Les Tramp Stamps, le girls band punk phénoménal... mais problématique

Publié le Mercredi 12 Mai 2021
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Les Tramp Stamps, le girls band punk phénoménal... mais problématique
Les Tramp Stamps, le girls band punk phénoménal... mais problématique
Girls band punk s'érigeant en héritières du mythique phénomène Riot Grrrls, les Tramp Stamps font sensation sur la Toile. Oui, mais pas forcément pour les bonnes raisons.
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Un girls band ouvertement punk, aux paroles un brin punchy et aux intentions féministes, qui reprend Blink 182 entre deux chansons originales, que demander de plus ? Ca, c'est la définition des Tramp Stamps (les "tampons de clochardes" littéralement), un trio rock plutôt vénér qui a investi TikTok depuis le mois de novembre 2020. Et s'est bien fait remarquer, jusqu'à friser la viralité. Mais pas forcément pour le bien du projet collectif.

Parées de leurs dizaines de milliers d'abonnés sur Instagram et TikTok, et ce en seulement trois chansons – dont la plutôt aperçue I'd Rather Die, près d'un demi-million de vues sur YouTube en moins d'un mois – les trois membres du groupe ont donc de quoi crier au succès. Mais c'est plutôt la controverse qui est venue les submerger en avril 2021. Ce dont témoigne d'ailleurs le clip du morceau cité plus haut, accablé par plus de 30 000 dislikes sur YouTube – soit presque dix fois de plus que le ratio de pouces en l'air. Pourquoi tant de haine ?

La réponse est simple : phénomène de la Toile, les Tramp Stamps sont accusées d'être un projet purement commercial, tout sauf indie, pas punk pour un sou et pas forcément très féministe. Des arguments qui agitent médias et réseaux sociaux. On récapitule.

Une arnaque commerciale ?

A l'origine, les Tramp Stamps ont tout pour intriguer. Le jeune trio originaire de Nashville, constitué de trois amies (Marisa Maino, Caroline Baker et Paige Blue), se serait monté suite à une discussion arrosée dans un bar. Ses vedettes arborent des mèches multicolores, des goûts un peu vintage (genre Weezer) et un phrasé cinglant. Dès novembre dernier, elles se font remarquer sur les réseaux, TikTok notamment, par leurs reprises du punk à roulettes/emo vénéré des (anciens) ados – celui de Blink 182 et de la skater girl Avril Lavigne (nostalgie intense).

Entre le punk et la pop, très début 2000s, le cocktail séduit, et aligne les millions de vues au gré des plateformes.

Mais cette ascension se serait stoppée nette en ce mois d'avril, lors de la mise en ligne du clip de leur single plutôt furibard, I'd Rather Die. Comme le rapporte Slate, ce sont des TikTokeurs et TikTokeuses plutôt suivis, comme @furbyrights, @seapunkhistorian et @hard_cope, qui ont dès lors commencé à s'intéresser au passif du groupe et notamment à la véracité de l'étiquette qu'il aborde – celle d'un punk indépendant et engagé. Constat ? Le groupe incendiaire balancerait de la poudre aux yeux de ses fans.

En partie car l'une des membres, Paige Blue, serait familière des méthodes de communication et des maisons de production mainstream depuis quelques années (elle aurait notamment composé de la pop pour des labels pas vraiment punk comme Downtown Music Publishing). Mais surtout, car les sons du groupe sont distribuées par la société Artists Without a Label, que possède ni plus ni moins... Sony Music. Pas super rebelle.

En somme, on accuse le trio d'être ce que l'on appelle une "industry plant" - expression anglophone traduisible par "fabrique industrielle". A savoir, un groupe ou un·e artiste qui se prétend indépendant·e mais se révèle être associé·e à une major ou à une boîte bien plus considérable. Comme "infiltré·e" dans l'indé en somme. Du mainstream qui ne s'avouerait pas.

Pour le vidéaste Seraph Sexton, relève le média Girlfriend, les Tramp Stamps sont comme des "filles de riches" détournant l'imagerie punk et son activisme pour en faire quelque chose "d'hyperproduit, d'insipide et d'insignifiant, qui ne défie rien et ne fait rien de controversé".

Ca fait mal.

Des opinions (un peu) plus modérées

Mais ce n'est pas tout. Pour les utilisateurs et utilisatrices de TikTok, une problématique plus insidieuse s'exprime à travers les voix de ces chanteuses déchaînées. Nombreux sont effectivement les internautes à associer le trio à une révolution culturelle punk et féministe culte, celle du Riot Grrrl, mouvement de création (fanzines, festivals, concerts) ayant secoué les années 90. Vague dont rend compte le récent teen-movie Netflix Moxie.

Une analogie pas si classe, puisque le groupe viralisé sur TikTok en serait le pendant profondément mainstream et opportuniste, selon ses détracteurs. Mais aussi, car le Riot, véritable phénomène des années grunge, n'était pas forcément familier avec les notions d'inclusivité, de personnes racisées et queer – valorisant en grande majorité des femmes blanches et cisgenres. Des travers dont le girls band se voit lui-même accusé aujourd'hui.

Comme s'il avait dix métros de retard, d'autant plus pour une initiative "rebelle". Pas de quoi pogoter dans son appart donc. Autant d'éléments à controverse auxquels le groupe a finalement répondu le 18 avril dernier sur Twitter. Pour les Tramp Stamps, ces accusations ne sont que mensonges. "Nous sommes seulement trois femmes qui écrivons et produisons de la musique depuis de nombreuses années, bottant des culs dans l'industrie de la musique tout en bâtissant notre carrière. Vous avez utilisé les théories du complot sur TikTok pour obtenir plus de vues sur vos propres vidéos. Allez vous faire foutre", clament-elles dans leur publication virulente.

Cependant, passé le bad buzz, certains médias en appellent à une légère prise de recul. Comme Slate, qui nous rappelle que bien des artistes, de Billie Eilish à Clairo (la reine du bedroom pop) en passant par Cardi B ont elles-mêmes été qualifiées "d'industry plant" il fut un temps. Ce qui n'empêche pas les principales concernées d'aborder une personnalité forte, une liberté de création certaine et un véritable univers artistique.

"Ce que nous critiquons vraiment lorsque nous parlons de ce groupe, ce n'est pas que c'est du marketing, non, c'est que c'est un mauvais marketing", ironise en retour le média Vox, qui tient à préciser que "la musique que nous écoutons n'est presque jamais à 100% si 'authentique' que nous aimerions le penser" et que cela fait déjà des années que l'industrie musicale "recycle une esthétique comme celle des Riot Grrrls ". A bon entendeur.

C'est simplement la manière dont le groupe se présente qui, selon le média en ligne, fait grincer des dents. Face à cette désinvolture qui ne passe pas, on attend désormais de savoir comment va évoluer le groupe. Les Tramp Stamps vont-elles parvenir à s'émanciper de ce bad buzz et des critiques qu'on leur décoche ?

A ce sujet, Vox leur suggère encore un conseil : "Personnellement, je pense que la chose la plus punk que Tramp Stamps puisse faire est de changer son nom en Industry Plants". Un pied de nez qui fait rire jaune.