Le congé menstruel pour les femmes : progrès ou sexisme ?

Publié le Mardi 27 Mai 2014
Ariane Hermelin
Par Ariane Hermelin Journaliste Terrafemina
Journaliste société passée par le documentaire et les débats en ligne sur feu Newsring.fr.
Le congé menstruel pour les femmes : progrès ou sexisme ?
Le congé menstruel pour les femmes : progrès ou sexisme ?
Faut-il accorder aux femmes qui travaillent un congé menstruel ? Lancée par une journaliste américaine, l'idée fait depuis débat dans les médias outre-Atlantique. Si certains y voient une avancée pour les femmes, d’autres fustigent une mesure « sexiste » et contre-productive. Explications.
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« J’ai mes règles » : cette excuse parfois utilisée par les adolescentes pour échapper aux cours de gymnastique n’a plus cours une fois finies les années lycée. De fait, on imaginerait mal une salariée se faire porter pâle pour cause de règles douloureuses, du moins officiellement. Pourtant le congé menstruel a cours dans quelques pays d’Asie, comme le rappelle la journaliste Emily Matchar dans un article intitulé « Faut-il créer un congé menstruel ? » publié sur le site The Atlantic.

Ainsi, au Japon, le congé menstruel date de l’après-guerre, en 1947. Toute femme souffrant de douleurs menstruelles peut en effet s’absenter du bureau en utilisant ce « seirikyuuka ». Ce droit existe également à Taïwan, en Corée du Sud et en Indonésie. En Russie, il a également été question de l’accorder au nom de « l’inconfort psychologique et physiologique extrême dont souffrent la plupart des femmes pendant leurs règles. »


Réduire les femmes à des créatures dominées par leur utérus

En s’interrogeant sur l’opportunité de créer, à l’image de ces pays, un congé menstruel aux Etats-Unis, Emily Matchar a suscité un vif débat dans la presse américaine. Alors que pour certains, le congé menstruel, en leur permettant d’aborder au travail un sujet de tout temps tabou - les menstruations et leurs conséquences physiques - serait un symbole de l’émancipation des femmes, d’autres y voient une régression.

Pour Katy Waldman, journaliste chez Slate, ce type de mesure ne ferait que renforcer les clichés au sujet du corps de la femme, comme les préjugés absurdes - qui seraient à l’origine du congé menstruel en Asie - selon lesquels « les femmes qui ne se reposent pas pendant leurs règles connaîtront des difficultés lors de leur accouchement » et « le sexe faible ne peut pas travailler au moment où sa muqueuse utérine se décolle ». Pour la journaliste, l'instauration d'un congé menstruel ne constituerait pas une avancée pour les femmes en répondant à leurs besoins physiologiques, loin de là. « Si votre patron commence à vous accorder des jours de congé pendant vos règles, bientôt il pourrait engager un sorcier pour bénir votre utérus trois fois pendant la pleine lune », écrit-elle volontiers sarcastique. Et Katy Waldman de s’insurger contre une mesure qui véhicule l’idée selon laquelle les femmes sont grosso modo de faibles créatures à la merci de leurs hormones et de leur utérus.

Une question de l'ordre du droit des travailleurs ?

Du côté des certaines blogueuses féministes, la question du congé menstruel est cependant considérée comme légitime. « Et si on demandait si les hommes ont droit à un congé quand ils ont un problème suite à un coup dans les testicules, que répondrait-on ? », demande Rebecca Watson, fondatrice du blog Skepchick, lors d’un chat sur le sujet organisé par le Huffington Post. « On est tout bonnement en train de parler de droit des travailleurs. Les études montrent que, quand on accorde un nombre de jours de congé maladie illimité aux salariés, ils en prennent moins que s’ils en ont un nombre limité et ils sont même plus heureux et productifs au travail. »

Le débat sur le congé menstruel a pris une telle ampleur dans la presse américaine qu’un journaliste de Forbes a jugé bon d’expliquer dans un article que créer un congé spécifique pour les femmes souffrant de douleurs menstruelles aurait pour effet de creuser l’écart salarial entre les hommes et les femmes en augmentant le coût du travail féminin.

L'ampleur qu'a pris ce débat est sans doute liée au fait que les arrêts maladie, appelés « sick days », sont loin d'être généralisés aux Etats-Unis, contrairement à la France. Incidemment les quelques pays d'Asie qui ont instauré un congé menstruel ont en commun une politique médiocre en termes de congés maladie rémunérés ; seuls les travailleurs souffrant de maladies graves peuvent bénéficier d'arrêt de travail au Japon ou en Corée du sud.

Si la question du congé menstruel n'a jamais été soulevée en France, où la couverture maladie est plus généreuse que dans ces pays, elle n'est pas dénuée d'intérêt. Qu'en pensez-vous ? Serait-ce une avancée pour les droits de femmes, ou, au contraire, une régression ?