C'est une des questions que posait déjà en 2009 la journaliste allemande Charlotte Roche dans son livre « Zones Humides » qui a dépassé le million d'exemplaires vendus, dans son pays natal. C'est également la question que posaient en Angleterre les présentateurs de télévision Emer O'Toole et Michelle Devine, au début du mois de mai dernier, dans leur émission « This Morning », où ils recevaient une femme qui depuis 18 mois avait choisi de ne plus s'épiler, effrayée, énervée, révoltée par la façon dont les femmes doivent se soumettre à de plus en plus de diktats, au prix de souffrances et de sacrifices. Elle racontait, entre autre, son indignation de voir des petites filles de 11 ans hurler de douleur dans des salons de beauté pendant qu'elles se faisaient faire des épilations du maillot, prêtes à tous les sacrifices pour ne jamais avoir à montrer l'ombre d'une pilosité. Si elle se réjouissait par ailleurs de constater que ses partenaires masculins avaient soutenu son choix, les spectateurs étaient eux indignés. 80% d'entre eux estimaient qu'une femme avait l'obligation de soustraire à la vue des autres tout poil d'aisselle et de jambe.
L'affaire des poils féminins, qui semble être décidément bien sérieuse, a pris une toute autre et tragique tournure en Suède, autrefois pays de la tolérance et des idées larges en matière de sexualité. En mars dernier, à l'occasion de la finale d'un concours de chanson, Lina Ehrin, bibliothécaire, est apparue à la télévision, applaudissant avec des poils aux aisselles, l'espace d'une demi-seconde. Un spectateur a jugé bon de faire une image figée de cet instant et de la publier sur le réseau social Facebook, entraînant dans la foulée plusieurs milliers de commentaires outrés qu'une femme ose ne pas se raser sous les bras. Immédiatement une autre page Facebook est venue répondre à celle-ci, pour au contraire défendre Lina et le droit des femmes de ne pas s'épiler. Dans un mouvement de soutien, de nombreuses autres femmes sont venues y publier des photos d'elles, poilues ici ou là, jusqu'à ce que des menaces de mort apparaissent sur la page. Dans un grand mouvement de révolte, les femmes ont étendu le mouvement du réseau social à la rue, organisant des manifestations, relayées par la presse tabloïde. La police a été obligée d'intervenir pour protéger les femmes victimes de ces menaces de mort. D'autres découvraient avec désolation que l'amour de leurs partenaires ne tenait qu'au fil du rasoir : point de salut avec des jambes poilues.
Voilà à présent que la Suède se scinde en deux avec fracas et violence, entre les résistantes du poil et ses farouches opposants.
Ainsi que le note Pierre Griffet, auteur en France d'un blog sur la pilosité, il fut un temps, dans les années 70 où les femmes avaient le droit de s'afficher avec ou sans poils, sans que personne ne s'en offusque. Dans les années 80, le poil disparaissait en été, puis, la décennie suivante, il n'apparaissait à aucune des quatre saisons. Depuis le début du XXIe siècle, sont apparus les pilophobes, qui ont un malin plaisir à insulter les rares femmes qui osent encore afficher quelques poils. On en arrive à des comportements équivalents à ceux pourtant si décriés de certains pays intégristes, en menaçant de mort les femmes qui résistent à cette nouvelle tendance machiste de vouloir que le corps féminin garde un aspect infantile. Car après tout et pour reprendre l'expression de l'anthropologue Françoise Héritier, il importe que dans les patriarcats la femme reste pour l'homme une « cadette ».
Et comme le notait il y a quelques années le sexologue Gérard Zwang : « Renoncer à sa toison pubienne, à sa pilosité axillaire, à ses cheveux, voiler sa chevelure, son visage, autant de sacrifices auxquels sont contraintes les femmes partout où la féminité est suspecte, crainte ou haïe. Certains châtiments expriment même un regret non pas « inconscient » mais bien manifeste de certains hommes : que les femmes ne soient pas des hommes, à leur image. »
A méditer avant un prochain rendez-vous chez l'esthéticienne...
Merci à Pierre Griffet.
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