Les habitants de ce village écossais souhaitent retrouver leur "sorcière"

Publié le Jeudi 12 Septembre 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Un village écossais se mobilise pour rendre sa dignité à une "sorcière"
Un village écossais se mobilise pour rendre sa dignité à une "sorcière"
Il n'est jamais trop tard pour honorer la mémoire des prétendues "sorcières" d'hier (et véritables victimes du patriarcat). Ces habitants d'un village écossais nous le démontrent.
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Elle s'appelait Lilias Adie. C'était une femme de soixante ans comme les autres, résidant au sein du village de Torryburn à Fife, à l'est de l'Écosse, il y a de cela trois-cent ans. En 1704, on l'arrête. Le motif d'accusation ? Il surprend peu, vu le mood de l'époque : sorcellerie. Plus précisément, sa voisine l'accuse d'avoir "copulé" avec le Diable. Rien que ça. S'ensuit un "procès" et un emprisonnement. Et, entre les deux, de nombreux actes de torture - une procédure aidant plutôt, il est vrai, à avouer cette "union" maléfique. Lilias Adie n'en réchappe pas. D'après les historiens, on l'aurait retrouvé morte au sein de sa cellule. Elle se serait suicidée, évitant ainsi le châtiment traditionnel que les "sorcières" subissent : le bûcher.

Mais aujourd'hui, et à l'heure où les sorcières font leur grand retour sous l'égide de l'empowerment, son village souhaite lui faire honneur. Effectivement, comme l'énonce Stylist, le gouvernement local de Fife vient de lancer une campagne. Le projet ? Rechercher les os de Lilias Adie, dans le but de lui rendre une sépulture digne, bien loin des agissements de ses oppresseurs. Autrement dit, les habitants souhaitent lui faire justice, par-delà le temps et la mort. C'en est fini de la chasse aux sorcières...

A la mémoire des sorcières

"Hocus Pocus", le "witch-powerment" par excellence
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D'après les chercheurs, le corps de Lilias Adie aurait été enterré loin du village, "dans la boue", avant d'être recouvert d'une énorme pierre, "afin de l'empêcher de revenir hanter les vivants". Parmi ceux-ci, il y a donc cette fameuse voisine, qui, précisons-le si besoin est, était en état d'ébriété lorsqu'elle a désigné la sexagénaire comme amante du démon. Le récit de Lilias Adie est tragique. Quand elle a été soumise à un interrogatoire, on l'a forcée à révéler les noms de ses "complices"-sorcières. Elle n'a pipé mot.

"C'était une personne très intelligente et inventive", s'enthousiasme même l'historienne Louise Yeoman. Retrouver ses os permettrait de corriger, des siècles plus tard, une cruelle injustice, tout en dénonçant la réalité historique à laquelle on l'associe : le massacre systémique des femmes par l'autorité patriarcale, sur fond de superstitions diverses. "Lilias n'a jamais été oubliée. Nous devons la retrouver. Les milliers d'autres hommes et femmes accusés de sorcellerie au début de l'Écosse moderne ne sont pas les personnes perverses que l'histoire a décrites, mais les victimes innocentes d'une époque peu éclairée", affirme en ce sens la conseillère locale Kate West, qui voit là une manière salutaire "d'inverser la tendance", à l'heure-même où les voix des femmes opprimées se libèrent à travers le monde.

Car rappelons qu'au 19e siècle encore, comme l'écrit l'autrice Mona Chollet dans son fascinant essai Sorcières : la puissance invaincue des femmes, "toute tête féminine qui dépassait pouvait susciter des vocations de chasseurs de sorcières. Répondre à un voisin, parler haut, avoir un fort caractère ou une sexualité un peu trop libre, être une gêneuse d'une quelconque manière pouvait vous mettre en danger". Et le cas désastreux de Lilias Adie prouve, effectivement, qu'il en fallait (vraiment) peu... Souhaitons donc bonne chance aux habitant·e·s de Fife dans leur quête.