Fatoumata Kebe, l'astronome qui voulait nettoyer l'espace

Publié le Jeudi 18 Juin 2015
Anaïs Orieul
Par Anaïs Orieul Journaliste
Fatoumata Kebe est une astronome franco-malienne de 29 ans. Alors que l'exposition "Space Girls Space Women" lui consacre actuellement un portrait au musée des Arts et métiers, celle qui se définit souvent comme une "femme de ménage dans l'espace" est revenue avec nous sur son parcours, son métier passionnant et la place des femmes dans l'astronomie, un monde excessivement masculin. Interview.
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Vous êtes doctorante en astronomie à l'Observatoire de Paris et vous étudiez les débris spatiaux artificiels. Pouvez-vous expliquer aux profanes ce que vous faites exactement ?

Les débris spatiaux, ce sont en fait tous les objets que l'homme a laissé autour de la terre, comme de vieux morceaux de satellite par exemple. Avec le temps, on a accumulé beaucoup de débris spatiaux, parce qu'on lance chaque année de nouvelles fusées, des satellites... La durée de vie d'un satellite est de 15 ans en moyenne, donc après soixante ans d'exploitation on se retrouve avec des milliers de débris au-dessus de nos têtes, sachant que leur point commun c'est qu'ils sont incontrôlables. On ne peut pas les manoeuvrer pour qu'ils puissent esquiver d'autres objets. Moi, j'étudie leur trajectoire sur le long terme.

Si les objets entrent en collision, que se passe-t-il ?

Le pire qui puisse arriver, ce serait qu'un débris entre en collision avec un objet fonctionnel qui est en mission, parce qu'alors il pourrait le détruire partiellement ou totalement. Puis en entrant en collision, les débris en créent d'autres, ce qui cause une réaction en chaîne qui n'a pas forcément de fin. L'autre chose à prendre en compte, c'est que les débris peuvent rentrer sur terre. Ils sont parfois très gros et peuvent rentrer de manière quasi intacte. Du coup ils peuvent impacter des zones habitées.

Donc les débris spatiaux peuvent tuer des gens en retombant ?

Tout à fait. Après, on ne sait pas si c'est déjà arrivé parce qu'on n'a pas de données officielles.

Est-ce que vous vous souvenez du moment où vous vous êtes dit "voilà, c'est ça que je veux faire, travailler dans les étoiles" ?

Je ne me souviens pas précisément de l'âge que j'avais, mais je sais que j'étais petite. C'est en regardant des images d'étoiles et de planètes que je me suis dit : "Plus tard, je travaillerai dans l'astronomie". Je ne savais pas très bien ce que je voulais faire, mais j'étais attirée par l'espace.

Comment vous êtes-vous spécialisée ?

J'ai fait des stages dans le domaine du spatial et de l'astronomie, ce qui m'a permis de faire un tri car c'est un domaine très vaste. Pendant une formation intensive à la NASA, j'ai eu un cours sur l'environnement spatial et les débris spatiaux. C'est là que je me suis dit que c'était parfait pour moi. En plus, je me suis rendue compte avec le temps que j'aime beaucoup l'astronomie mais que j'ai besoin de concret dans ma vie. J'aime le mouvement des planètes, expliquer certains phénomènes, les marais... Mais j'aime ça en tant que culture générale scientifique. Dans mon travail, j'ai vraiment besoin de concret, et les débris spatiaux c'est proche de nous. J'en ai touché, j'en ai vu.

Grâce à votre étude des débris spatiaux, pourriez-vous partir dans l'espace un jour ?

Ah, ce serait bien ça (rires). Pour le moment, c'est impossible de savoir parce qu'on en est encore au stade où on propose des méthodes de nettoyage de l'espace, et il n'y a aucune méthode qui a été testée dans des conditions réelles. Mais peut-être qu'avec la recherche, on se rendra compte qu'il faudra envoyer quelqu'un là-haut pour manoeuvrer.

En 2009, on comptait seulement 24% de femmes astronomes en France. Qu'est-ce que ce chiffre vous inspire ?

C'est triste. Je ne sais pas si les chiffres ont été réactualisés depuis mais c'est vrai que lorsque je me rends dans les conférences, il n'y a pas beaucoup de femmes. Je ne sais pas pourquoi, mais à mesure qu'elles avancent dans les études, les femmes disparaissent des filières scientifiques.

D'après l'astronaute Claudie Haigneré (qui participe également à l'exposition Space Girls Space Women), les femmes auraient tendance à s'autocensurer...

Ça c'est vrai ! C'est vrai qu'on a tendance à se remettre énormément en question, moi la première. On se tire des balles dans le pied toutes seules. Tandis qu'un homme, il y va, il fonce. Une femme, elle, se posera toujours plus de questions.

Vous travaillez avec beaucoup d'hommes ?

Oui, quasiment qu'avec des hommes.

Est-ce que ça change quelque chose pour vous dans votre manière de vous exprimer ?

Non, pas avec les hommes avec lesquels je travaille. Mais certaines amies doctorantes m'ont raconté des choses... C'est vrai que des fois en conférence, on vous fait comprendre très facilement que vous êtes une femme. Quand vous parlez, on va balayer ce que vous dites, et vous sentez très bien que c'est parce que vous êtes une femme. Alors que si un homme dit la même chose que vous, tout le monde va dire : "Ah oui, c'est vrai, il a raison". C'est dommage.

