Shamsia Hassani, la street-artist féministe qui célèbre les Afghanes

Publié le Mardi 24 Août 2021
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Shamsia Hassani, la street artist qui célèbre les Afghanes. [Photo : Instagram / Shamsia Hassani]
Shamsia Hassani, la street artist qui célèbre les Afghanes. [Photo : Instagram / Shamsia Hassani]
En Afghanistan, il est impossible de passer à côté des oeuvres de la street-artist Shamsia Hassani, et de ses représentations de femmes afghanes à la fois puissantes et vulnérables. Aujourd'hui, face aux talibans, elle résiste.
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Le style graphique de Shamsia Hassani est reconnaissable entre mille. Des personnages de jeunes femmes et filles dressées face à l'injustice, le visage dépourvu de bouche, le corps fier, un foulard dans les cheveux. Les mains dans le dos, portées sur leurs yeux tristes ou, parfois, agrippées à des fleurs, signe poétique d'une paix espérée.

Ces images, Shamsia Hassani les déploie sur les réseaux sociaux, mais surtout, sur les murs des rues de son pays de coeur, l'Afghanistan. La street-artist y plaque depuis des années ses peintures murales pleines d'émotions. Une manière comme une autre de replacer filles et femmes afghanes à l'endroit-même où elles risquent de ne plus avoir droit à l'expression : l'espace public. Un art fondamental alors que les talibans ont repris le pouvoir le 15 août dernier.

Ses oeuvres révolutionnaires, la résidente de Kaboul et professeure d'art les a aussi bien exposées en Asie qu'en Europe, au gré des galeries diverses. A l'heure actuelle, elles touchent une audience d'autant plus large dans un contexte alarmant au possible pour les libertés des citoyennes, actualité qui ne rend que plus forte l'intensité émotionnelle de ses représentations politiques.

"Certains pensent que l'on devrait m'arrêter"

"J'essaie de faire en sorte que les gens regardent différemment les femmes afghanes. Mais dans le pays, certaines personnes pensent que l'art n'est pas autorisé dans l'Islam et que l'on devrait m'arrêter. Si beaucoup d'esprits fermés comme ceux-là se réunissent, ils peuvent devenir très puissants et tout faire", prévenait en interview l'artiste, comme le relate le magazine digital DW.

Jeune Iranienne de 33 ans née de parents afghans, Shamsia Hassani a étudié les arts visuels et la peinture dans la capitale, à Kaboul. Cela fait onze ans qu'elle a fait de l'art pictural son principal moyen d'expression. Un langage populaire, qui se voit, s'affiche, se propage.

Et les images fortes valorisées par la créatrice assurent cette visibilité. Femmes esseulées au sein de villes détruites ou érigées en géantes scrutant les horizons, larmes qui coulent comme de l'encre, corps en mouvement, instruments de musique déployés dans des décors volontiers chaotiques... Dans son art, la trentenaire iranienne privilégie l'expressivité, celle de l'allégorie, quasi viscérale. Comme des poèmes visuels projetés à ciel ouvert.

"J'utilise les instruments de musique comme symbole, permettant aux femmes de lever la voix, parler avec les autres, parler plus fort surtout, susciter plus d'attention, puisque mes personnages n'ont pas de bouche. Ces instruments leur donnent le pouvoir de s'exprimer", décrypte l'artiste. Créations féminines, mais aussi féministes donc, qui suggèrent la très critique condition des femmes en Afghanistan. Dans ce monde visuel, ces dernières sont à la fois impressionnantes, imposantes dans l'espace, et bouleversées, meurtries par le chagrin.

"C'est difficile pour les femmes de faire du street art"

"J'ai vraiment peur des espaces publics. J'ai vraiment peur des explosions qui se produisent tout le temps. C'est difficile pour les femmes de faire du graffiti et du street-art parce que généralement les activités des femmes déplaisent. Je fais donc attention. Néanmoins, je pense que je parviens à propager mes idées", relate au magazine DW Shamsia Hassani, qui compose également des toiles dans son atelier d'artiste, et conçoit des peintures murales à partir de photographies des rues et bâtiments alentours.

Sur Instagram, près de 190 000 fans admiratifs suivent fidèlement ses publications, créations graphiques diverses et prises de parole attendues.

Et la presse internationale également célèbre son talent. Ainsi pour le Financial Times, son art témoigne "de la force et de la résilience des femmes afghanes, de cette capacité à envisager l'espoir, valoriser la lumière et la vie même entre des bâtiments qui explosent, des horizons sombres et des figures masculines, rappelant dès lors aux citoyens que la voix d'une femme n'est pas facilement réduite au silence, même lorsque sa bouche est fermée". Une belle analyse dédiée à celle que le média applaudit pour ses "illustrations audacieuses et colorées". Même si souvent, la couleur est recouverte par les ténèbres de l'obscurantisme.

Le 9 août dernier, Shamsia Hassani dépeignait ainsi son héroïne encerclée d'ombres menaçantes, une accroche en évidence : "L'Afghanistan en 2021, un cauchemar". Une façon de témoigner du retour des talibans. Beaucoup s'inquiètent justement de la survie de l'artiste en terre afghane. "Vos messages prouvent que l'humanité est toujours vivante et n'a pas de frontières. Merci pour votre soutien et votre inquiétude : je suis en sécurité", a rassuré en retour l'artiste, qui ajoute un hashtag "hopeless" (désespérée).

Aujourd'hui plus que jamais, l'oeuvre de Shamsia Hassani est celle d'une résistante.