Société
Pourquoi les danseurs noirs boycottent TikTok
Publié le 25 août 2021 à 19:11
Par Louise Col | Journaliste
Louise Col, journaliste spécialisée dans les sujets de société sur le site terrafemina.com
La réappropriation culturelle serait-elle beaucoup trop banalisée sur TikTok ? De nombreux danseurs et danseuses afro-américains posent la question qui fâche avec le mouvement #BlackTikTokStrike.
La danseuse afroaméricaine Mya Nicole (@theemyanicole) sur TikTok. La danseuse afroaméricaine Mya Nicole (@theemyanicole) sur TikTok.© TikTok
La suite après la publicité

Celles et ceux qui y gravitent régulièrement le savent, TikTok est certes une plateforme de divertissement (volontiers viral), mais c'est également la sphère chérie d'une génération déconstruite et éveillée. Que l'on y prenne position en faveur de la lutte écologiste ou que l'on s'amuse des clichés recyclés par les scénaristes masculins dans les séries et films hollywoodiens, l'engagement, féministe et pas seulement, y palpite.

Et cela s'envisage notamment à travers certains mots clés et mouvements sociaux. Récemment encore, cette facette là fut mise en lumière par l'émergence d'une vague : #BlackTikTokStrike. Qu'est-ce que c'est ? Et bien tout simplement, la protestation générale - et "grève" - des danseurs et danseuses noirs, dénonçant l'usage de leurs chorégraphies sans citation. Outre-Atlantique notamment, les Tiktokeurs afro-américains pointent du doigt celles et ceux qui exploitent leurs danses, dans le cadre de tendances, sans jamais évoquer leur nom.

Une forme d'invisibilisation qui ne passe vraiment pas.

@jalaiahharmon

Like we hit the lottery @addisonre @charlidamelio

original sound - Jalaiah
Une mobilisation critique

Sur TikTok, les vidéos estampillées #BlackTikTokStrike avoisinent les 8 millions de vues cumulées, excusez du peu. Le hashtag fait l'objet de témoignages, de débats, de prises de parole libératrices. A l'origine de cette mobilisation, l'impulsion du danseur Erick Louis. Le jeune homme de 21 ans garde à l'esprit certaines injustices passées. Comme l'expérience de la jeune danseuse native d'Atlanta Jalaiah Harmon.

En 2019, sa chorégraphie imaginée sur fond de Lottery (un son du rappeur K-Camp) fait sensation sur la Toile. Le prestigieux New York Times l'envisage comme "l'une des meilleures danses d'Internet". Des millions d'internautes l'érigent en phénomène, déclinant la danse dans leurs vidéos. Mais sans avoir le réflexe de citer le nom de son instigatrice...

"J'étais contente quand j'ai vu ma vidéo postée partout sur Internet, mais je voulais être créditée", déclarera-t-elle alors, comme le rapporte le média Jeune Afrique. Un cas individuel qui ferait système. Sur cette plateforme pop fonctionnant en grande partie à coups de tendances virales et de gimmicks musicaux, il n'est pas rare que les chorégraphies recyclées soient la création de jeunes artistes noirs... Bien souvent reprises par des utilisateurs blancs. Une forme d'exploitation qui suscite la polémique. Et donc, le boycott, choix politique mis en avant par le danseur professionnel afro-américain Erick Louis.

"Cette plateforme ne serait rien sans les Noirs", a affirmé ce dernier. Comme l'énonce Jeune Afrique, cette mobilisation digitale "encourage la communauté afro à ne plus diffuser de vidéos de danse" tout en rappelant l'importe de créditer les créateurs indépendants qui sont pour beaucoup dans le succès de la plateforme.

Les millions de vues suscitées par le hashtag en disent long sur l'ampleur de ce mouvement. Les succès sur TikTok des sons et chorés d'artistes noires très influentes comme Lizzo, Cardi B ou encore Megan Thee Stallion suggèrent à quel point les personnalités afroaméricaines ont toujours importé pour le potentiel viral du site.