L'année dernière, vous avez dit au micro de France Info : "Quand je suis arrivée à l'Observatoire de Paris, même au bout de plusieurs mois, on me prenait pour la standardiste. Pour eux, c'était impossible que je puisse être doctorante ! Ma parole ne valait rien en tant que scientifique. Il n'y a quasiment que des hommes blancs qui parlent d'astronomie". Aujourd'hui, vous sentez-vous toujours frustrée ?

Ce qui me frustre, c'est la représentation de l'astronomie. Dernièrement, France Télévisions et Radio France ont mis en place un Guide des Expertes . Et c'est bien, parce que généralement, quand on fait appel à un expert, c'est forcément un homme et jamais une femme. Et c'est la même chose en astronomie, ce que je ne comprends pas. Des fois, j'ai l'impression qu'on cache les femmes. Grâce à l'exposition Space Girls Space Women, même moi j'ai découvert des femmes qui travaillent depuis des années dans le domaine du spatial et qui ont fait de grandes choses. Je ne les avais jamais vues à la télé, même dans des documentaires qui parlaient exactement de leurs travaux. Je ne comprends pas pourquoi on donne tout de suite sa confiance à un homme, et pas à une femme.

Vous faites partie des femmes à qui l'exposition Space Girls Space Women consacre un portrait. Quel message vouliez-vous faire passer en participant à ce projet ?

Je voulais montrer la diversité des femmes qui travaillent dans le domaine du spatial. Quand on m'a demandé si je voulais participer à ce projet, ça m'a fait bizarre. Je me suis dit : "Je fais partie de la communauté du spatial". C'était comme une petite reconnaissance. Me dire que je m'ajoute à cette liste de femmes qui travaillent dans le spatial, c'est un cadeau.

Vous avez grandi dans le 93 et vous avez dû vous battre pour arriver là où vous en êtes. Aujourd'hui, vous avez donc décidé d'aider les jeunes de quartiers en leur faisant découvrir l'astronomie. Que faites-vous avec eux exactement ?

J'ai lancé une association qui s'appelle Ephémérides. J'ai été contactée par des établissements scolaires qui voulaient que je parle à leurs élèves. En gros, la plupart sont démotivés et déjà défaitistes, à se dire qu'ils n'arriveront à rien dans leur vie alors qu'ils ne sont qu'en cinquième. Si on m'a demandé de leur parler d'astronomie, c'est que pour eux, c'est un sujet élitiste, vraiment loin d'eux. Ils ont beaucoup de préjugés sur certains domaines, ils se disent : "C'est trop dur pour nous, on ne pourra pas y arriver". En leur inculquant des notions d'astronomie, en leur apprenant à manipuler un télescope, ou à reconnaître des étoiles, ils prennent confiance en eux et se rendent compte que même si l'astronomie peut être difficile, en travaillant, on y arrive. Donc ça démystifie le mythe autour de l'astronome, ça leur permet de reprendre confiance en eux et d'avoir de plus grandes ambitions.

En plus d'être docteure en astronomie, vous avez initié le projet Connected Eco, dont le but est d'apporter une solution aux problèmes auxquels font face les agriculteurs grâce à la technologie. Pouvez-vous en dire plus ?

Avant d'être doctorante en astronomie, je suis diplômée d'un Master en mécaniques des fluides. Donc Connected Eco n'a rien à voir avec l'astronomie ! En fait, c'est un objet connecté pour l'agriculture. C'est un capteur qui fonctionne à l'énergie solaire. Vous le plantez dans votre champ et il vous envoie des infos sur l'état de votre sol sur votre téléphone ou votre ordinateur. Il vous dit si votre sol est bien irriguer et vous indique la quantité d'eau nécessaire dont il a besoin. L'agriculture consomme 70% des ressources mondiales en eau et la moitié est gaspillée. C'est pendant mes séjours au Mali que je me suis rendue compte que les gens ont tendance à balancer des seaux d'eau sur leurs champs. Sauf qu'ils noient les plantes et leur productivité n'est pas aussi bonne que ça. Là, je suis en train de mettre la phase pilote du projet pour travailler avec une coopérative de femmes qui vont être formées à l'utilisation de cette technologie.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes filles qui comme vous, rêvent d'espace ?

De tout faire pour y arriver. Il faut qu'elles se disent qu'il n'y a pas qu'un chemin qui mène vers le spatial. Il ne faut pas se fermer l'esprit et se dire que c'est un domaine qui est tellement vaste qu'on peut trouver une branche qui va nous plaire. Quand j'étais plus jeune, on me disait qu'il fallait être hyper bon en maths. Alors qu'en fait, pas forcément. Ça dépend de ce que vous allez faire dans l'astronomie. Une collègue à moi ne fait quasiment que de l'observation des planètes et il n'y a pas besoin d'être un matheux pour ça. Il faut avoir d'autres compétences, mais c'est faisable quoi qu'il arrive.

De quel endroit avez-vous pu observer le plus beau ciel ?

Du parc national de Yosemite aux Etats-Unis (est de la Californie). C'est là-bas que j'ai vu le plus beau ciel. Ça m'a rappelé mon enfance et mon rêve. Je me suis revue petite dans mon salon à regarder des images d'étoiles. Quand je vois ça en vrai, ça me rappelle aussi que même si ce n'est pas facile tous les jours, je sais pourquoi je suis là.

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