L'accès à l'avortement est-il menacé en France ?

Publié le Mercredi 12 Septembre 2018
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
L'avortement en France
L'avortement en France
Après les déclarations polémiques du président du syndicat des gynécologues obstétriciens cette semaine qui pose sa clause de conscience pour ne pas réaliser d'avortements, des questions se pose sur l'accès à l'IVG en France.
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La France prend-elle le chemin de l'Italie en matière d'accès restreint à l'IVG ? Le spectre de la clause de conscience vient en effet peser sur l'avortement en France. En Italie déjà, elle a fait des ravages, plombée par le poids de l'Église.

Dans ce pays, 70 % des gynécologues refusent de pratiquer des IVG mettant en avant cette fameuse clause de conscience. Dans certaines régions, on atteint même les 90 %. Un chiffre qui augmente sans cesse et qui rend l'avortement quasiment impossible pour un large nombre de femmes dans ce pays européen très proche de la France.

Dans l'Hexagone, le temps est à l'inquiétude. On a appris dans l'été la fermeture de centres IVG ne pouvant plus pratiquer d'actes à cause du manque de praticiens pendant l'été et parce que leurs collègues ne voulaient tout simplement pas en faire.

La clause de conscience provient d'un article, le 2212-8 du code de la santé publique, qui stipule : "Un médecin n'est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l'intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention [...] Aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu'il soit, n'est tenu de concourir à une interruption de grossesse. Un établissement de santé privé peut refuser que des interruptions volontaires de grossesse soient pratiquées dans ses locaux."

A Bailleul dans le département de la Sarthe par exemple, le centre ne pratique plus d'avortements depuis le mois de janvier, alors qu'il en avait pratiqué 67 l'année précédente. La sénatrice de la Sarthe, Nadine Grelet-Certenais, s'en était d'ailleurs émue devant la ministre de la Santé fin juillet : "Alors que Simone Veil est entrée au Panthéon, près de quarante-cinq ans après la reconnaissance du droit à l'avortement, il est intolérable que les femmes ne puissent pas exercer leurs droits essentiels."


Il était également impossible d'avorter dans plusieurs centres de l'ouest de la France, notamment à Fougères en Ile-et-Vilaine, à Montaigu et à Olonne-sur-Mer en Vendée.

Le président du syndicat des obstétriciens crée un tollé


Et puis ce mardi (11 septembre), on a eu le droit au dernier clou dans le cercueil. Le président du syndicat des gynécologues obstétriciens (Syngof) Bertrand de Rochambeau, praticien en région parisienne, s'est exprimé dans un reportage diffusé dans Quotidien sur la restriction de l'accès à l'avortement en France. Il tente de se justifier : "Moi, je fais un métier avec mes tripes. Je me lève à n'importe quelle heure. La nuit, je fais des opérations très difficiles, avec mes tripes. Et donc aux choses auxquelles je ne crois pas, je ne les fais plus".

Il se pose ensuite en spécialiste, celui qui sait mieux que nous, les femmes ignorantes des choses de la science : "Nous ne sommes pas là pour retirer des vies".

La journaliste de l'émission Valentine Oberti le relance en lui faisant remarquer que selon la loi, "ce n'est pas un homicide de faire une IVG". Ce à quoi il rétorque : "Si, madame". On le sent un peu fébrile, un peu tremblant. Pas très sûr de lui ou au contraire un peu énervé par les questions ?

Valentine Oberti poursuit : "Toutes les femmes ne considèrent pas qu'avoir un embryon dans le ventre, c'est une vie". Bertrand de Rochambeau la tacle alors dans un demi-sourire : "C'est mon opinion. Moi en tant que médecin, je ne suis pas forcé d'avoir votre opinion. Et si je ne l'ai pas, la loi me protège et ma conscience aussi".

La consternation des féministes et de professionnel·le·s de santé

Les réactions à cette vidéo et ces propos polémiques ont été nombreuses sur Twitter.

En milieu de journée mercredi 12 septembre, face au tollé qu'a provoqué cette vidéo, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a réagi dans un tweet : "Avec @MarleneSchiappa, nous condamnons les propos du président du Syngof et sommes déterminées à défendre partout le droit à l'#IVG. Chaque femme doit pouvoir l'exercer en toute liberté."

Sauf qu'à part condamner, il ne se passe pas grand-chose. Alors que dans le reportage de Quotidien, il est clair que cet accès, qui doit être possible sur tout le territoire pour chaque femme, n'est plus respecté. Interrogée sur le sujet, Marlène Schiappa, Secrétaire d'État en charge de l'Égalité répond que des IVG médicamenteuses pourront être réalisées par des sages-femmes. Sauf que les médicaments ne peuvent pas être pris au delà de 5 semaines de grossesse (ou 9 semaines en établissement de santé) et que la limite pour pratiquer une IVG est normalement de 12 semaines de grossesse. L'accès à l'IVG ne serait donc encore une fois, pas garanti pour toutes les femmes.

Cet été, un amendement inscrivant le droit à l'avortement dans la Constitution avait été rejeté par l'Assemblée nationale. Le gouvernement, qui s'était prononcé contre cette proposition par la voix de la ministre de la Justice Nicole Belloubet, jugeait : "Nous avons un droit suffisamment garanti". Pour ce qui est de l'accès effectif à ce droit, interrogée par Quotidien, Marlène Schiappa déclare que le retrait de la clause de conscience n'était pas d'actualité.

Le Syngof a publié en fin de journée un communiqué sur sa page Facebook où il se désolidarise des positions de son président, parlant d'opinion "personnelle". Sauf que comme le fait remarquer une internaute, Bertrand de Rochambeau a bel et bien utilisé sa position de président pour s'exprimer.

La question qui se pose également aujourd'hui : pourquoi devenir gynécologue si ce n'est pas pour défendre les femmes et leurs droits ?