Ancien otage de Daech, ce petit garçon pleure pour revoir des vidéos de décapitation

Publié le Mardi 01 Décembre 2015
Adèle Bréau
Par Adèle Bréau Ex-directrice de Terrafemina
Ex-directrice de Terrafemina, je suis aussi auteure chez J.-C. Lattès, twitta frénétique, télévore, bouquinophile et mère happy mais souvent en galère.
"Père Courage" : c'est ainsi qu'est surnommé Othman Dinayi, un homme d'affaires yezidi qui, seul et sans relâche, libère les otages de Daech au Kurdistan irakien. Parmi eux, Raji, un petit garçon de 3 ans aujourd'hui hanté par les images de décapitations auxquelles il a assisté. L'émission "L'Effet Papillon" est allé à la rencontre de ces martyrs de l'EI.
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En Irak, les Yezidis sont devenus des martyrs de l'Etat islamique. Aujourd'hui, on estime à 5000 le nombre d'enfants et femmes capturés et retenus en otage par l'armée de Daech. Les femmes servent d'otages sexuelles aux combattants et leurs enfants, dès le plus jeune âge, sont intégrés aux atrocités de ces hommes partis en guerre contre l'Occident. Depuis que les soldats de l'EI ont attaqué son village, tué 50 hommes et capturé nombre de leurs familles, l'homme d'affaires Othman Dinayi a délaissé ses activités pour se consacrer entièrement à la libération de ces innocents. Surnommé "Père Courage", c'est sans armes et seulement muni d'un téléphone portable que ce père de douze enfant oeuvre, chaque jour, à sauver les vies de ces martyrs emprisonnés.

"Je vais l'entraîner. Une fois adulte, il prendra vos femmes, votre argent et vous tuera, comme des chiens"

Les équipes de L'Effet Papillon, l'émission de Canal +, sont partis à la rencontre de Père Courage et sont revenus avec des images saisissantes de cette réalité quotidienne souvent impalpable. Lors de leur reportage, les journalistes de l'émission ont ainsi rencontré Raji, un petit garçon de trois ans libéré avec sa mère par Othman. Retenu neuf mois par l'armée de l'EI, celui-ci semble, malgré le soutien de ses proches, traumatisé par les images qui lui ont été imposées par ses ravisseurs.

"Je vais l'entraîner. Une fois adulte, il prendra vos femmes, votre argent et vous tuera, comme des chiens", avait annoncé l'homme qui avait envoyé au grand-père de Raji des photos de celui-ci vêtu de l'uniforme de l'EI, et armé de pistolets, avant de demander une rançon de 20 000$. C'est d'ailleurs lors de la remise de celle-ci, organisée par Père Courage, que la famille de l'enfant a finalement pu le récupérer, organisant un guet-apens. Comme seule récompense, Othman Dinayi a demandé à la famille de récupérer l'uniforme du garçonnet. Petit pantalon, tunique noire et foulard, l'armée de Daech prévoit ainsi de vêtir ses hommes aux couleurs de l'armée dès leur plus jeune âge.

L'uniforme de Raji, récupéré par Othman Dinayi
L'uniforme de Raji, récupéré par Othman Dinayi
Les photos de Raji en uniforme de Daech envoyées par ses ravisseurs
Les photos de Raji en uniforme de Daech envoyées par ses ravisseurs

"Le petit garçon est obsédé par les images de décapitation de Daech"

Dans la maison du grand-père de Raji, les équipes ont ensuite filmé une scène bouleversante. Allongé et manifestement en proie à un grand chagrin, l'enfant réclame quelque chose à son grand-père, sans que l'on comprenne immédiatement de quoi il s'agit. "Pour Raji, la réadaptation est délicate. Il a été battu et embrigadé par ses ravisseurs", explique la voix off, avant de continuer : "Le petit garçon est obsédé par les images de décapitation de Daech. Il demande sans cesse à les revoir." En effet, la caméra capte cette scène hallucinante où, insistant, l'enfant demande sans relâche à revoir celle d'un soldat à laquelle il avait assistée avec sa mère lors de sa captivité. "Qu'on lui coupe la tête et qu'on en finisse", finit-il par lâcher, pour expliquer son insistance. Désarmée, sa famille tente pourtant de lui expliquer que "c'est mal", sans succès.

Dans la famille de Raji
Dans la famille de Raji

"Il ne suffit pas de libérer les otages, il faut les reconstruire", explique la voix off, soulignant ainsi la force indescriptible d'embrigadement de ces hommes capables de nourrir l'attrait de l'horreur, en quelques mois, chez un enfant de trois ans.

La suite du reportage montre le destin, un an après, de deux autres enfants libérés eux aussi et revenus à la vie, difficilement, grâce à la patience de leur oncle qui, pour les sensibiliser au bien, les emmène depuis assister à chaque retrouvaille qui suit les libérations organisées par Othman Dinayi. Munis d'un appareil photo, les deux garçonnets capturent ainsi les larmes de joie, le bonheur d'une mère revenue de l'enfer, qui retrouve son bébé qu'elle pensait ne jamais revoir. Ceux-là semblent sortis d'affaire. Ils devront pourtant partir, fuir le danger, et vivre alors loin de leurs familles restées sur les terres de l'horreur. Othman Dinayi, lui aussi, tentera d'envoyer les siens en sécurité, alors qu'il continue son combat, seul, au péril de sa vie et de celles de ses hommes.

Filmée par les équipes, la tentative de libération par Père Courage d'une jeune yézidie devenue esclave d'un soldat se soldera, celle-ci, par un échec. Las, Othman Dinayi explique alors aux caméras de Canal + : "La jeune otage est foutue. Au mieux, ils la mettront dans une de leurs prisons pendant plusieurs mois et ils la revendront. Mes hommes, eux, vont être décapités". Depuis qu'il a débuté son combat contre le mal, Père Courage a perdu douze hommes, tous décapités. Il a permis la libération de 380 femmes et enfants.