Pourra-t-on empêcher la conservatrice Amy Coney Barrett de remplacer Ruth Bader Ginsburg ?

Publié le Lundi 28 Septembre 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Pourra-t-on empêcher la conservatrice Amy Coney Barrett de remplacer Ruth Bader Ginsburg ?
Pourra-t-on empêcher la conservatrice Amy Coney Barrett de remplacer Ruth Bader Ginsburg ?
La Républicaine Amy Coney Barrett a été nommée par Donald Trump pour succéder à Ruth Bader Ginsburg, juge démocrate décédée le 18 septembre. Une annonce inquiétante selon l'opposition au pouvoir. Alors, quels sont les recours avant sa confirmation ?
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Amy Coney Barrett, 48 ans, siégeait jusqu'ici comme juge fédérale à la Cour d'appel du septième circuit. Elle était pressentie pour être nommée par Donald Trump en remplacement de la juge à la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg. Quelques jours seulement après le décès de l'iconique défenseuse des droits des femmes et de l'égalité, le 18 septembre dernier, à 87 ans, le président des Etats-Unis a confirmé la rumeur : la Républicaine proche de la droite religieuse devrait succéder à la juge, devenant la cinquième femme à être instituée à la Cour suprême.

"​Ce soir, j'ai l'honneur de nommer l'une des juristes les plus brillantes et les plus douées du pays à la Cour suprême", a introduit le chef d'Etat dans les jardins de la Maison Blanche, samedi 26 septembre, lors de la nomination officielle. "Vous allez être fantastique". Amy Coney Barrett s'est ensuite brièvement exprimée : "J'aime les États-Unis et j'aime la Constitution des États-Unis", a-t-elle lancé, avant de rendre hommage à Ruth Bader Ginsburg. "Elle a gagné l'admiration des femmes à travers le pays et dans le monde entier".

Un portrait en hommage à Ruth Bader Ginsburg, devant la Cour suprême des Etats-Unis.
Un portrait en hommage à Ruth Bader Ginsburg, devant la Cour suprême des Etats-Unis.

Pour le camp des démocrates, la nouvelle incarne une véritable menace pour les droits des femmes et des droits des minorités, et notamment, en pleine crise sanitaire, de l'Affordable Care Act, aka Obamacare, qui fournit une assurance maladie à 32 millions d'Américain·e·s.

Elle est d'ailleurs d'autant plus inquiétante que l'opposition ne dispose d'aucun recours contre sa confirmation. Le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, semble pour l'instant avoir le nombre de voix requis pour confirmer la candidate à la majorité simple, rapporte NBC.

Il leur reste cependant une façon de témoigner leur indignation : les auditions.

"Montrer comment elle nous priverait de nos droits"

Dans une tribune pour le Los Angeles Times, Erwin Chemerinsky, juriste et doyen de l'école de droit de Berkeley, appelle les Démocrates à ne surtout pas baisser les bras, malgré la "charade" que représentent les auditions qui précéderont l'inauguration d'Amy Coney Barrett au sein de l'administration Trump. Au contraire, pour le spécialiste, elles sont cruciales. Non pas parce qu'elles pourraient empêcher la juge d'intégrer la Cour suprême, mais parce qu'elles permettront de révéler ses vues politiques - étroitement liées à ses croyances religieuses, assure-t-il - et les risques terribles pour le peuple américain.

"Amy Coney Barrett est aussi conservatrice que n'importe quel juge fédéral aux États-Unis. Trump l'a choisie pour plaire à sa base politique", écrit-il. "Les Démocrates, malheureusement, n'ont aucun moyen d'empêcher sa confirmation, mais ils devraient utiliser le processus pour ne laisser aucun doute dans l'esprit de quiconque sur ce que cela va signifier pour la Constitution, le pays et la vie des gens."

Erwin Chemerinsky explique que la juge se revendique originaliste, "le point de vue selon lequel une disposition constitutionnelle signifie la même chose aujourd'hui que lorsqu'elle a été adoptée", détaille-t-il. Et avertit qu'elle pave la voie de décisions de justice dangereuses et discriminantes.

"Les Démocrates doivent souligner que les originalistes ont longtemps soutenu que l'affaire Roe contre Wade (procès qui a mené à la légalisation de l'avortement dans les cinquante Etats, ndlr) avait été mal décidée et que Barrett sera presque certainement le cinquième vote à annuler cette décision historique. Les originalistes rejettent toute protection des droits des gays et des lesbiennes en vertu de la Constitution, et Barrett, avant de devenir un juge d'appel fédéral, a exprimé son opposition au mariage homosexuel. Sur la base de ses écrits, elle votera certainement pour autoriser les entreprises et les employeurs, sur la base d'une revendication de liberté religieuse, à discriminer les gays et les lesbiennes."

Le doyen martèle : "Les Démocrates doivent poliment, mais fermement, expliquer au peuple américain que le président Trump a nommé une personne qui va les priver de leurs droits."

Joe Biden appelle le Sénat à ne pas se prononcer avant les présidentielles

Le candidat démocrate à la présidence, Joe Biden, a quant à lui formulé une requête claire : ne pas se prononcer sur la nomination d'Amy Coney Barrett "tant que les Américains n'auront pas choisi leur prochain président et leur prochain Congrès", soit le 3 novembre prochain.

Il est également revenu sur les risques pour l'Affordable Care Act une fois la Républicaine confirmée. "Le président Trump tente depuis quatre ans de rejeter l'Affordable Care Act. Les Républicains tentent d'y mettre fin depuis une décennie. Par deux fois, la Cour suprême des États-Unis a confirmé la constitutionnalité de cette loi", rappelle l'ancien vice-président de Barack Obama dans un communiqué. "Mais même maintenant, en pleine pandémie sanitaire mondiale, l'administration Trump demande à la Cour suprême des États-Unis d'annuler toute la loi, y compris ses protections pour les personnes ayant des conditions préexistantes".

Pour la sénatrice Patty Murray, l'objectif du gouvernement est limpide et dramatique. Dans un tweet, elle condamne : "Le président Trump nous a répété à maintes reprises ce qu'il veut dans un juge : un juriste qui s'engage par-dessus tout à vider les soins de santé de leur substance devant les tribunaux et à mettre fin à l'avortement légal et sûr aux États-Unis d'Amérique". Elle conclut, en écho à ses consoeurs et confrères : "Ne vous y trompez pas, un vote pour confirmer un candidat à la Cour suprême qui répond aux critères du président Trump est un vote pour priver les gens de soins de santé et de droits vitaux".

Les auditions sont prévues à partir du 12 octobre, pour un vote de confirmation à la fin du même mois, soit seulement quelques jours avant l'élection présidentielle, le 3 novembre.

La bataille pour éviter la confirmation de la juge Amy Coney Barrett s'annonce rude mais nécessaire pour préserver les acquis du peuple américain.