A l'occasion de la Semaine de la santé mentale, il est bon de rappeler le lien étroit qui unit les enjeux de notre santé physique et psychologique, et ceux de la société dans laquelle nous vivons, notamment en terme d'égalité des sexes. C'est ce que démontre très bien le concept de charge mentale.
Ce concept désigne la fatigue éprouvée au sein du foyer par les femmes, en ce qui concerne l'inégale répartition des tâches domestiques.
Citée par le Journal du Centre national de la recherche scientifique, ou CNRS, la chercheuse Nicole Brais (Université Laval, Québec), à l'origine de la théorisation de ce phénomène, le définit de cette manière : "La charge mentale est un travail de gestion, d'organisation et de planification, intangible, incontournable et constant, et qui a pour objectif la satisfaction des besoins de chacun et la bonne marche de la résidence".
Un concept qui semble se formaliser au quotidien. Selon un sondage réalisé par l'Ifop en 2022 auprès de 1992 personnes, 57% des Françaises affirment à ce titre "en faire plus" à la maison que leur conjoint. Deux ans plus tôt, en plein confinement, une autre étude chiffrée de l'Institut français d'opinion publique affirmait que 73 % des conjointes confinées déploraient s'occuper de la majorité des tâches durant cette période spécifique.
Lorsque l'on parle de charge mentale, précise le Centre national de la recherche scientifique, "il s'agit davantage de la charge cognitive associée à la gestion propre des tâches domestiques que de la réalisation de ces tâches", charge cognitive qui a pour origines "la répartition inégale des tâches domestiques, à laquelle s'ajoute l'activité professionnelle".
En découle une fatigue mentale : d'où le qualificatif.
Un concept vulgarisé et popularisé en France en 2019 par la dessinatrice féministe Emma dans sa bande dessinée très relayée sur les réseaux sociaux Un autre regard (au sein de l'histoire "Fallait demander !") : "La charge mentale, c'est le fait de devoir toujours penser à ce travail d'organisation et même d'en exécuter une grande partie", précise Emma. En outre, au poids de ces inégalités s'ajoute une vie professionnelle déjà bien chargée.
Mais quels sont les effets de cette charge sur la santé mentale ?
Faïza Bossy est médecin généraliste, médecin vasculaire et journaliste médicale. Elle est également médecin du travail et dirige des conférences en ce sens, notamment dans le cadre de la prévention. La professionnelle tient d'abord à nous rappeler dans un premier temps que la charge mentale est "un concept assez flou, que l'on a du mal à définir, et donc à mesurer".
Pour notre interlocutrice, "on le confond volontiers avec le stress", défini depuis les années trente comme "l'ensemble des manifestations de réactions physiques et physiologiques sous l'influence de facteurs externes". Cependant, la professionnelle, lors de ses consultations, a déjà pu témoigner de patientes abordant ces enjeux, sujettes à ces contraintes du quotidien, et aux incidences sur la santé qu'elles engendrent.
La médecin détaille : "Ces témoignages concernent avant tout une grande problématique : l'équilibre compliqué entre vie personnelle et vie professionnelle. Durant la pandémie, on pu observer une inégale répartition des tâches dans le couple comme source de fatigue et de mal être. On va davantage parler de charge mentale de type ménagère quand cela a trait aux tâches ménagères - cuisine, repassage, devoirs des enfants".
Judith Loeb Mansour est médecin généraliste depuis vingt ans. La professionnelle de la santé tient à nous préciser à ce sujet : "La charge mentale ce n'est pas simplement l'équilibre 'vie pro et vie perso', c'est aussi le souci quotidien que l'on porte à ses enfants (s'en occuper, demander de leurs nouvelles quand ils sont rentrés à la maison...), mais également à son conjoint ou à sa conjointe, et, quand on prend de l'âge, à ses propres parents !".
C'est donc une problématique plus globale qu'on ne pourrait l'envisager.
Pour la médecin généraliste, la charge mentale en dit long sur les pressions que subissent les femmes : "Aujourd'hui on demande beaucoup aux femmes. Elles doivent travailler avec ambition, être active dans la vie associative, faire du sport, être épanouies, mais aussi s'occuper de leur vie conjugale".
