Regarder des films d'épidémie, est-ce vraiment une bonne idée ?

Publié le Mardi 17 Mars 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
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Contagion date de 2011 et pourtant : 9 ans après sa sortie, le film explose les scores sur les plateformes de téléchargement légales. Début mars, il se plaçait même à la 11e place du classement des longs métrages les plus téléchargés sur ITunes. Un record aussi observé sur les sites illégaux, allant de 200 par jour au début de l'année à plus de 25 000 entre fin janvier et début février, d'après TorrentFreak.

La raison derrière cet enthousiasme soudain pour l'oeuvre de Steven Soderbergh, on ne vous l'apprend pas, c'est sa concordance troublante avec l'actualité. L'histoire d'une pandémie née en Chine, qui puise ses origines dans l'ADN de chauve-souris, et qui s'attaque à une humanité impuissante. Impossible de l'arrêter aux frontières, le monde entier en est bientôt atteint.

Le Japon, la France et les Etats-Unis, où se situent nos protagonistes. Matt Damon en père immunisé, Gwyneth Paltrow en patiente zéro et Kate Winslet comme docteure missionnée par le gouvernement, qui tente de faire respecter les consignes de sécurité. Il y a aussi Marion Cotillard, Jude Law et Laurence Fishburne, entre autres. De quoi attirer l'oeil curieux du spectateur un peu masochiste ou décidé à prendre ce qu'il y a de positif dans le scénario.

On comprend, nous aussi on est fan de l'ambiance anxiogène apocalyptique qui permet quand même d'entrevoir une lueur d'espoir quand, enfin, un vaccin est mis au point par une chercheuse surdouée, jouée par Jennifer Ehle. Sauf qu'en ces temps de crise sanitaire similaire, est-ce vraiment nécessaire de nourrir sa peur à grand coup de catastrophisme américain (ou non d'ailleurs, La Peste d'Albert Camus aussi enregistre des ventes faramineuses) ? Pas sûr.

Savoir ce qui peut se passer

Le monde n'en est pas à sa première épidémie de taille. La grippe espagnole, la peste, Ebola, la grippe de Hong Kong : on nous rappelle quotidiennement les raisons pour lesquelles ne pas prendre les mesures de sécurité du gouvernement à légère, mais pourquoi ne pas paniquer non plus. Alors forcément, on ne sait plus vraiment comment réagir. L'avenir nous paraît incertain, on est en quête de savoir. Et ce serait justement ce qui motive notre passion nouvelle pour un genre bien particulier : les films d'épidémie.

Il y a ceux qui virent histoires de zombies (I Am Legend, Dernier train pour Busan), et les autres, comme Contagion, qui restent entièrement plausibles. D'où l'intérêt, si l'on en croit Patrick Rateau, professeur de psychologie sociale à l'université de Nîmes, interrogé sur le sujet par Franceinfo : "On cherche à la fois à se rassurer et à voir comment ça se passe. Car même si c'est sous la forme d'une fiction, on se dit que ça peut se passer de cette façon-là. On cherche à voir comment la maladie se propage, à comprendre les aspects d'une épidémie et ce qui pourrait potentiellement arriver ou pas."

Un "besoin d'information", exprime-t-il, qui viserait à nous rassurer plus qu'à nous faire peur des épreuves à venir. En étudiant les événements, on peut peut-être les anticiper et donc se préparer psychologiquement à l'éventualité que notre quotidien ressemble à celui dépeint à l'écran. Une approche peu réjouissante, clairement, mais apparemment populaire. Seulement elle peut rapidement tourner au vinaigre quand on la laisse nourrir nos craintes puis créer de toutes pièces une paranoïa coriace.

Risque de paranoïa nocive ?

Le professeur Patrick Rateau est formel : la peur n'évite pas le danger. Pour l'expert, si se replier vers des oeuvres culturelles de référence traduit une inquiétude justifiée et une quête de repères, chercher à contrôler ce qui nous échappe a des conséquences dramatiques : "Dès qu'on perçoit qu'on ne contrôle pas, ça génère de l'anxiété et de la peur", affirme-t-il.

"On est dans une situation maximale de peur collective car on a un objet de peur qui n'est pas d'origine humaine, qui n'est pas visible". Il ajoute : "cette menace n'est pas dirigée vers un groupe en particulier. Potentiellement, cela concerne toute l'espèce humaine, ce qui va augmenter le sentiment de peur car il n'y a aucune possibilité de se replier sur ses groupes d'appartenance."

Et c'est justement la propagation de ce sentiment qu'il faut craindre, aussi. Notamment à l'ère des réseaux sociaux, où les fake news circulent allègrement, sans aucune vérification. "Rien ne se propage comme la peur", peut-on d'ailleurs lire sur l'affiche de Contagion. Et à cet état se succède quasi inévitablement la panique, responsable de réactions irrationnelles, de mouvements de foule et donc, par la force des choses, de davantage de contaminations.

Quel serait le bon réflexe pour nourrir nos questions sans enrayer de comportement anxiogène, pour nous comme pour notre entourage ? "Aller chercher de la bonne information", lance Patrick Rateau. Et faire la part des choses entre la fiction et la réalité, assurément.