En quête de visibilité

"Les danses issues de la communauté noire sont le plus souvent à l'origine des grandes tendances sur l'application, ce qui contribue au succès de la plateforme et pourtant, leurs chorégraphies sont souvent reprises par des influenceurs blancs, davantage médiatisés et mieux rémunérés", déplore à l'unisson le journal Courrier International. Rappelons que comme sur YouTube, les utilisateurs de TikTok peuvent bénéficier des revenus découlant des vues générées par leurs publications. La "grève" entreprise par les utilisateurs et utilisatrices noirs n'a donc rien d'abstraite - visibilité, audience et revenus sont en jeu.

@theericklouis

If y'all do the dance pls tag me it's my first dance on Tik tok and I don't need nobody stealing/not crediting

Thot Shit - Megan Thee Stallion

"Une grande partie de la culture populaire américaine vient de la culture noire et cela avant même qu'Internet n'existe. Nous pouvons prendre n'importe quelle période historique et observer la culture populaire, afin de constater comment les Blancs qui ont accès au capital culturel et aux médias grand public s'inspiraient des formes de création des artistes noirs", observe sur les ondes de la radio américaine NPR la professeure Sarah J. Jackson, codirectrice du Inequality & Change Center de l'Annenberg School for Communication (Pennsylvanie).

Une réappropriation culturelle qui ne serait donc que le prolongement d'une triste tradition, outre-atlantique notamment. Un phénomène qui fait encore grincer bien des dents à l'heure où le dernier tube de la rappeuse afro-américaine Megan Thee Stallion, Thot Shit, suscite des millions de vues sur la Toile. Pendant ce temps, les danseurs noirs, de leur côté, sont en quête d'un tant soi peu de reconnaissance.

"Depuis la fondation des Etats-Unis, les formes d'art noires, comme les danses par exemple, ont été réappropriées par les Blancs pour gagner de l'argent. Si vous vous placez dans le contexte de cette longue histoire de travail volé, vous comprenez combien c'est important que les danseurs et danseuses soient crédités", analyse encore Sarah J. Jackson. Une lutte qui, comme bien des mobilisations sociales, se poursuit sur TikTok.

Mots clés
Société News essentielles TikTok Culture internet réseaux sociaux racisme web discrimination danse
Sur le même thème
"Je veux voir ses fesses !", "un sex symbol érigé en femme-objet" : pourquoi ce classique du cinéma à revoir en ligne gratuitement est très controversé
cinéma
"Je veux voir ses fesses !", "un sex symbol érigé en femme-objet" : pourquoi ce classique du cinéma à revoir en ligne gratuitement est très controversé
30 juillet 2025
Vrai phénomène outre atlantique, ce film sidérant et salué à Cannes est la grosse claque féministe de cet été, on vous raconte pourquoi
cinéma
Vrai phénomène outre atlantique, ce film sidérant et salué à Cannes est la grosse claque féministe de cet été, on vous raconte pourquoi
28 juillet 2025
Les articles similaires
"La reine du bikini", "ce corps !", "hot summer" : Emily Ratajkowski obsède en bikini sur ces photos décomplexées qui clignent de l'oeil à Dua Lipa, et ses selfies sont tout sauf anodins
réseaux sociaux
"La reine du bikini", "ce corps !", "hot summer" : Emily Ratajkowski obsède en bikini sur ces photos décomplexées qui clignent de l'oeil à Dua Lipa, et ses selfies sont tout sauf anodins
2 septembre 2025
"Le bustier l'étouffe !", "ce corps est surréaliste" : Kim Kardashian pose en bustier sexy et porte jarretelles gothico-BDSM, son look avant-gardiste agace les internautes
Culture
"Le bustier l'étouffe !", "ce corps est surréaliste" : Kim Kardashian pose en bustier sexy et porte jarretelles gothico-BDSM, son look avant-gardiste agace les internautes
24 juillet 2025
Dernières actualités
"Elle est très jeune", "Il change de femmes comme de chemises" : l’apparition de Dany Boon et sa compagne de 16 ans de moins que lui suscite la critique des internautes
people
"Elle est très jeune", "Il change de femmes comme de chemises" : l’apparition de Dany Boon et sa compagne de 16 ans de moins que lui suscite la critique des internautes
3 décembre 2025
"J'espère qu'elle va bien", "ça fait peur" : cette chanteuse américaine apparaît très amaigrie et suscite l'inquiétude de ses fans
people
"J'espère qu'elle va bien", "ça fait peur" : cette chanteuse américaine apparaît très amaigrie et suscite l'inquiétude de ses fans
3 décembre 2025
Dernières news