côté coulisses aussi, la parité est loin d'être atteinte. Pourtant, les femmes sont bien présentes, juste invisibilisées. Becky Hill livre qu'elle s'est souvent sentie éclipsée par ses collaborateurs masculins, devant se battre, parfois en vain, pour apparaître dans les clips. "J'avais l'impression que ma voix et mon écriture étaient utilisées pour le succès, mais mon nom et mon visage étaient considérés comme secondaires par rapport à la renommée du DJ", raconte-t-elle. "Cela a eu un impact sur la connaissance du public de mon talent artistique, et donc encore aujourd'hui, les gens ne reconnaissent pas mon nom, mais ils connaissent ma discographie".

Un fossé qui s'accentue

Pour Eleanor McEvoy, présidente de l'Organisation irlandaise des droits musicaux, ces inégalités semblent s'aggraver. "Le préjugé inconscient envers les musiciens, les auteurs et les interprètes masculins est stupéfiant. En regardant ces chiffres, je suis frustrée par le talent que nous perdons, la chanson qui va nous manquer et les voix que nous n'entendrons jamais", s'indigne la responsable dans les colonnes du média britannique.

Bauer Media, qui possède la radio Kerrang! (cancre du classement), a promis des efforts concrets. "Nous nous sommes engagés à travailler avec les labels et l'industrie musicale en général pour améliorer la représentation des femmes, en particulier dans le rock et l'indie, deux genres historiquement dominés par les hommes", garantit un porte-parole. "Nous sommes d'accord qu'il y a encore beaucoup à faire et nous continuerons à améliorer la variété de la musique que nous jouons afin de refléter correctement le public que nous servons".

A voir si les actes s'alignent sur les paroles.

En France, près de 700 artistes féminines élevaient la voix en avril 2019 contre le sexisme dans l'industrie de la musique, appelant à une "révolution égalitaire". Parmi elles, la chanteuse Pomme qui dénonçaient que ses semblables étaient souvent "infantilisées et décrédibilisées". "Il est plus que crucial aujourd'hui de faire résonner ce besoin qu'ont les femmes d'être écoutées, entendues, prises au sérieux et traitées à leur juste valeur", s'insurgeait-elle. A bon entendeur...