8 héroïnes noires qui mériteraient leur propre série

Publié le Mardi 08 Septembre 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Pat Parker et Audre Lorde, deux icônes de l'afroféminisme.
Pat Parker et Audre Lorde, deux icônes de l'afroféminisme.
Activistes lesbiennes, poétesses célébrées, athlètes olympiques... Elles sont si nombreuses, les femmes noires trop méconnues qui mériteraient de trôner dans les livres d'Histoire. Leurs vies ont tout d'une série. La preuve par huit.
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"J'écris pour ces femmes qui ne parlent pas, pour celles qui n'ont pas de voix parce qu'elles sont terrorisées, parce qu'on nous a plus appris à respecter la peur qu'à nous respecter nous-mêmes. On nous a appris que le silence pouvait nous sauver, mais c'est faux". Cette phrase de la poétesse lesbienne et afro-féministe Audre Lorde résume avec éloquence le parcours de tant de sportives, autrices et politiciennes afro-américaines : toutes se sont battues pour la beauté de leur art et la cause des femmes noires, au sein d'une société blanche et patriarcale.

Parmi tous ces role-models, beaucoup demeurent cependant encore trop méconnues. Et pourtant, elles sont souvent les "premières à" ou les "championnes de". Saluées pour leur talent, leurs exploits et leurs contestations, elles mériteraient leur propre série ou biopic au cinéma tant leurs vies nous sont inspirantes. La preuve en huit profils dont les voix importent.

Althea Gibson (1927-2003)

Vous connaissez les soeurs Williams (Venus et Serena), mais avez-vous entendu parler d'Althea Gibson, cette autre tenniswoman d'exception ? Cette native de Caroline du Sud est l'une des premières athlètes noires à avoir atteint un niveau international dans ce domaine. Et la première Afro-Américaine à remporter un titre du Grand Chelem. C'était en 1956. Tenez-vous bien : elle en remportera onze. Et sera de nouveau sacrée à Wimbledon en 1958.

Il est donc normal qu'une statue lui soit consacrée au Billie Jean King National Tennis Center de New York, le plus grand stade de tennis du monde. Mais si ses prouesses sportives sur les courts sont encore saluées outre-Atlantique, on connaît un peu moins ses aptitudes de golfeuse professionnelle. Elles sont pourtant tout aussi grandioses, puisqu'au début des années soixante, Althea Gibson fut également la première femme noire à intégrer la compétition du Women's Professional Golf Tour.

Bref, une sacrée championne.

Claudette Colvin (1939)

L'acte militant de Rosa Parks est entré dans l'Histoire, et à juste titre : refuser de laisser sa place de bus à un blanc, en pleine période de ségrégation, avait tout d'une révolution. Mais l'on a trop oublié celle qui l'a précédée, toute aussi inspirante : Claudette Colvin. Et là encore, c'est dans un bus que la révolte émerge. Cette jeune citoyenne d'Alabama n'a que quinze ans lorsqu'elle refuse de se lever pour qu'une blanche occupe son siège.

Résultats ? Elle sera arrêtée, violentée par les forces de l'ordre, et finalement reconnue coupable de "trouble à l'ordre public" lors de son procès. Quelques mois plus tard, Rosa Parks réitérera son audace nécessaire, à Montgomery toujours. Une même cause (celle des droits civiques), mais un retentissement différent. Qu'importe : à l'ère de Black Lives Matter, d'aucuns ravivent le nom de cette élève du secondaire qui militait au sein du Conseil de jeunesse de la NAACP, l'association nationale pour la promotion des gens de couleur. Oui oui, ce conseil au sein duquel résidait une certaine... Rosa Parks.

Gwendolyn Brooks (1917-2000)

Les femmes afro-américaines occupent une place primordiale au sein de la poésie anglophone. La nécessité de leur lutte épouse avec harmonie la justesse de leurs vers. Aux côtés de grands noms comme Lucille Clifton, June Jordan ou encore Carolyn Rodgers, on pourrait encore citer celui de Gwendolyn Brooks. Il est historique : en 1950, l'autrice devient la première Afro-Américaine à remporter le prix Pulitzer pour son recueil de poèmes, Annie Allen. Le récit d'un "coming of age", celui d'Annie donc, jeune fille noire comme l'était la femme de lettres.

On le devine, son oeuvre - et en son sein ses vingt recueils de poèmes - est intensément personnelle. Ses écrits parlent d'enfance et de racisme, de pauvreté et d'amour, de libre-pensée et de bonté d'âme. Aussi bien intronisée au sein de l'Académie américaine des arts et des lettres qu'à la Bibliothèque du Congrès, ses talents d'autrice multi-médaillée seront salués par la Poetry Society of America comme par la National Book Foundation.

Marsha P. Johnson (1945-1992)

A l'instar de la militante lesbienne Ernestine Eckstein et de l'activiste transgenre Miss Major Griffin-Gracy, Marsha P. Johnson est de celles qui ont porté le combat pour les droits, les libertés et le respect des Afro-Américaines LGBTQ. Femme transgenre et drag-queen, cette enfant du New Jersey était l'une des premières grandes révolutionnaires queer noires de l'Amérique. D'elle, on retient ces marches et parades où elle figurait au premier rang, comme la Christopher Street Liberation Day March de 1970, soit la première Marche des fiertés de New York.