"Les femmes ont tendance à s'exprimer plus facilement sur cette notion d'épuisement et de charge que les hommes, mais cela ne veut pas dire qu'elles sont forcément plus nombreuses à en souffrir statistiquement", tient cependant à relativiser à ce propos la médecin du travail Faïza Bossy.
"Mais il est vrai qu'on ne peut ignorer cette pression qu'elles se mettent, qui est une hyper exigence. Cette idée d'être à la fois une mère de famille, une super professionnelle, belle et ambitieuse. C'est quelque chose que l'on doit aussi remettre en question dans notre société".
On le constate, la charge mentale est aussi une charge sociale.
Mais quelles en sont les incidences ?
Faïza Bossy éclaircit notre interrogation : "Si l'on entend charge mentale à la fois professionnelle et ménagère, les impacts peuvent être réels, physiques et psychologiques : avant tout la fatigabilité, premier symptôme que l'on observe, une notion d'épuisement, lorsque l'on arrive plus à faire face"
"On peut également observer une forme d'irritabilité (trouble de l'humeur, surinvestissement), une anxiété, ainsi que des conséquences de type digestives (trouble du transit), cognitives (difficultés de concentration en raison du manque de repos) et des troubles cardio vasculaires - l'épuisement pouvant induire le stress, lequel est un facteur de maladies cardiovasculaires - ainsi qu'une perte d'appétit ou une prise de poids, du diabète..."
"S'il s'agit d'une charge mentale ayant trait au cadre professionnel, cela peut également aboutir à un burn out", précise la médecin du travail, qui n'exclut pas le fait qu'un "symptôme dépressif" puisse émaner de cette fatigue mentale.
Comme le rappelle le Dr Bossy, on entend précisément par l'appellation spécifique de burn out "un syndrome d'épuisement professionnel, physique et psychique, qui est la résultante de conditions de travail, et se définit comme un stress chronique au travail qui n'a pas été traité correctement".
Mais comment faire face à la charge mentale ?
La professionnelle de la santé explique :
"Lorsque le patient vient nous voir, on traite les symptômes dont il témoigne. On va orienter ces patients en fonction de leurs symptômes vers les spécialistes qui s'occuperont d'eux, nos collègues psychologues ou psychiatres si le problème est avant tout psychologique par exemple"
"Mais quoi qu'il en soit, on les enjoint tout d'abord à prendre du recul et à se reposer même si cela n'est pas toujours évident. Tout le monde n'est pas en égalité face à la charge mentale, tout dépend de l'environnement familial ou social. Ca peut aussi passer par un lâcher prise du patient ou de la patiente. On peut être amené à poser un arrêt maladie le cas échéant".
Judith Loeb Mansour nous prescrit à l'unisson quelques recommandations à ce sujet : "L'important c'est la notion d'égalité, d'acceptation de l'existence de l'autre. Il y a énormément à faire pour l'égalité des sexes. Or il y a encore beaucoup à faire dans la répartition des tâches même si cela évolue".
"En outre, face à quelqu'un souffre, la base reste évidemment de l'écouter et de reconnaitre sa souffrance. Lui dire : j'entends que tu souffres. Et lui rappeler également qu'il est légitime à souffrir".
"Cela exige tout un travail de communication au sein du couple. L'important enfin, c'est toujours de prendre du recul face aux situations subies et à l'épuisement. Car ce n'est jamais quand l'on est vulnérable psychologiquement que l'on est au mieux pour décider de quelque chose".
Un travail aussi médical que relationnel, donc.
Judith Loeb Mansour est médecin généraliste depuis vingt ans.
Faïza Bossy est médecin généraliste, médecin vasculaire et journaliste médicale. Elle est également conférencière sur la santé au travail.
Les résultats du sondage de l'Ifop à propos de la répartition des tâches domestiques.
Les résultats du sondage de l'Ifop à propos de la répartition des tâches domestiques et de ses incidences au sein du couple durant le confinement de 2020.
Pour plus d'informations sur la Semaine de la santé mentale, rendez-vous sur la page de sensibilisation dédiée de Webedia.