Génocide rwandais : le rapport qui change tout

Publié le Mercredi 11 Janvier 2012
Un rapport balistique commandé par les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux accrédite la thèse que les loyalistes hutus sont à l’origine de l’attentat qui causa la mort du président hutu Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994. Cette relecture de l’évènement déclencheur du génocide rwandais contre les Tutsies suggère l’hypothèse de massacres planifiés.
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L’attentat qui causa la mort du président hutu Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, a toujours été recouvert de brumes épaisses. D’où viennent les tirs qui abattirent l’avion présidentiel ? Jusque-là, c’est la version polémique du juge français Jean-Louis Bruguière qui faisait école : son enquête diligentée en 2006 concluait que les tirs venaient de la colline de Masaka à Kigali, et qu’ils étaient imputables aux rebelles tutsis du FPR (Front patriotique rwandais), opposants au régime. Cette lecture des faits causa la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda, dirigé par le président Paul Kagamé, dont certains proches se trouvaient inculpés par l’enquête Bruguière.

Un rapport balistique commandé par les juges Marc Trévidic (juge antiterroriste en charge, entre autres, des affaires Karachi et Tibhirine) et Nathalie Poux accrédite une tout autre thèse. Forte d’une méthodologie scientifique poussée, leur enquête, menée fin 2010 sur le terrain (alors que le juge Bruguière n’avais jamais fait le déplacement) parvient à la conclusion que les tirs des deux missiles à l’origine de l’attentat proviennent de la colline de Kanombé, où se trouvait un camp militaire hutu. D’où la thèse que c’est la garde présidentielle qui serait à l’origine de la mort d’Habyarimana. Celui-ci revenait d’une conférence régionale déroulée à Dar es-Salaam (Tanzanie) où il avait accepté un accord de paix avec les opposants du FPR et le partage du pouvoir. Ses fidèles extrémistes se seraient donc chargés de liquider la voie de l'apaisement politique dans le pays.

Un dispositif technique minutieux a été déployé sur place : trois spécialistes en aéronautique, deux géomètres, un balisticien et un acousticien ont étudié les caractéristiques du terrain afin de comparer leurs mesures aux déclarations de témoins-clés. Le colonel de Saint-Quentin, qui logeait à l’époque dans le camp de Kanombé, a toujours dit avoir clairement entendu le départ des tirs. Or, l’expert acousticien estime que le site de Masaka est trop éloigné pour que le militaire français ait pu entendre quoi que ce soit dans le cas où cette colline aurait été le foyer directeur des tirs. Les autorités rwandaises ont manifesté mardi leur satisfaction. « Avec cette vérité scientifique, les juges Trévidic et Poux ont fermé brutalement la porte à dix-sept ans de campagne de négation du génocide », explique Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères. L’attentat du président Habyarimana avait déclenché le massacre de plus de 800 000 Rwandais, pour la plupart tutsis, en moins de cent jours. La thèse d’un coup monté en interne par les ultras du camp hutu confirme le scénario d’un génocide planifié, et prive les négationnistes d’une attribution du déclenchement des massacres aux rebelles tutsis.

Elodie Vergelati

Crédit photo : AFP/Portrait du président rwandais Juvénal Habyarimana, pris le 7 octobre 1982 à Kigali.

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