Mais elle était déjà là lors des événements de Stonewall de 1969, ces émeutes qui eurent lieu suite au violent raid de la police qui ensanglanta un bar gay du Greenwich Village. Des violences homophobes contre lesquelles Marsha P. Johnson militait, tout en tâchant de visibiliser les personnes transgenres et travesties. En 1970, elle créé ainsi l'organisation Street Transvestite Actions Revolutionaires afin d'aider ces populations marginalisées et opprimées.

Des années de luttes éclairées par son sourire solaire, mais une fin tragique : en 1992, son corps est retrouvé dans l'Hudson River. Les autorités compétentes parlent alors de "suicide". Des années plus tard, l'institut Marsha P. Johnson sera fondé à sa mémoire. Il vise à protéger les droits des personnes transgenres noires.

Marian Anderson (1897-1993)

On l'a vue chanter face au grand compositeur Leonard Bernstein, à la Première dame Eleanor Roosevelt et au président John Fitzgerald Kennedy. Marian Anderson était une contralto d'exception : la première femme noire à se produire au prestigieux Metropolitan Opera de New York, tout simplement. Au tout début de l'année 1955, Marian Anderson fait donc figure d'exception. Elle consacrera aussi bien son talent lyrique au Bal masqué de Giuseppe Verdi et aux compositions de Gustav Mahler qu'à l'hymne américain.

Celle qui sublimait aussi bien les negro spirituals (cette musique née chez les esclaves noirs du dix-neuvième siècle) que les airs de Franz Schubert militait en faveur du mouvement des droits civiques tout en ravissant l'audience du Carnegie Hall de New York. Célébrée par sa nation, elle recevra au début des années soixante la Médaille présidentielle de la Liberté, soit la plus haute des décorations civiles des Etats-Unis.

Pat Parker (1944-1989)

Pat Parker est, comme son amie proche Audre Lorde, une voix majeure de l'afro-féminisme. Militantes noires et lesbiennes, brillantes poétesses, toutes deux entretenaient une longue correspondance - étalée sur près de quinze ans. Défenseure des droits des femmes, des Noirs et des personnes LGBTQ, cette ancienne Texane brandissait tous les engagements avec éloquence, bravoure et créativité. Des causes qu'elle défendait jusqu'au sein de mouvements dont les représentants masculins étaient bien plus médiatisés - comme les Black Panthers.

C'est justement pour déboulonner l'inégalité des sexes et les discriminations qui sévissaient au sein même des collectifs afro-américains contestataires qu'elle a fondé, en 1980, le Black Women's Revolutionary Council - le Conseil révolutionnaire des femmes noires. D'autres initiatives, comme le Collectif de la presse féminine, lui semblaient primordiales pour visibiliser les voix des autrices.

Morte d'un cancer du sein à seulement 45 ans, sa mémoire perdure au gré d'ouvrages, de bibliothèques et de cérémonies, comme le prix de poésie Pat Parker, qui chaque année célèbre l'oeuvre des poétesses noires.

Octavia E. Butler (1947-2006)

Octavia E. Butler est l'une des autrices noires les plus reconnues de la science-fiction. Du prix Hugo au prix Nebula, bien des récompenses prestigieuses du genre lui sont revenues. Son oeuvre la plus emblématique ? Kindred. Soit le récit fantastique d'une jeune fille afro-américaine qui voyage dans le temps... et rencontre ses ancêtres esclaves. En somme, l'autrice recycle les thématiques fétiches de la littérature du genre et l'enrichit d'un sous-texte politique nécessaire - le science-fiction étant le terrain idéal pour se permettre les discours les plus subversifs.

Parmi ses romans les plus acclamés dénote la sage des Patternist, réflexion sur l'avenir de l'humanité sur fond de télépathie et de mutants. L'inventivité et l'engagement d'Octavia E. Butler en font une voix majeure de la littérature des imaginaires. Le journal Libération l'envisage même comme l'une des cheffes de file de "l'afro-cyberféminisme", ou quand les technologies permettent d'interroger le genre et les discriminations.

E. Denise Simmons (1951)

Voilà une personnalité historique encore actuelle : en 2008, E. Denise Simmons devient la première maire afro-américaine ouvertement lesbienne des États-Unis. En devenant la maire de Cambridge (non non, pas la ville d'Angleterre, mais celle du Massachusetts), l'ex-étudiante de Boston éveille bien des mentalités. Avant d'investir la mairie, cette politicienne démocrate était déjà juge au tribunal de Cambridge, et officiait également au sein du conseil scolaire de la ville.

Mais ce n'est pas simplement pour ça qu'elle marquera l'Etat de Massachusetts. Quatre ans avant de porter sur elle ses responsabilités de Maire, elle se marie avec sa compagne Mattie B. Hayes à l'église de St. Bartholomew. Elles deux constituent le premier couple du même sexe à s'y fiancer. Un événement loin d'être anodin donc. Depuis, E. Denise Simmons n'est pas sortie des radars. Cela fait vingt ans qu'elle est membre du conseil municipal de sa ville.