Les cheveux crépus des femmes noires seraient un frein à leur embauche

Publié le Mercredi 19 Août 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
La discrimination capilaire, un problème systématique.
La discrimination capilaire, un problème systématique.
La discrimination capillaire a encore de beaux jours devant elle : une nouvelle étude américaine démontre que les cheveux naturels des femmes noires seraient considérés comme "non-professionnels" dans le monde travail. Un exemple de racisme structurel.
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C'est la très sérieuse revue scientifique Social Psychological and Personality Science qui l'énonce à travers sa plus récente publication : les femmes noires aux cheveux naturels, afros, bouclés et crépus seraient considérées par leurs potentiels futurs employeurs comme "moins professionnelles" que leurs consoeurs aux cheveux lissés. Pour la professeure de gestion et instigatrice de cette recherche, Ashleigh Shelby Rosette, ces observations démontrent la réalité d'une discrimination capillaire (et raciale) au sein du monde du travail. Elle l'énonce : "L'impact de la coiffure d'une femme peut sembler infime mais pour les femmes noires, c'est une considération très sérieuse".

Difficile de lui donner tort. Blogueuse et militante, Fatou N'Diaye épingle justement les discriminations capillaires depuis plus de dix ans, ces idées étroites qui investissent aussi bien les interactions les plus banales du quotidien que les représentations médiatiques. Exemple ? Le cheveu crépu serait "sale", négligé. "Il faut défendre l'inclusion, la diversité, le droit à normaliser un cheveu crépu comme tout autre type de cheveu. C'est toujours touchy. Je reçois beaucoup de témoignages de femmes et d'hommes qui font l'objet de préjugés assez violents, qui subissent des discriminations à leur travail ou dans leur famille", nous expliquait-elle à ce titre.

Les expériences d'Ashleigh Shelby Rosette témoignent de ce racisme normalisé. Lors de l'une d'entre elles, deux groupes de participants ont évalué et noté la même candidate à l'emploi, une femme noire. Seulement, un groupe a étudié une photo de la candidate avec ses cheveux naturels, et l'autre avec les tifs lissés. Résultat ? Le groupe ayant observé la candidate aux cheveux raides l'a qualifiée de plus professionnelle, mais aussi "de plus polie, raffinée et respectable, recommandable pour un entretien d'embauche", relate le journal Metro.

Ce que sous-tend tout cela ? Une vision "conservatrice" perpétuée d'une entreprise à l'autre, explique la professeure. Mais aussi le fait que cette normalisation du cheveu lisse et raide génère des conséquences bien concrètes, de la discrimination à l'embauche à l'invisibilisation des femmes noires. Sinistre constat.

"Le racisme, c'est aussi l'effacement"

"Nos préjugés individuels précèdent souvent des pratiques racistes qui se développent et se normalisent au sein des institutions. Dans de nombreuses sociétés occidentales, les Blancs ont historiquement été le groupe social dominant et la norme pour l'apparence professionnelle est souvent basée sur l'apparence physique des blancs", déplore encore Ashleigh Shelby Rosette. Ce ne sont pas des cas individuels qu'évoque la chercheuse, mais un véritable racisme structurel - c'est-à-dire, qui se perçoit et se diffuse à travers toutes les institutions sociales.

Source de remarques déplacées, d'insultes, d'exclusion, de violences diverses et d'ostracisme, ce systématisme est tel qu'il incite bien souvent les femmes noires à se lisser les cheveux, quitte à aller à l'encontre de leur envies personnelles, de leur identité propre ou de leur culture. Ou quand la conformité se fait obligation professionnelle. Dès lors, on se remémore ces mots percutants de l'essayiste Maboula Soumahoro : "Le racisme, c'est l'effacement, la simplification". Et de simplification à discrimination, il n'y a qu'un pas. Même si, comme le relate par ailleurs l'étude d'Ashleigh Shelby Rosette, certains secteurs professionnels et créatifs seraient moins touchés par ce fléau - les agences de la publicité par exemple. Une maigre consolation.

Et si la recrudescence de recherches scientifiques et de témoignages contribuait à changer les choses ? Outre-Atlantique, on veille en tout cas à cette évolution des mentalités. En juillet dernier, l'on célébrait ainsi dans l'Etat de Virginie l'entrée en vigueur du "Crown Act", à savoir la loi interdisant la discrimination capillaire, déjà votée par le passé en Californie, à New York et dans le New Jersey. Une avancée qui prend du temps.