"Tampon, notre ennemi intime" : les tampons tuent-ils les femmes à petit feu ?

Publié le Lundi 24 Avril 2017
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
Les tampons sont-ils dangereux pour les femmes ?
Les tampons sont-ils dangereux pour les femmes ?
Mardi 25 avril, France 5 diffuse "Tampon, notre ennemi intime", un glaçant documentaire sur les dangers qu'encourent les femmes à utiliser ce produit phare de l'hygiène intime.
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Margaux, 23 ans et Justine 26 ans, sont deux jeunes femmes en bonne santé. Pourtant, il y a quatre ans, toutes deux ont failli mourir à cause d'un objet que chaque femme utilise des milliers de fois au cours de sa vie : un tampon hygiénique.


Épuisement, état grippal, forte fièvre, éruption cutanée... Lorsqu'elles sont tombées soudainement malades, Margaux et Justine ont toutes les deux présenté les mêmes symptômes, qui ont décontenancé et inquiété les médecins. Alors que leur état de santé empirait d'heure en heure et que leurs organes internes lâchaient les uns après les autres, le corps médical n'est pas parvenu dans un premier temps à déterminer l'origine de leur infection.
Pourtant, leur cas est loin d'être isolé. Comme une quinzaine d'autres femmes en France l'an dernier, les deux jeunes femmes ont été touchées par le Syndrome du choc toxique (SCT), une maladie infectieuse due à une toxine introduite dans le sang par un agent pathogène, le staphylocoque doré, dont 20 à 30% des femmes sont porteuses. Au contact du tampon hygiénique et de ses composants synthétiques, ce dernier a proliféré dans leur organisme, jusqu'à leur faire frôler la mort.

Tel est le point de départ du glaçant mais nécessaire documentaire Tampon, notre ennemi intime, diffusé mardi 25 avril sur France 5. Pendant des mois, sa réalisatrice la journaliste Audrey Gloaguen a parcouru la France, l'Europe et les États-Unis pour faire la lumière sur la composition des tampons et leur degré de dangerosité sur la santé des femmes qui les utilisent.

L'inquiétante opacité autour de la composition des tampons

Car il y a urgence : en moyenne, chaque femme utilise en moyenne 11 000 tampons au cours de sa vie. Alors que les industriels ont l'obligation de mentionner la composition des déodorants, des gels douche ou des shampoings qu'ils utilisent, les tampons restent mystérieusement épargnés par toute loi encadrant leur fabrication.


Censés être, à leur apparition dans les années 1930, un objet d'émancipation des femmes, les tampons sont en réalité devenus un danger pour ces dernières. Les grands groupes industriels qui les fabriquent, comme Procter & Gamble ou Johnson and Johnson entretiennent l'opacité autour de leur fabrication, avec l'approbation des autorités sanitaires. En Europe actuellement, aucune loi particulière n'encadre la fabrication et la composition des tampons. Pire : en juin 1999, la commission européenne a laissé les fabricants établir leur charte de bonne conduite. Ce qui signifie qu'aucun contrôle n'est jamais effectué sur les produits toxiques présents dans ce produit intravaginal sensible qu'est le tampon hygiénique.

Alors qu'en France, une pétition demandant à Tampax de faire apparaître la composition des tampons sur les emballages a recueilli des milliers de signatures, le documentaire Tampon, notre ennemi intime tente lui aussi de percer le mystère. Pour cela, Audrey Gloaguen a interrogé des experts en microbiologie. Parmi eux, le professeur Gérard Lina, qui s'est spécialisé dans l'étude du STC et met en garde les femmes utilisant des tampons. Pour lui, ces derniers ne sont pas des objets d'hygiène intimes comme les autres, mais de véritables cocktails chimiques qui participent à l'augmentation des cas de STC, "une maladie qu'on pensait disparue mais qui réapparaît depuis les années 2000 sans qu'on sache quels en sont les facteurs".

Ce mystère que persistent à faire les industriels sur la composition des tampons est aussi entretenu par le tabou encore très prégnant autour du sang menstruel. Encore aujourd'hui, une femme qui a ses règles doit le cacher – y compris à elle-même – par crainte d'être moquée, d'être vue comme quelqu'un de sale, d'impur. Il n'y a qu'à voir la censure dont ont fait l'objet des photos de femmes ayant leurs règles sur Instagram.

Pour Chris Bobel, professeure en gender studies à l'Université de Boston, cette loi du silence autour des règles profite évidemment aux industriels qui "utilisent et exploitent le tabou. En fait, ils le perpétuent parce qu'ils rendent les règles presque invisibles. Parce que les femmes qui ont leurs règles sont si désireuses de cacher leurs menstruations qu'elles ne sont ni vigilantes, ni curieuses concernant les produits qu'elles utilisent. Et donc l'industrie peut opérer dans l'ombre car les femmes ne sont pas en demande de produits sûrs. Les industriels exploitent ce manque de curiosité."

Endométriose et perturbateurs endocriniens

Heureusement, on assiste depuis ces dernières années à une lente prise de conscience de la part des autorités publiques autour de la composition des tampons. En août 2016, le secrétariat d'État à la consommation a analysé dix références de tampons hygiéniques présentes sur le marché. Toutes présentent la même substance chimique, classée parmi les dix plus nocives par l'Organisation mondiale de la Santé : la dioxine. Pour le toxicologue belge Dominique Lison, cette substance est sans équivoque "à l'origine d'une pathologie très douloureuse, responsable aussi d'infertilité : l'endométriose", qui touche entre 150 et 200 millions de femmes dans le monde. Pour les besoins du documentaire, Audrey Gloaguen a aussi fait analyser par un laboratoire indépendant la composition des six marques de tampons les plus utilisées par les femmes. Le résultat est là aussi alarmant : toutes contiennent un perturbateur endocrinien potentiellement cancérigène, le phtalate DEHP, utilisé dans l'industrie pour assouplir le plastique et qui est soupçonné de causer des fausses couches.

"Nous aurions aimé vous dire que la liste des composants chimiques problématiques trouvés lors de nos tests s'arrêtait là. En fait, il y en avait tellement qu'il était impossible d'en faire l'inventaire. [...] Les tampons ressemblent à des poubelles chimiques", déplore la réalisatrice, qui n'a étrangement pas vu sa demande d'interview aboutir auprès du Syndicat des fabricants de tampons. À la lumière de cette enquête implacable et accablante, inutile de se demander pourquoi.

Tampon, notre ennemi intime, d'Audrey Gloaguen, diffusion le 25 avril à 20h50 sur France 5.