Drogues au travail, pas de tabou qui vaille

Publié le Jeudi 27 Février 2014
Drogues au travail, pas de tabou qui vaille
Drogues au travail, pas de tabou qui vaille
Si aucune étude n’est encore venue quantifier la consommation de substances psychoactives au travail, les médecins observent dans leur cabinet de consultation une progression du phénomène depuis quelques années. Dans les coulisses d’un environnement professionnel rendu plus compétitif par la crise, employés et dirigeants ont recours à des stimulants pour booster leurs performances et endiguer la pression.
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Selon un récent sondage Apave-TNS Sofres publié en octobre 2013, 66 % des Français se disent de plus en plus stressés au travail, autrement dit, ressentent un déséquilibre entre ce qui est exigé d’eux et les ressources dont ils disposent pour répondre à ces exigences. Entre 35 et 49 ans, la proportion s’élève à 73 %. Une enquête de Right Management parue simultanément parvenait à des conclusions encore plus alarmantes puisque c’est 8 salariés sur 10 qui affirmaient évoluer dans un environnement de travail plus stressant qu’il y a cinq ans.

Des résultats qui étaient à prévoir selon le responsable management de Right Management, Jean-Yves Pasquier. Le ralentissement économique induit par la crise a nécessairement conduit les entreprises à modifier leur organisation et à réduire leurs effectifs si bien que la charge de travail reposant sur les épaules des salariés comme des dirigeants s’est accrue, faisant monter la pression d’un cran. D’une manière ou d’une autre, une telle augmentation des obligations et des responsabilités se paye.

Plus de stress, plus de drogues ?

Publiés en 2012, les résultats d’une étude menée en 2010 par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) s’intéressaient à la consommation des substances psychoactives en milieu professionnel et révélait que tous les secteurs étaient concernés, même s’il était plus prégnant en l’hôtellerie – restauration. C’était la première étude réalisée sur le sujet, la sociologie ayant délaissé pendant longtemps la question de la toxicomanie au travail.

Si l’on ne peut pas vraiment affirmer, faute de comparaison, que la consommation de drogues a augmenté avec la crise, les professionnels de la santé ont néanmoins observé ces dernières années dans les cabinets de consultation une nouvelle catégorie de dépendants, « Les dopés du quotidien », selon l’expression de Michel Hautefeuille, psychiatre à l’hôpital Marmottan, spécialisé dans les addictions.

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Un article récent de l’AFP s’intéresse aux coulisses du monde professionnel. Dan Véléa, psychiatre spécialisé, s’est entretenu avec de nombreux patients affectés par le phénomène : « Les gens sont stressés dans l’entreprise » et la consommation de ces substances (alcool, anxiolytiques, cocaïne...) constitue un « moyen d’adaptation très facile », a-t-il déclaré au média, replaçant ce comportement dans le contexte d’« une société de la performance ».

De l’alcool à la cocaïne : vers une diversification de la consommation

En réalité, ce n’est pas tellement la consommation de substances psychoactives au travail qui a changé. Au siècle dernier, la consommation d’alcool était très fréquente pour encaisser les 10 à 12 heures de travail quotidien. Il était même considéré comme vecteur de convivialité et d’intégration. Si l’alcool reste la substance la plus consommée, la nature des drogues a bel et bien évolué. Elles se sont diversifiées tout en privilégiant les propriétés stimulantes nécessaires à l’amélioration de la performance professionnelle.

Ainsi, il y a « un vrai problème en France, notamment avec le cannabis » selon Marc Élie, spécialiste des risques psychotropes au travail. Ce produit aurait la vertu d’annihiler la peur d’après les confidences des salariés. De même, si la cocaïne reste marginale, sa consommation « explose » constate M. Véléa. L’héroïne n’est pas absente du tableau. Le spécialiste estime que ces addictions deviennent forcément « incontrôlables » à un moment ou à un autre.

Des comportements à risques à l’origine d’accidents professionnels

Un avis que ne partage pas Astrid Fontaine, ethnologue et auteur en 2006 de « Double vie. Les drogues et le travail », qui estime que des individus parviennent à assurer la gestion de leur addiction. Invisibilité de la toxicomanie contrôlée ou pas, ces pratiques ne sont pas sans conséquence : près de 15 % à 20 % des accidents professionnels, absentéisme et conflits au travail seraient liés aux psychotropes.

Dans un environnement dominé par le stress et l’urgence, la prise de risques est réelle du fait d’une consommation parfois hâtive (pour « être à la hauteur » avant les réunions par exemple) et massive, et même d’une polyconsommation qui associe parfois aux substances illicites des doses excessives de caféine ou encore de Guronsan.

Briser le tabou

Le plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives présenté par Marisol Touraine en septembre 2013 conforte la dynamique impulsée lors du dernier plan relatif à la prévention en milieu professionnel. Au programme, la prévention, l’amélioration des connaissances des effets de la consommation des drogues et d’alcool sur la sécurité et la santé au travail et une meilleure communication sur le sujet.

Mais est-ce vraiment suffisant ? Il s’agirait d’abord d’ouvrir les yeux, d’évaluer ces comportements addictifs pour véritablement être en mesure d’y répondre. Pour le moment, le phénomène est difficile à quantifier et il semblerait que la France fasse plutôt preuve d’un attentisme aveugle face à cette réalité. Sans études approfondies, aucun accompagnement psychologique et médicamenteux possible, alors qu’il devient urgent de le mettre en place.

>> Le stress au travail : un business comme les autres <<


Il serait temps que le Gouvernement ôte ses œillères sur le sujet. Éminemment tabou, la drogue au travail doit être abordée de manière rationnelle. C’est à cette seule condition que les comportements à risques des employés comme des dirigeants d’entreprise pourront bénéficier de l’encadrement nécessaire.